par Frederik Ducrozet et Isabelle Job, économistes au Crédit Agricole
La BCE a créé la surprise hier en adoptant une tonalité résolument plus agressive. Est-ce le prélude à l’activisme ? Sans doute pas à court terme, mais les changements de formulation marquent un vrai point d’inflexion, qui pourrait à terme se traduire par des actes en cas de hausse des anticipations d’inflation, à condition que la situation se calme sur le front des souverains.
Jeudi se tenait la première réunion de la BCE en 2011, la dernière année pour Jean-Claude Trichet qui va passer la main en octobre, et sans doute une des plus difficiles de son mandat étant donné le contexte de crise des souverains européens. Pourtant, M. Trichet a semblé entamer l’année ragaillardi, avec un discours d’une tonalité plus agressive sur le front du risque inflationniste.
Les changements de formulation dans le communiqué officiel de la BCE marquent un vrai point d’inflexion, avec une réévaluation en hausse du risque inflationniste, au moins à court terme. L’inflation en zone euro a dépassé pour la première fois depuis deux ans la cible de la BCE, en s’établissant à 2,2% en g.a. en décembre. Il n’en fallait pas plus pour que le Conseil des Gouverneurs souligne les pressions à la hausse sur l’ensemble des prix, même si une large partie reste imputable aux progressions des prix de l’énergie, et du pétrole en particulier. Le jugement à plus long terme est plus mesuré, la stabilité des prix n’étant pas jugée menacée. Mention est néanmoins faite que ce diagnostic pourrait évoluer en cas de matérialisation du risque haussier sur les prix (« les risques pourraient évoluer à la hausse »).
Ainsi, bien qu’au final la balance des risques reste inchangée par rapport à décembre (équilibrée sur l’inflation et légèrement baissière sur la croissance), ce changement de ton n’est pas anodin et la question reste de savoir s’il peut être le prélude à de l’activisme monétaire dans un contexte où l’inflation va probablement continuer d’augmenter pour s’établir autour de 2,5% en février. Si ce risque n’est pas nul, mais l’inflation observée et les anticipations d’inflation restent encore nettement inférieures aux niveaux observés à l’été 2008, lorsque la BCE avait délivré une hausse de taux surprise visant à combattre les effets de second tour sur les salaires.
Autre ajout important, celui du mot « encore » dans plusieurs phrases du communiqué, qui suggère que la tonalité pourrait se raffermir dans les prochains mois. En particulier, le fait que le niveau des taux est « encore » jugé approprié laisse penser qu’il pourrait ne plus l’être pour très longtemps. Cela ne signifierait pas pour autant qu’un premier tour de vis puisse avoir lieu à brève échéance, une telle hypothèse étant suspendue à la matérialisation des risques d’effets de second tour sur l’inflation, mais aussi à une évolution favorable sur le front de la crise des dettes souveraines.
Sur ce sujet, il est intéressant de noter que M. Trichet a une nouvelle fois fait référence aux divergences réelles existant entre les différents états américains en vue de minimiser les problèmes créés par une hétérogénéité croissante au sein de la zone euro. Il a également rappelé que de telles divergences avaient déjà existé en zone euro. Dans les années 90, l’Allemagne, considérée alors l’enfant malade de la région, a longtemps vécu au ralenti, et ce même après son adhésion à l’euro alors que les pays du sud de l’Europe, en plein rattrapage, enregistraient des taux de croissance flatteurs. Pour le président de la BCE, cette grande dispersion entre les situations conjoncturelles à l’intérieur de l’UEM a probablement atteint un pic en 2009 et devrait progressivement s’estomper.
Sur le sujet des dettes publiques, M. Trichet a, comme à l’accoutumée, appelé les Etats-membres à prendre leur responsabilité et à remettre rapidement de l’ordre dans leurs finances, sans pour autant viser un pays en particulier. Il est d’ailleurs resté très vague sur la situation spécifique du Portugal ou de l’Irlande.
En revanche, il a exhorté les dirigeants européens à prendre des mesures pour améliorer le fonctionnement (tant en qualité qu’en quantité) du fond de stabilisation européen (en particulier la Facilité Européenne de Stabilité Financière, la FESF). Ceci fait écho à une proposition, semble-t-il émise par la Commission Européenne, qui pourrait augmenter la capacité de prêt de la FESF (nettement inférieure aux 440 Mds d’euros promis initialement, en raison des exigences de sur-collatéralisation du véhicule et de la non prise en compte des pays aidés), mais aussi lui permettre d’acquérir des obligations souveraines sur le marché secondaire. Une option qui n’en est qu’au stade de la proposition avant la réunion Ecofin/Eurogroup des 18-19 janvier, mais qui ne manquerait pas de satisfaire les membres les plus « hawkish » de la BCE qui ont marqué leur désaccord vis-à-vis de l’activation du programme d’achat d’obligations souveraines, pour eux assimilable à une monétisation indirecte des déficits publics aux conséquences potentiellement inflationnistes.
Les marchés ont été pris de court par le changement de tonalité de la BCE. Leur réaction a été immédiate, avec une parité EUR/USD qui s’est rapidement hissée au-delà des 1,33 et des taux d’intérêt aux maturités courtes sous forte pression haussière.