Guetter les opportunités dans cette phase de turbulences

par Pascale Auclair, directeur général de la gestion Valeurs Mobilières, et Michel Didier, président du Conseil d’Orientation Stratégique chez UFG-LFP

Ce mois de mai ne déroge pas à la tradition boursière en termes de nervosité et de volatilité, mais à la différence d'autres années, il se traduit au final par une résistance remarquable des actifs risqués et par un repli très ténu des grands indices boursiers. Deux grandes thématiques purement macro-économiques ont entre- tenu le doute au cours des dernières semaines : la dynamique de la croissance mondiale et la lancinante question des dettes publiques, avec plus particulièrement l'impasse grecque.

• Les données instantanées d'activité, mais surtout les enquêtes de confiance, pointent partout vers un ralentissement de la croissance mondiale. Nous l'attendions, voire le souhaitions pour certaines zones, le choc sur le pétrole et les matières premières s'avère de fait un régulateur efficace du consommateur occidental, surtout lorsqu'il se conjugue avec des perspectives budgétaires plus serrées et un choc japonais plus grave que prévu, mais comme évoqué en page 2, ce tassement conjoncturel ne nous inquiète pas outre mesure. Il n'empêche que les marchés ne peuvent exclure complètement une rupture de tendance ! En Chine c'est l'inflation qui fait craindre aux investisseurs le tour de vis monétaire de trop qui obérerait la croissance future… mais nous considérons à ce stade avec sérénité l'atterrissage chinois et le rééquilibrage de la croissance entre consommation et exportations. Malheureusement, tant que le pic du cycle de resserrement monétaire ne sera pas en vue, l'inquiétude dominera.

• Côté déficits publics, si le paroxysme du stress se situe en zone euro, la pression est palpable partout dans le monde développé, aux Etats-Unis avec le feuilleton sur le relèvement du plafond de la dette, et au Japon où les agences de rating sonnent l'alerte sur l'endettement massif, aggravé par le séisme. En Europe ce sont la dégradation de l'exécution budgétaire grecque et les investigations de la "Troïka" à Athènes qui ont mis le feu aux poudres, et les marchés sont ballotés au gré des supputations sur les issues envisageables. Il nous semble toutefois que, au delà des nombreuses volte-face politiques qui ne facilitent pas la lecture des événements, se profile à un terme incertain mais non imminent, une solution négociée, dont les contours et les modalités mettront du temps à être définis, qu'il s'agisse des garanties apportées par la Grèce ou de la contribution des créanciers privés… cette phase de tractations restera en revanche très volatile, avec en toile de fond l'hypothèse dure d'un défaut, entretenue par les risques politiques qui jalonnent le parcours.

• Le comportement des différentes classes d'actifs dans ce contexte est plutôt empreint de prudence. Car si la résistance des grands indices boursiers est à souligner, elle masque en fait des disparités de performances sectorielles très marquées en Europe (secteurs banque/assurance à près de -4 % tout comme les valeurs cycliques malmenées par l'incertitude sur la croissance mondiale, alors que les défensives s'affichent entre +3 % et +7 %). Sur le S&P 500, cette hiérarchie des contributions est respectée, avec une moindre dispersion. La rotation sectorielle ainsi constatée intègre un pessimisme sur la dynamique des entreprises tournées vers la croissance mondiale qui nous semble excessif, et les ramène parfois à des valorisations anormalement basses. A terme, ces anomalies devraient se corriger.

• Les marchés obligataires "core" ne sont pas en reste puisque les rendements américains et allemands flirtent avec 3 %, loin des niveaux théoriques que requièrent la croissance réelle et les perspectives d'inflation. Le rallye s'est opéré avec une translation assez parfaite des courbes de taux, et une correction des anticipations monétaires, surtout en Europe où les attentes de resserrement de la BCE sont repoussées pour partie à 2012. La zone 5 ans, la plus directionnelle, est celle qui, partout, performe le mieux, témoignant d'un mouvement général de refuge vers la qualité.

Notre prudence tactique affichée le mois dernier est confortée par ce contexte, nos budgets de risque restent modérés, comme l'illustre notre portefeuille. Nous guetterons cet été les opportunités que ne manquera pas d'offrir cette phase de turbulences pour renforcer nos expositions, et ré-aligner davantage nos allocations sur notre vision fondamentale à moyen terme, qui reste confiante.

Les données récentes confirment qu’un ralentissement de l’économie mondiale est amorcé. Au premier trimestre 2011, le taux de croissance du volume du PIB mondial a été, selon une première estimation, de 3,5 % en rythme annualisé. C’est nettement moins que le trimestre précédent qui affichait un taux de 5% l’an (6% au début 2010).Le recul du PIB japonais au premier trimestre (- 3,7 % l’an) a contribué pour 0,2 point environ au ralentissement mondial. Ce mouvement concerne aussi la Chine (8,7 % l’an au premier trimestre 2011 après 12,5 % au trimestre précédent) et les Etats-Unis (1,8 % au premier trimestre après 3,1 % au quatrième trimestre 2010). La zone euro, qui est en décalage, est à contre-courant de la tendance mondiale, avec un taux de 3,2 % l’an après 1,2 % au dernier trimestre 2010.

