par Jean-Luc Proutat, économiste chez BNP Paribas
Ce qui ne tue pas, dit-on, rend plus fort. Le principe nietzschéen vaut en tous les cas pour l’Union économique et monétaire (UEM) qui, à défaut d'éclater, se consolide crise après crise. Partie de Grèce, celle du printemps 2010 avait introduit un coin dans le principe de non-assistance aux pays rencontrant des difficultés financières. Une aide de 110 milliards d'euros était consentie à l'Etat hellène et des facilités de prêt communautaire répondant aux noms d’EFSF (European Financial Stability Facility) et d’EFSM (European Financial Stabilisation Mechanism) étaient mises sur pieds.
Complété par le Fonds monétaire international (FMI) et doté en tout de 750 milliards d’euros, le dispositif n’était pas prévu pour durer. Mais la crise irlandaise de novembre 2010 aura changé la donne. Au-delà du prêt consenti à l'Ile d’émeraude, l’Eurogroupe amendait le traité de Lisbonne et instituait le principe d'assistance mutuelle entre États membres de l'UEM.
Celle-ci est désormais dotée d’un mécanisme permanent de résolution des crises et emprunte sans effort sur les marchés. L’EFSM a récemment levé 5 milliards d’euros à cinq ans au taux d’intérêt de 2,59%. Il s'agit d'un prix raisonnable, plus élevé que celui auquel se finance l’Allemagne mais inférieur au taux moyen des emprunts d'Etats dans la zone euro1. L’EFSF s’apprête, à son tour, à lever des fonds. Sa dette, notée AAA, trouvera aisément preneurs. Un large aréopage d’investisseurs, allant du ministère des Finances japonais aux fonds souverains chinois, norvégien ou du Golfe, s’est déjà positionné à l’achat.
En quelques mois, l’UEM a donc considérablement renforcé les outils de sa stabilité financière. Les risques souverains ont commencé d’être mutualisés, la BCE œuvrant d'ailleurs beaucoup en ce sens. Son programme d’achats de dette publique (Securities Markets Programme, SMP) est monté en puissance courant 2010 ; au 31 décembre, elle détenait 73,8 milliards d’euros d’obligations d’Etat à son bilan. Elle a continué d'acheter début 2011, notamment pour contenir le rendement des titres du Trésor portugais, lequel faisait appel aux marchés le 12 janvier. L'opération s'est, de fait, mieux déroulée que prévu. Lisbonne a pu lever 1,249 milliard d'euros, dont 599 millions à 10 ans au taux moyen de 6,72%. C’est 30 points de base de moins que les rendements qui prévalaient
Le Portugal évite donc le recours à la Facilité de financement européenne comme au FMI. Salué en Bourse, ce succès est toutefois à relativiser. Evalués à 20 milliards d'euros en 2011, les besoins d'emprunt du Portugal ne sont pour l'instant couverts qu'à à peine 10%. Le menu des émissions à venir reste dont copieux. Le coût de la dette n'a pas baissé sur toutes les maturités. Le Portugal emprunte par exemple à 5,4% sur trois ans, soit avec une prime de 400 points de base vis-à-vis de l’Allemagne. C’est trop cher, notamment si l’on tient compte du fait que l’inflation portugaise reste contenue (1,2% hors éléments volatils) et que le potentiel de l’économie est limité. La combinaison de taux d’intérêt réels élevés, de l’ordre de 4%, et de croissance faible (1,4% sur un an au troisième trimestre 2010 mais sans doute moins dans les mois qui viennent) complique singulièrement l’effort d’ajustement budgétaire du Portugal. Elle alourdit aussi les fardeaux de la Grèce et de l’Irlande, dans la mesure où les prêts communautaires octroyés à ces deux pays sont loin d’être à prix d’ami (5% et 5,8% à 3 et 7,5 ans respectivement).
La taille des dettes nationales, l’éventualité qu’elles soient renégociées, l’effort important de comblement des déficits qu’implique leur stabilisation entretiennent finalement le doute, donc les primes. Pour en sortir, il faut réduire les « spreads » et aller encore plus loin dans le principe de mutualisation. La BCE a toujours la possibilité d’acheter d’avantage de titres dans le cadre du SMP Mais, ce faisant, elle s’éloignerait encore un peu plus des limites de son mandat, qui s’arrêtent à la stabilité des prix. Sa charge pourrait être partagée par un FESF aux moyens financiers accrus, une option défendue par la BCE et qui, semble-t-il, gagne du terrain au sein de l’Eurogroupe.
D’après le Financial Times, l’Allemagne serait disposée à accepter une augmentation de la taille comme des prérogatives du mécanisme permanent de résolution des crises. Reste à savoir quand et sous quelles conditions. L’une d’entre-elles, probablement la plus importante, est relative au temps. Il n’y a pas d’exemple de retour à des ratios d’endettement soutenables qui n’ait réclamé plusieurs années : onze pour le Canada, qui a ramené sa dette publique de 102% à 65% du PIB de 1996 à 2007, et encore au bénéfice d’une expansion rapide de son activité (3,3% par an en moyenne). Les pays du Sud de l’UEM, à qui l’on prête un potentiel de croissance plutôt faible, mettront plus longtemps.
A titre d’exemple et aux taux d’intérêt actuels (6% sur toute la courbe des rendements), le Portugal ne parvient à stabiliser son ratio d’endettement qu’à l’horizon de 2016 et aux alentours de 101%, cela en supposant un effort de rigueur constant (déficit budgétaire primaire réduit d’un point de PIB chaque année), un retour de l’économie sur un sentier de croissance acceptable (1,5% par an) et une inflation de 2%. Un abaissement de 200 points de base du coût d’emprunt permet de raccourcir de deux ans le délai d’inversion de la dynamique de dette et de ramener de 2025 à 2022 l’horizon du retour à la limite des 60%.
NOTES
- Le 6 janvier 2011, le rendement moyen des emprunts d’Etat en zone euro donné par l’indicateur EuroMTS ressortait à 3,03% pour les maturités de 3 à 5 ans et à 3,66% pour les maturités de 5 à 7 ans. Source : Thomson Reuters.