par Frédéric Buzaré, Reponsable de la gestion Actions de Dexia Asset Management
L’événement d’importance le plus récent a été la forte hausse des rendements obligataires à long terme. Aussi longtemps que les rendements à 10 ans demeurent inférieurs au taux de croissance nominale, il n’y a pas réellement de problème et le moyen le plus rapide de trouver une solution est de tenter de maintenir les rendements bien en-deçà de la croissance nominale. Il est réellement important de comprendre et d’interpréter cette hausse. Les taux d’intérêt augmentent parce que les investisseurs ont moins peur d’une déflation ou parce que les prévisions de croissance du PIB pour 2011 sont revues à la hausse. Le « paquet » fiscal pourrait offrir un coup de pouce aux estimations du PIB en 2011 pouvant aller jusqu’à 0,5 % grâce, presque intégralement, à une augmentation de la consommation.
Toutefois, la hausse des prix de l’énergie et la récente poussée des taux d’intérêt pourraient déjà être en train de neutraliser une certaine partie de l’impact positif sur la croissance de ce nouveau « paquet » fiscal. De plus, la plupart des révisions à la hausse pour 2011 sont artificielles en ce sens où elles sont dues à des réductions d'impôts pour les contribuables et au prolongement des allocations pour les chômeurs qui, tôt ou tard, vont bien devoir être financées.
Le principal défi de ce monde « d’après 2008 » est celui de la stabilité ou de la durabilité. La dernière crise a éclaté parce que la croissance était entretenue au détriment de la stabilité. L’objectif de la Réserve fédérale, voire de toute banque centrale, devrait être une croissance durable et non la baisse des taux d’intérêt en tant que tel. Le maintien prolongé de politiques monétaires extrêmement accommodantes en Amérique et en Europe va certes stimuler la croissance de l’économie mondiale, mais au prix d’une instabilité financière de plus en plus importante et de conséquences non voulues à l’avenir.
Dans la mesure où les politiques monétaires divergent de par le monde (accommodante aux États-Unis, restrictive en Chine), les conséquences imprévues vont se faire ressentir sur les marchés. Les États-Unis devraient avoir une politique monétaire laxiste accompagnée d’une politique budgétaire rigoureuse. Dans le même temps, la Chine se doit d’accepter la tendance persistante de son inflation à s’accélérer, tout comme la propension de son économie à surchauffer et le caractère abusivement élevé de son excédent commercial. Et ne pas vouloir accorder un rôle plus important au taux de change via l’appréciation du yuan afin d’y remédier menace l’économie intérieure d’un atterrissage brutal, la dernière des choses dont le monde a besoin en ce moment.
En dépit de certains progrès, la situation dans la zone euro n’est pas pour autant encore réglée. Il s’agit là d’une crise budgétaire qui devrait être résolue par les autorités budgétaires et non par la Banque centrale européenne (BCE), laquelle ne peut apporter qu’une solution temporaire en cas d’échec des marchés. Une solution budgétaire comporte deux aspects : la consolidation budgétaire dans les pays périphériques et un soutien à la liquidité apporté par la mise en commun de moyens budgétaires.
Même si la BCE procède également à un programme d’achat d’actifs, la situation dans la zone euro et aux États-Unis est différente. Tandis que la seconde vague d’assouplissement quantitatif (« QE2 ») outre-Atlantique est supposée offrir un soutien monétaire à un environnement dans lequel le taux d’intérêt nominal est proche de zéro, les achats d’emprunts d’État dans la zone euro aident les pays confrontés à des problèmes de solvabilité. Une longue période de soutien à la liquidité à un coût d’emprunt subventionné est nécessaire, tandis que les économies périphériques se doivent de mettre en œuvre des réformes structurelles et une consolidation budgétaire de grande ampleur.
La principale source d’appréciation des actions reste l’augmentation des multiples de valorisation grâce à une moindre prime de risque. Et cela dépend en grande partie de la faiblesse prolongée des taux d’intérêt et de la volonté durable des responsables politiques de relancer l’économie. Compte tenu de l’importance grandissante de la politique, une certaine volatilité est ainsi probable. Les perspectives sur le front politique demeurent extrêmement importantes pour 2011. Avec une Réserve fédérale surveillée de plus en plus étroitement et un gouvernement divisé à Washington, l’incertitude politique est grande. Cela implique également un plus grand risque d’erreurs de prévisions. Si on leur avait demandé l’an passé, peu de personnes auraient prévu le « QE2 ». La crise dans la zone euro est gérable si elle est circonscrite au Portugal, à l’Irlande et à la Grèce. Mais, l’appétit pour le risque serait mis à mal si la crise devait également gagner l’Espagne.
