BCE : hausse des taux à venir, quelques explications

par Philippe Waechter, Directeur de la recherche économique de Natixis AM

La banque centrale européenne a décidé de maintenir ses taux d'intérêt stables lors de sa réunion du 3 mars. Cependant, l'analyse et les éléments de langage suggèrent que lors de la prochaine réunion du 7 avril, la BCE remontera ses taux de référence de 25 points de base portant ainsi le taux de refinancement à 1.25 %.

Les éléments de langage sont au moins au nombre de deux. Dans l'introduction, lors de l'annonce de la décision sur les taux, Jean Claude Trichet n'a pas indiqué que les taux d'intérêt, en étant maintenu au niveau actuel, étaient au niveau approprié. Dans la conclusion il parle de "strong vigilance" pour contenir les risques haussiers pesant sur la stabilité des prix.

Il a écarté une remontée de 50 points de base et a indiqué que ce mouvement probable d'Avril ne démarrait pas une période de remontée systématique des taux.

Les raisons : il y en a 3

  • La première est très clairement la hausse du prix des matières premières qui se retrouvent dans la hausse des prévisions d'inflation de la BCE pour 2011 mais sans se transmettre à 2012. Lors de l'exercice de prévisions de décembre, le taux d'inflation au milieu de la fourchette fournie par la BCE était de 1.8 %, il passe à 2.3 %. Pour 2012, ce chiffre de milieu de fourchette passe de 1.5 % à 1.55 %. Au-delà du prix des matières premières, il existe un risque haussier de l'inflation à moyen terme si l'activité redémarre provoquant des pressions sur les prix en raison d'une demande plus forte mais aussi en raison des hausses de fiscalité qui pourraient être nécessaire dans le cadre de la consolidation budgétaire.
  • L'activité a redémarré. En conséquence, la politique monétaire est trop accommodante avec un taux refi à 1%. On peut ici s'appuyer sur un graphique ci contre qui présente une grande régularité et qui lie l'activité retracée par l'enquête PMI/Markit pour la zone Euro et la variation sur 6 mois du taux de refi. L'enquête reflète ainsi les inflexions de l'activité et la BCE ajuste son taux de refi à celles-ci. Ce graphe est intéressant car il suggère qu'en raison de la crédibilité acquise et entretenue par la BCE, le taux d'inflation ne s'éloignera pas trop du seuil de 2 % et qu'en conséquence, les orientations de la politique monétaire sont principalement conditionnées par l'activité.
  • Les membres de la BCE étaient dans une situation de plus en plus inconfortable en raison de la perception d'une politique monétaire vraiment trop accommodante. C'est ce qu'a exprimé récemment le gouverneur de la banque de Hollande, Nout Wellink, qui indiquait que puisque la reprise était là il fallait rapidement durcir le ton et qu'en conséquence le taux de la BCE était trop bas pour éventuellement peser sur la conjoncture. On peut appréhender ce phénomène par le bais du taux de refi réel de la BCE retracé dans le graphique ci contre.

En d'autres termes, l'activité reprenant, les risques d'inflation s'accentuant chaque jour avec la hausse des matières premières et notamment énergétiques et en raison d'une politique monétaire très accommodante (taux réel négatif), il fallait réagir. C'est ce que promet la BCE pour le mois d'Avril. Une telle pression permet ainsi de réduire fortement les risques de second tour, c'est-à-dire de transmission du choc inflationniste vers le reste de l'économie.

Cette hausse du taux refi ne sera pas la seule cette année. Si les conditions macroéconomiques sont proches de celles observées aujourd'hui on peut estimer qu'il y aura au moins une autre hausse des taux de la BCE avant la fin de l'année.

Pourquoi nous ne partagions pas cette analyse ?

Tous les éléments évoqués sont connus mais cela n'était pas notre scénario. Trois facteurs nous incitaient à souhaiter le maintien d'une politique monétaire accommodante.

– Le premier point est que le niveau d'activité est encore limité. Celui-ci, pour l'ensemble des pays de la zone Euro, y compris l'Allemagne, est encore inférieur à ce qu'il était avant la récession. La zone Euro a subi un choc brutal et persistant qui a été suffisamment fort pour que le rattrapage simplement sur le niveau d'activité antérieur ne soit pas effectué. L'écart entre le dernier trimestre 2010 et le point haut du 1er trimestre 2008 est de -2.9 %. C'est ce que montre le graphique en bas de la page précédente.

