De se battre, le Portugal a arrêté

par Alexandra Estiot et Thibault Mercier, économistes chez BNP Paribas

  • Le Premier ministre Socrates aura tout tenté pour échapper à la facilité de financement européenne. Il s’est finalement rendu à l’évidence le 6 avril, en faisant appel à l’aide internationale.
  • Pour le Portugal, continuer de se financer sur les marchés n’avait plus guère de sens.
  • Les problèmes du pays sont typiquement ceux que le FMI sait traiter. Vécue comme une humiliation, cette décision était, néanmoins, celle à prendre.

 

Le Portugal n’est ni la Grèce ni l’Irlande

Le Portugal soutient que sa situation est différente de celle de la Grèce et de l’Irlande, qui ont toutes deux accepté l’aide de l’UE et du FMI : son déficit et sa dette sont moins élevés, le pays n’a pas connu de bulle immobilière et ses banques sont saines. Si l’on s’en tient aux chiffres, la dette brute de l’Etat s’élevait à 82,9% du PIB en 2009, contre 127% pour la Grèce. Son déficit budgétaire s’est établi en moyenne à 7,4% du PIB sur la période 2008-2010, contre 11,5% pour la Grèce et 18% pour l’Irlande. De plus, le gouvernement a mis en œuvre trois vagues successives de réformes structurelles visant à enrayer la croissance de la dette publique. Quant au secteur bancaire, l’adjectif “sain” est peut-être exagéré, mais la situation est effectivement meilleure qu’en Irlande et en Grèce1.

Le gouvernement a fait tout son possible pour éviter un sauvetage par la Troïka (FESF, Commission européenne et FMI), ce pour plusieurs raisons. Premièrement, ce type d’intervention a un coût politique, comme les élections irlandaises l’ont montré (ledit coût politique pouvant, toutefois, se manifester avant le sauvetage, comme on a pu le voir au Portugal). Deuxièmement, à partir du moment où la Troïka a été appelée à l’aide, le gouvernement n’a plus les cartes en main. Il a bien sûr son mot à dire lors des négociations mais une fois que l’aide a été accordée, il n’a plus d’autre choix que de tenir les promesses faites dans la lettre d’intention au FMI. Troisièmement, il y a un coût, assez difficile à quantifier, susceptible de survenir plus tard, lorsque le pays peut recommencer à se financer sur les marchés de la dette. Standard and Poor’s précise2 qu’entre autres critères, ses notes dépendent notamment de “la manière dont les autorités ont géré les crises politiques, économiques et financières par le passé et ont accompagné la croissance économique”. Il y a fort à parier que lorsque la prochaine crise surviendra, les pays qui ont été secourus par la Troïka verront leurs spreads s’accroître plus vite que les autres.

Une crise qui devient politique

Le 11 mars 2011, le ministre des Finances a annoncé des réductions supplémentaires de dépenses (0,8% du PIB en 2011, 1,6% en 2012 et 0,8% en 2013) et des mesures visant à augmenter les recettes fiscales (0,9% du PIB en 2012 et 0,4% en 2013), le but étant de tout faire pour s’assurer que l’objectif de déficit (4,6% du PIB) sera atteint en 2011.

Tous ces efforts n’auront pas suffi à rassurer les marchés et les agences de notation. Le 23 mars, le quatrième plan d’austérité du gouvernement de M. Socrates a été massivement rejeté par le Parlement obligeant le Premier ministre socialiste à démissionner. La crise politique s’est ajoutée aux difficultés économiques déjà rencontrées par le pays. Des élections anticipées ont été fixées au 5juin. Au deuxième trimestre, le pays doit faire face au remboursement de plus de EUR 9 milliards de dettes (EUR 4,3 mds en avril et EUR 4,9 mds en juin).

Des dégradations en chaîne

Les marchés et les agences de notation ont réagi très rapidement et parfois brutalement à ces nouvelles. Entre le 21 mars et le 5 avril, les taux portugais à 5 ans sont passés de 7,8% à 10,4%. Standard & Poor’s et Fitch ont dégradé le pays à deux reprises en l’espace de quelques jours. Le 24 mars, Standard & Poor’s est passé de A- à BBB (2 crans) et Fitch de A+ à A- (2 crans). Le 29 mars, Standard & Poor’s a de nouveau dégradé le souverain portugais d’un cran, à BBB-, tandis que le 1er avril, Fitch abaissait la note souveraine de 3 crans, à BBB-. Moody’s a été des trois agences celle dont les décisions de rating ont été les plus tardives et jusqu’à présent les plus modérées. Elle a baissé la note souveraine du Portugal d’un cran le 5 avril, à Baa1, au même niveau que l’Irlande. Aujourd’hui les notations souveraines par les agences de notation sont les suivantes : Moody’s, Baa1 ; Standard & Poor’s, BBB- ; Fitch, BBB-. Dans la grille de rating de Standard & Poor’s et de Fitch, le Portugal est à un cran de la catégorie “speculative grade”.