Les perspectives à moyen terme sont toujours plutôt positives pour les actions, mais certains nuages assombrissent le paysage à court terme. Tout comme en 2010, les marchés d’actions vont faire preuve d’instabilité en 2011, impliquant ainsi que les cours pourraient enregistrer d’importantes progressions suivies de corrections intermittentes et sévères. La reprise économique mondiale a atteint un stade où les heurts entre diverses forces économiques s’intensifient.
Paradoxalement, une croissance vigoureuse ne représente pas le meilleur environnement pour les marchés d’actions dans la mesure où elle pourrait conduire à une hausse de l’inflation et des taux d’intérêt qui ferait avorter la reprise et réduirait à néant l’appréciation des marchés.
Dans l’esprit des investisseurs, la récession en double creux ne constitue plus le principal risque. Au niveau mondial, la reprise économique continue de se renforcer, mais des divergences régionales subsistent. Tout n’est pas si noir dans la zone euro. L’un des indices relatifs à l’activité manufacturière dans la zone euro a progressé de 55,3 à 57,1 en novembre. Alors que l’Allemagne continue de prospérer, quelques signes semblent indiquer que certains des pays plus fragiles de la région commencent à participer à la croissance de l’activité manufacturière. Des pays fragilisés tels que l’Irlande et l’Espagne ont connu une amélioration en décembre et s’établissent au-dessus du seuil de 50. L’indice PMI manufacturier en Italie est passé de 52,9 à 54,7.
Le consensus est plutôt bien orienté en ce sens où 2011 va être la continuation de ce qui s’est passé en 2010. Il pourrait être trop simpliste de présupposer une pure réédition. La spécificité probable de 2011 va prendre la forme de la poursuite de la plupart des tendances de 2010 : les marchés vont demeurer volatils et agités, mais de nouvelles tendances vont également faire leur apparition. Comme en 2009, à la fin de l’année 2010 un certain pessimisme à l’égard d’une reprise prolongée des pays développés reste élevé. La différence de croissance entre les pays développés et émergents va persister, mais elle ne sera pas nécessairement suffisamment grande en 2011 pour se traduire par des performances aussi extraordinaires qu’en 2010.
Dans ce monde post-bulle, nous avons malheureusement à vivre avec l’instabilité et des investisseurs passant d’un extrême à l’autre. Après un environnement de névrose déflationniste au troisième trimestre 2010, les marchés intègrent désormais la possibilité d’une accélération de l’inflation et d’un regain de vigueur de la reprise économique.
L’épreuve de force entre croissance et stabilité va constituer le principal trait distinctif des prochaines années. L’oscillation entre l’un et l’autre de ces deux aspects va déterminer l’orientation des marchés et les divergences entre les régions, styles et secteurs. La question de la dette souveraine en Europe demeure une vive source de préoccupation dans la mesure où elle n’est pas encore convenablement résolue, mais elle ne devrait néanmoins plus être à l’origine de considérables surprises. La confiance est excessive dans la capacité des pays émergents à gérer le dilemme entre croissance et inflation. Une fois encore, le « QE2 » exacerbe le problème de l’inflation dans les pays émergents et les banques centrales asiatiques se montrent plutôt lentes à réagir.
En résumé, la situation pourrait évoluer soit en faveur d’un nouveau contexte idéal (« sweet spot ») pour les marchés d’actions, soit d’une certaine réédition des années 2007-2008 si la flambée des prix des matières premières devait prendre une ampleur accrue. Le premier semestre de cette année pourrait se révéler agité avant un meilleur second semestre. Il reste encore à voir si, dans les semaines qui viennent, les marchés ne vont pas découvrir le revers de la médaille d’une économie américaine en meilleure santé que prévu. Des surprises sont certainement à prévoir. Prendront-elles la forme de nouvelles positives sur le front de la reprise de la zone euro ou d’une erreur de politique en Chine ? Les avis n’ont jamais été aussi partagés sur ces deux points. L’année s’annonce ainsi agitée, mais des plus intéressantes.