Cette situation reflète des évolutions très hétérogènes, de l'Allemagne qui caracole à la Grèce ou l'Irlande toujours en grande difficulté même si pour cette dernière les enquêtes sont meilleures et traduisent une amélioration significative des perspectives. N'oublions pas cependant qu'à la fin du 3ème trimestre, le PIB irlandais était 11.8 % en dessous de son point haut de 2007. L'amélioration ne va pas spontanément créer des tensions sur l'appareil productif.

Cette hétérogénéité est parfaitement perceptible sur le graphique ci contre qui retrace l'évolution du PIB des pays de la zone euro depuis la récession (base 100 au 1er semestre 2008)

Ce sont ces deux graphiques qui pour nous compensait celui présenté à la page précédente et figurant l'enquête PMI/Markit et la variation sur 6 mois du taux de refi. Le niveau de l'activité, toujours très bas, nous semblait un facteur de maintien de taux bas, même si les flux de nouvelles, à court terme, étaient mieux orientés.

– La deuxième raison est que le marché du travail connait encore une dynamique limitée. L'emploi repart difficilement à la hausse et la baisse du taux de chômage au mois de janvier (9.9 % après 10 % depuis avril 2010) est encore insuffisante pour suggérer une reprise forte et marquée du marché du travail. Le niveau d'emploi est encore réduit mais il est vrai que les signaux de flux sont plus favorables. Il suffit de lire l'enquête PMI/Markit pour imaginer que la situation va progressivement s'améliorer. C'est juste mais en partant d'un niveau très bas et avec des disparités très fortes au sein de la zone Euro. 

– Le dernier facteur est la formation des prix. Lorsque l'on observe le taux d'inflation en zone Euro, on constate que si effectivement les contributions des matières premières (alimentaires et énergie) deviennent plus marquées, celle du taux sous jacent reste réduite. C'est ce que l'on voit sur l'avant-dernier graphique. On peut imaginer cependant au regard des prix alimentaires que la contribution de ce poste va s'accroitre rapidement et peser directement sur le comportement des consommateurs.

On constate alors sur le dernier graphique que l'évolution de l'indice sous jacent est conditionnée par celle des négociations salariales qui dépendent elles-mêmes de la situation sur le marché du travail.

Jean Claude Trichet a reconnu que ce maillon dans la chaine de la formation des prix ne posait pas un véritable problème.

Pour des raisons liées au choc subi de la récession de la fin 2008 et en raison de la persistance de celui-ci sur l'ensemble de l'économie de la zone Euro, il me semblait que le maintien de taux d'intérêt très bas permettait de renforcer la reprise dans un contexte où la consolidation budgétaire se met en place et va nécessairement peser sur la dynamique de reprise. Cela me semblait une bonne gestion du policy mix. Une politique budgétaire restrictive avec une politique monétaire toujours très accommodante alors que la reprise prend de l'ampleur (ce dernier point est développé dans un papier envoyé mardi sur l'enquête PMI/Markit en zone Euro pour le secteur manufacturier).

Conclusion

La BCE et Jean Claude Trichet vont très probablement changer de cap lors de la réunion le 7 avril prochain. Seul un évènement modifiant de façon spectaculaire le scénario pourrait inciter la BCE à maintenir le cap actuel.

On se souviendra qu'en juillet 2008 après la hausse des taux de la BCE, le prix du baril avait rapidement plafonné puis baissé éloignant toute velléité de durcissement supplémentaire de la politique monétaire. La situation tendue sur le prix du baril ne reflétait cependant pas des tensions géopolitiques. On ne peut pas faire l'hypothèse que celles-ci vont spontanément disparaitre. Cela signifie que cette incertitude maintiendra un prix élevé du pétrole ce qui n'incitera pas Jean Claude Trichet à faire marche arrière.

En conséquence, si le prix du pétrole ne monte pas trop afin de ne pas resurgir le risque d'une récession résultant d'un choc pétrolier (selon les conditions que j'évoquais hier dans un papier), il est probable que la BCE a commencé un cycle de durcissement de sa politique monétaire et qu'elle modifiera, pas trop rapidement, sa politique monétaire tout en entretenant le sentiment que le mouvement haussier sera maintenu. L'objectif est certainement de revenir, dans un premier temps, à un taux réel nul, probablement dans le courant de 2012.