Jusqu’à présent deux éléments sous-tendaient la dégradation du risque pays : le refus (ou l’incapacité) du gouvernement de demander l’aide européenne avec le risque de transformer une crise de liquidité en crise de solvabilité ; la révision par Eurostat, le 1eravril, des chiffres de déficit et de dette passés, réévalués respectivement à 8,6% du PIB en 2010 (contre 7%) et 92,4% du PIB (contre 82-83%).

Et finalement, l’appel à l’aide

Si le deuxième élément reste vrai, augmentant l’effort de consolidation budgétaire requis, l’appel à une aide financière extérieure par le gouvernement intérimaire de M. Socrates le 6 avril, allège considérablement la pression sur les finances publiques. En effet, dans une ultime tentative d’échapper à l’aide internationale, le Portugal a récemment émis à très court terme. Les taux d’intérêt qu’il a dû accepter étaient punitifs. Le 1er avril, l’émission de titres à quatorze mois s’est faite à un taux de 200 pb supérieur à ce que demande le marché pour financer l’Allemagne à … trente ans ! Le 6 avril, l’agence portugaise de la dette (IGCP) a émis de nouveau, à six et douze mois, des titres assortis de taux d’intérêt de 5,1% et 5,9%, respectivement. Le niveau des taux d’intérêt est une chose. L’appétit des banques portugaises pour la dette de leur gouvernement en est une autre. Durant des mois, elles ont absorbé les émissions de l’IGCP, mais cela ne pouvait pas durer éternellement.

Les détails du plan d’aide ne seront dévoilés qu’à la mi-mai, mais M. Rehn, le Commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires l’a chiffré aux alentours de EUR 80 milliards, c’est-à-dire en ligne avec nos propres estimations du besoin de financement du Portugal jusqu’à la mi-21013.

Le plan d’austérité rejeté par le parlement le 11 mars sera un point de départ des réformes prévues par le programme, qui reposera sur trois piliers :

  • ajustement budgétaire en vue de rétablir la soutenabilité de la dette ;
  • réformes visant à l’accroissement du potentiel de croissance et de la compétitivité, dans le but d’établir les bases d’une croissance stable et équilibrée. Ces réformes incluront un plan de privatisation ;
  • des mesures visant à maintenir la liquidité et la solvabilité du système financier.

Le principal obstacle réside dans le fait que le gouvernement de M.Socrates pourrait manquer de légitimité pour négocier de manière irrévocable les termes de l’aide et pour s’engager à long terme sur les mesures conditionnelles. Un changement de gouvernement, très probable après les élections de début juin, pourrait s’accompagner d’une remise en cause des conditions négociées par la précédente administration, comme en Irlande. Néanmoins, le principal parti d’opposition, le PSD, probable vainqueur des élections à venir, soutient la décision de M. Socrates et pourrait participer directement ou indirectement aux négociations.

D’après nos prévisions, en tenant compte des dernières révisions faites par Eurostat, et en faisant l’hypothèse d’un taux de croissance nominale proche de 3% et d’un surplus primaire de 2% à partir de 2014, un taux concessionnel de 4,20% (comme celui octroyé à la Grèce) semble soutenable.

Par ailleurs, un programme de type FMI, fondé non seulement sur des mesures d’austérité mais également sur des mesures structurelles de modernisation de l’économie, apparaît particulièrement adapté pour le Portugal qui souffre davantage d’un problème de croissance et de compétitivité que d’un problème de finances publiques (comme la Grèce) et ne connaît pas d’hypertrophie du secteur bancaire et/ou de l’immobilier (comme l’Irlande).

Nous considérons que le recours à une aide financière UE/FMI est une nouvelle positive pour le pays qui aura ainsi le temps mais aussi la “fenêtre de tir” politique pour mettre en place les mesures structurelles nécessaires au développement de son potentiel de croissance.

NOTES

  1. L’indicateur de qualité du système bancaire (Banking System Indicator, BSI) de Fitch, qui mesure le risque systémique intrinsèque des banques sur une échelle de A (très haute qualité) à E (qualité la plus faible), ressort à C pour le Portugal et à D pour la Grèce et l’Irlande.
  2. Sovereign Government Rating Methodology and Assumptions, 26 novembre 2010, Standard and Poor’s.

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