Divergence de politique
Tous les yeux étant tournés vers la crise de la dette souveraine, personne ne prête réellement attention à ce qui se passe aux États-Unis où le véritable risque est d’ordre budgétaire, non monétaire. Les derniers événements mettent en évidence qu’il n’existe pas de stratégie de sortie pour une politique budgétaire extrêmement expansionniste. Si l’heure n’est pas à un sérieux durcissement de la politique budgétaire, il devrait tout au moins exister un plan de sortie. Alors que la plupart des pays développés annonçaient des mesures visant à endiguer l’explosion de leur dette publique, de l’autre côté de l’Atlantique, les États-Unis annonçaient pour leur part un nouveau plan de relance budgétaire. La question est : combien de temps encore les États-Unis peuvent-ils éviter de s’attaquer à la réduction de leur déficit ? Les efforts destinés à essayer de remédier au déficit budgétaire à long terme ont vite été oubliés. Il n’existe aucun plan concret pour tenter de venir à bout de la détérioration à plus long terme de la situation du budget du gouvernement fédéral. Le déficit à court terme prend une direction haussière et non baissière. Sous l’angle des marchés d’actions, le risque est celui d’une hausse des taux d’intérêt à long terme et, ce faisant, d’une réduction des multiples de valorisation.
Le dernier projet de plan de relance va recreuser le déficit à près de 10 % du PIB en 2011. Elément tout aussi important, les tentatives pour commencer le tour de vis budgétaire, ou tout au moins pour en planifier le début, ont avorté. A un moment, ce sont les marchés financiers qui pourraient devoir contraindre le gouvernement américain à prendre les mesures qui s’imposent.
Le momentum est un allié jusqu’à ce qu’il prenne fin
Si le momentum a de loin été le style gagnant en 2010, il est désormais devenu cher. Et c’est là un point important dans la mesure où, dans le passé, le style momentum a eu tendance à sous-performer une fois devenu cher. A l’heure actuelle, acheter le momentum exige de payer une prime. Les seules occasions où des primes de cette ampleur avaient été auparavant requises remontent à l’apogée de la bulle des valeurs TMT en 2000 et de la crise bancaire des années 2008-2009. Le rythme auquel les analystes ont dernièrement revu à la hausse leurs prévisions concernant les entreprises ayant surperformé est également stupéfiant. Une fois de plus, la divergence de sentiment parmi les analystes a atteint un niveau extrême non viable. Les anticipations à l’égard de certaines valeurs gagnantes (comme LVMH) ont atteint un niveau tel qu’ils rendent désormais moins évidente la possibilité de toute surprise positive à l’avenir.
Adopter une perspective « pays » est encore pertinent
Le principal facteur pesant sur le sentiment à l’égard des marchés d’actions de la zone euro est la crise de la dette souveraine dont l’impact est illustré par l’étroite corrélation négative qui existe entre les valorisations et les niveaux d’endettement des pays européens.
Le poids de la dette publique engendre actuellement un coût exorbitant sur les valorisations des actions, les entreprises cotées dans les pays possédant un ratio dette/PIB relativement faible se négociant avec des ratios cours/valeur comptable près de deux fois plus élevés que celles cotées dans des pays présentant des ratios dette/PIB importants. La question clé demeure : la prime de risque compense-t-elle suffisamment le manque de croissance en Europe du Sud ? L’Italie reste intéressante compte tenu des niveaux de valorisation actuels, tandis que dans le Nord, la Norvège est toujours une place boursière refuge. Le marché italien se négocie à 9 fois les bénéfices estimés en 2011, alors que le rendement obligataire italien est de 4,6 %, soit un ratio cours/bénéfice de plus de 20 et une significative prime de risque. Bien que pouvant encore possiblement surréagir, le marché italien intègre toutefois déjà dans les cours la majeure partie du risque « normal ».
Valeurs financières plutôt que cycliques ?
Dans la mesure où la majeure partie du potentiel d’appréciation des marchés proviendra de la contraction de la prime de risque, nous allons privilégier les valeurs étant les plus affectées. Les primes de risque actuellement associées aux établissements financiers sont supérieures à celles qui avaient précédemment accompagné des conditions de risque similaires.
Le crédit bancaire dans la zone euro est un facteur clé. Il s’est amélioré et a désormais renoué avec une croissance positive.
Une nouvelle fois, c’est la croissance des multiples de valorisation qui est à la base du potentiel d’appréciation des marchés d’actions européens. Les valorisations ont baissé, et ce, même si le risque d’une récession à double creux s’est substantiellement atténué.
La stratégie : la même situation – des règles différentes
Le prochain leadership demeure notre véritable dilemme pour les actions européennes. La dispersion n’a jamais été aussi élevée entre les valeurs de croissance et les valeurs de rendement.