Les derniers indicateurs de conjoncture confirment la baisse de régime. Aux Etats-Unis, la production industrielle n’a pas progressé en avril et les mises en chantier de logements sont retombées. Le déséquilibre du marché immobilier se poursuit avec un repli des ventes de logements anciens, une hausse des stocks à la vente et des prix encore en légère baisse. Les indices des directeurs d’achat (indices ISM), ont nettement rechuté dans les activités de services. La baisse des indices des directeurs d’achats en mai concerne plus ou moins toutes les zones économiques. C’est le cas en Chine où l’indice manufacturier s’approche du seuil de 50 qui reflète généralement une stabilisation de la production industrielle. Dans la zone euro, les enquêtes de conjoncture montrent une inflexion progressive de la tendance de la production et des carnets de commandes, ainsi qu’une stagnation des ventes au détail.

Un tel ralentissement, encore très modéré, n’est pas en soi particulièrement inquiétant après le rebond marqué de la première partie de 2010. Le problème est que le ralentissement enregistré au stade actuel ne traduit que très partiellement l’impact attendu du prélèvement de pouvoir d’achat exercé par les fortes hausses du pétrole et des matières premières. Il reste donc très probablement un potentiel de ralentissement supplémentaire à venir.

D’ores et déjà, l’inflexion de l’activité a entraîné une petite rechute du prix du pétrole (retombé de 123 dollars à 110 dollars le baril de Brent) et des matières premières (baisse moyenne de 7 à 8 % par rapport à son point haut de février). On voit bien sur les données récentes le "conflit" latent entre les tendances de l’activité et la variation des prix mondiaux, une croissance forte entraînant une hausse des prix et la hausse de prix ralentissant la croissance. L’économie, fortement déstabilisée par la crise financière de 2008, est à la recherche d’un taux de croissance d’équilibre et elle oscille autour de ce taux. Nous estimons que les oscillations ne sont pas terminées. Il faut donc s’attendre à une poursuite (voire une amplification) du ralentissement au cours des prochains trimestres. Celui-ci devrait peser un peu plus sur les prix mondiaux et de ce fait rester temporaire.

Le mouvement de l’économie s’inscrit toujours dans le scénario en trois temps que nous avons posé il y a déjà deux ans : rebond, convalescence (de deux à trois ans), reprise économique. Le rebond a buté assez rapidement sur les prix des commodités. Il faut donc encore privilégier pour 2012 et sans doute au-delà un taux de croissance de convalescence.

Dans ses perspectives de mai, l’OCDE retient pour l’ensemble de la zone des pays développés un taux de croissance de 2,3 % en 2011 et de 2,8 % en 2012. Aux Etats-Unis, la croissance serait de 2,6 % en 2011 et de 3,1 % en 2012. La zone euro progresserait de 2 % l’an en 2011 et 2012. Le Japon aurait une croissance plus cahotique en raison des perturbations dues au séisme. Le taux d’inflation moyen annuel de la zone OCDE retomberait de 2,3 % en 2011 à 1,7 % en 2012. Nous partageons le sentiment de l’OCDE sur l’inflation mais nous sommes un peu plus réservés sur les perspectives de croissance.

L’une des incertitudes principales concerne les pays émergents où le rythme de l’inflation est remonté de 3 % l’an à plus de 6 %. Une ligne jaune risque d’être franchie et les gouvernements s’en inquiètent. C’est particulièrement le cas de la Chine, où alternent depuis la crise de courtes périodes de forte distribution de crédits pour soutenir l’activité et de politiques de resserrement pour éviter que la hausse des prix ne dégénère en inflation. Les droits de douanes ont été réduits sur certains produits de base. La Banque centrale chinoise a relevé ses taux directeurs quatre fois en six mois.

Les ratios de réserve obligatoire ont été relevés douze fois jusqu’au niveau historique de 21 % et la Banque Centrale est prête à aller au-delà s’il le faut. L’Amérique latine est aussi confrontée à une poussée de hausse des prix. L’inflation moyenne des pays d’Amérique du Sud est proche de 10 % l’an et les taux directeurs des Banques centrales ont été relevés au Brésil, au Chili, en Colombie. Ces poussées de prix s’expliquent par les hausses des cours des produits de base, elles-mêmes provoquées par la vigueur de la demande venant des pays émergents. Plusieurs scénarios sont maintenant possibles. Le plus probable est que les politiques de "refroidissement" agiront assez rapidement et que l’inflation retombera. On souligne néanmoins que les hausses des biens alimentaires et de l’énergie déjà enregistrées exerceront un prélèvement de plus de 3 points de PIB sur le pouvoir d’achat des pays émergents. La croissance s’en ressentira.

L’évolution récente des marchés boursiers et la forte baisse des taux d’intérêt à long terme traduisent l’anticipation d’un ralentissement sans risque inflationniste. La baisse de régime de l’activité déjà amorcée devrait stopper les hausses de prix et il paraît probable que le pic d’inflation instantanée (mesurée sur trois mois) est déjà franchi. On peut même imaginer une rechute du pétrole et des matières premières allant au-delà du retournement déjà observé. Mais le mouvement de balancier ne s’arrêtera pas là. La tendance de moyen terme de la croissance est orientée positivement et, après la correction, les prix des produits de base reprendront une tendance haussière.