par Jean-Christophe Caffet, économiste chez Natixis
En France comme à l’échelle globale, l’exercice 2010 aura finalement été meilleur que nous ne le pensions initialement. Soutenue par la reprise très vigoureuse des échanges, la croissance mondiale devrait en effet avoir approché +3,5% (+2,3% initialement prévu), la performance française s’affichant pour sa part à +1,6%1 (+1,1% initialement prévu).
Ponctué par un dernier trimestre apparemment prometteur, l’exercice 2010 ne doit cependant pas induire en erreur : les raisons qui nous incitaient à un certain pessimisme nous semblent en effet toujours d’actualité et sont à l’origine de nos prévisions – plus consensuelles cette année – pour 2011 et 2012.
Le point clef de notre scénario pour la France réside dans la déformation à venir du partage de la valeur ajoutée. La crise s’est en effet traduit par une baisse très prononcée de la profitabilité des entreprises (à un plus bas de plus de 25 ans), l’ajustement au choc passant davantage par la productivité du travail (productivité par tête) que par l’emploi2. Or, nous l’avons déjà écrit à de nombreuses reprises3, dans un contexte de désendettement des firmes (des PME notamment), la restauration des capacités d’autofinancement nous semble constituer un pré-requis à une reprise pérenne et durable, tirée par l’investissement productif. Sauf à rogner de manière significative sur les versements de dividendes, ce qui ne nous parait pas à l’ordre du jour, la restauration de l’épargne des sociétés non financières (SNF) passera nécessairement par la hausse de leur taux de marge, autrement dit par une déformation du partage des revenus au détriment des salariés.
Le pouvoir d’achat des ménages sera donc particulièrement contraint – pris en étau entre la faiblesse des revenus salariaux et le début de la consolidation budgétaire d’une part et l’inflation (importée) d’autre part – entrainant un ralentissement substantiel de la consommation, principal (sinon unique) moteur de l’économie française depuis plus de dix ans.
Aussi, après la contribution positive enregistrée en 2010 (+0,2pt de PIB selon nos dernières estimations), il nous semble fort peu probable que le commerce extérieur soutienne la croissance à notre horizon de prévision. Alors que les variations de stocks – dont le contenu en importations est assez élevé – devraient continuer de contribuer positivement à la croissance en 2011/2012, le commerce mondial est en effet appelé à ralentir, entrainant dans son sillage les exportations françaises dont l’orientation géographique reste plutôt défavorable (très forte exposition à la demande européenne dont les perspectives de croissance sont particulièrement déprimées). L’évolution récente des exportations françaises est à cet égard assez éloquente, soulignant la dichotomie entre pays d’Europe du Nord et pays d’Europe du Sud : alors que les flux vers l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Autriche, la Finlande etc. sont en forte croissance, ceux vers la Grèce, l’Espagne, le Portugal reculent de manière relativement marquée.
Seule vraie bonne nouvelle, les perspectives d’investissement des entreprises nous semblent légèrement mieux orientées, quoique toujours très incertaines. Faible profitabilité, endettement très prononcé, et sous-utilisation toujours marquée des capacités de production agiront en 2011/2012 comme autant de freins à l’investissement des SNF. La reprise des marchés actions et la hausse de la profitabilité des entreprises que nous prévoyons dans notre scénario central devraient toutefois libérer quelques marges de manœuvre, compatibles avec une hausse de l’ordre d’un demi- point du taux d’investissement des SNF et un redressement sensible de leur taux d’autofinancement.
Après 1,6% en 2010, la croissance devrait donc selon nous s’afficher à 1,5% en 2011 puis 1,7% en 2012. Les principaux risques sur ce scénario nous semblent baissiers, très étroitement liés à l’évolution des prix des matières premières. Un aléa haussier réside toutefois à court terme dans une moindre déformation du partage des revenus, hypothéquant néanmoins les perspectives d’activité, via de moindres dépenses d’investissement, à plus long terme.