Depuis quelques semaines maintenant, nous nous attendons à un retour vers la moyenne. Les premiers jours de cotation de l’année 2011 ont été plutôt encourageants en la matière. Les entreprises des pays émergents ne surperforment plus. Stratégiquement, et tout en favorisant le style de croissance par rapport au style « value », nous demeurons prudents à l’égard des valeurs tirées uniquement par le momentum et les ignorons donc, estimant qu’elles représentent le thème le plus sur-joué. Nous établissons également une distinction entre la croissance élevée et celle normale/régulière afin de privilégier cette dernière.
Une fois encore, l’intégration des valeurs de croissance les plus prisées ne représente plus une source certaine de bonne gestion du rendement/risque. Cela peut paraître peu exaltant, mais rien n’a modifié notre point de vue depuis notre dernière publication et nous continuons de penser, qu’à court terme, le balancier est excessivement déséquilibré entre les valeurs de croissance et celles de rendement. D’une manière générale, nous sommes prudents, et adoptons en ce sens une approche à contre-courant, vis-à-vis des entreprises émergentes. En un mot, nous souhaitons parvenir à un meilleur équilibre entre les styles de croissance et de rendement au cours des prochaines semaines.
Il y a une quinzaine de jours environ, nous avions indiqué que les entreprises exposées aux États-Unis pouvaient être à l’origine de surprises potentielles compte tenu de la persistance de la dynamique positive de l’économie américaine. Nous cherchons à identifier des entreprises présentant une valorisation attractive, un solide modèle de gestion exposé à l’économie américaine et appelées à surprendre.
Alors que les bénéfices sont à des niveaux record et que les dépenses d’équipement se situent à des niveaux historiquement bas, nous continuons de nous demander si les dépenses des entreprises (en-dehors du secteur minier) pourraient constituer un thème intéressant à jouer en 2011. Les segments tardivement cycliques tels que les services informatiques et la publicité ont généralement le profil et offrent un meilleur rapport rendement/risque que les biens d’équipement aux niveaux actuels. En 2010, le secteur industriel n’a pas suivi les règles traditionnelles. Nous restons circonspects à l’égard de ce segment de marché. Compte tenu d’un cycle de restockage achevé et d’un momentum des ratios cours/bénéfice à son plus haut niveau historique, nous ne prévoyons pas une surperformance similaire du secteur en 2011.
En termes de secteurs, nous sommes toujours dans l’optique de mettre fin à la sous-pondération des banques. Nous avons revu à la baisse la surpondération des télécommunications dans le but de devenir neutres. L’absence de croissance et de pouvoir de fixation des prix, ainsi que l’instabilité de la concurrence, empêchent une surperformance durable. Parmi les segments de marché défensifs, nous préférons les biens de consommation de base. Les récentes enquêtes auprès des investisseurs confirment que le pétrole fait l’objet d’un regain d’intérêt. Le pétrole brut a constitué le parent pauvre du secteur des matières premières pendant la majeure partie de 2010. Nous continuons de considérer le secteur pétrolier intégré comme étant la voie à suivre. Les grands groupes d’exploration et de production sont intéressants à tous les points de vue (exposition bon marché aux pays émergents, couverture contre l’inflation, dividendes élevés).
Un nouvel environnement satisfaisant (« sweet spot ») pour les marchés d’actions est tout à fait possible à condition que la seconde vague d’assouplissement quantitatif (« QE2 ») s’avère ne pas être qu’un cas isolé et que les prochains mois soient placés sous le signe d’une coopération des autorités monétaires à l’échelle mondiale. Le vif sujet de préoccupation n’est plus la déflation, mais bien la manière dont les pays émergents vont surmonter l’envolée des prix des matières premières. En 2008, la hausse des prix des matières premières s’était mal terminée. Jusqu’à présent, même si le prix du pétrole n’a pas retrouvé ses niveaux de 2008, il se redirige néanmoins vers les 100 dollars, la zone de danger. L’inflation dans les pays émergents pourrait devenir un véritable problème et venir gâcher la fête. L’ADN des marchés d’actions est certes la croissance, mais trop de croissance n’est pas souhaitable.
Aussi, au cours des semaines à venir, nous allons suivre avec attention les anticipations inflationnistes et les prêts bancaires de façon à mesurer l’efficacité du « QE2 ». Nous allons également étroitement observer le marché obligataire américain (un déterminant clé des marchés d’actions). Les investisseurs pourraient bien découvrir le revers de la médaille d’une reprise économique plus vigoureuse que prévu et, dans un premier temps, en être effrayés.
A court terme, nous faisons preuve de prudence et de patience, certaines tendances étant sur le point de surréagir. Nous allons continuer de progressivement mettre un terme à notre sous-exposition aux banques et attendre un meilleur moment pour renforcer notre exposition aux marchés émergents.