par Frédérique Cerisier, économiste chez BNP Paribas
- Les créations d'emplois se sont progressivement renforcées au cours des derniers trimestres. Au T1, l'emploi salarié était en hausse de 1,3% g.a.
- A l'heure actuelle, un peu plus d'un tiers des emplois détruits pendant la crise ont été recréés dans les secteurs marchands. Ce taux pourrait dépasser 60% début 2012.
- L'entrée en vigueur cet été de la réforme des retraites devrait alimenter la croissance de la population active et peser, modestement, sur le repli du taux de chômage, qui reste lent.
La reprise de l'emploi s'affermit
Alors qu' Eurostat a récemment annoncé que l'emploi continuait de stagner au premier trimestre 2011, en moyenne, dans la zone euro (stable d'un trimestre à l'autre, +0,1% g.a.), les dernières nouvelles en provenance du marché du travail français ont été un peu plus favorables. D'après l'INSEE, la croissance de l'emploi salarié, y a en effet retrouvé un rythme de croissance (+1,3% g.a. , hors secteur agricole et fonction publique) proche de celui observé juste avant la crise (+1,2% g.a. au premier trimestre 2008, +1,7% en moyenne en 2007).
Le détail des données disponibles montre en particulier que les créations d'emplois dans les secteurs marchands se sont progressivement renforcées au cours des derniers trimestres, pour atteindre 58 200 postes au T1 (+ 0,4% t/t) après 48 300 au T4 20101. La composition des créations d'emplois s'est également révélée favorable, puisque, après avoir été un foyer essentiel des créations de postes l'an dernier, l'emploi intérimaire a marqué le pas (+6 000 postes), ne représentant plus que 10% des créations d'emplois dans le tertiaire au T1, contre 40% en moyenne au cours des trois trimestres précédents. L'accélération a surtout été le fait de l'emploi dans les autres services aux entreprises (+0,9% t/t), le commerce (+0,3% t/t), l'hébergement et la restauration (+1,5% t/t).
Enfin, l'effet sur l'emploi total a été renforcé par une stabilisation de l'emploi dans l'industrie et dans la construction. Dans la construction, cette amélioration est intervenue après plus de deux années consécutives de baisse de l'emploi, mais c'est surtout dans l'industrie que ce répit est notable, puisque ce secteur n'avait pas créé de postes "réguliers" (c'est-à-dire hors postes d'intérimaires, dont le secteur est un gros employeur) depuis le début de 2001.
Dans l'ensemble, ces données suggèrent, qu'en lien avec la consolidation de la croissance enregistrée fin 2010 et début 2011, la croissance de l'emploi avait légèrement gagné en vigueur mais également en qualité, au cours du premier trimestre. Le retour, au T1, du nombres de travailleurs en situation de chômage partiel à son niveau d'avant la crise (0,2% de l'emploi total), ainsi qu'un repli marqué des personnes déclarant travailler à temps partiel de façon subie (4,6% des personnes en emploi, contre 5,2% au T4), ont conforté cette analyse2.
Si l'on en juge par les données d'enquêtes, les perspectives d'embauches sont restées très bien orientées au printemps, se maintenant même, selon la Commission européenne, à des niveaux plus élevées qu'avant la crise dans l'industrie et les services. Plus généralement, et même si la forte progression de l'activité enregistrée au T1 (+1,0% t/t) devrait rester exceptionnelle, les perspectives pour la croissance française, qui dépassera 2% en 2011, sont tout à fait compatibles avec la poursuite du redressement de l'emploi, sur des rythmes proches de ceux observés fin 2010 et début 2011. Dans l'ensemble, l'emploi salarié pourrait croître, selon nos prévisions de 1,2% cette année dans les secteurs marchands.
Une crise aux conséquences durables
A l'heure actuelle, un peu plus d'un tiers des emplois détruits pendant la crise (558 000 du T1 2008 au T3 2009) ont été recréés dans les secteurs marchands. Dans notre scénario, somme toute assez favorable compte tenu de l'environnement actuel, ce taux pourrait dépasser 60% début 2012. En fait, l'activité et l'emploi retrouveraient dans les trimestres à venir, en croissance, des tendances proches de celles observées avant la crise mais resteront visiblement durablement marquées (en niveau) par la récession.
Ceci a évidemment de lourdes conséquences sur le niveau du chômage et ses perspectives de repli. Après un pic à 9,6% fin 2009 en France métropolitaine, le taux de chômage a diminué de 0,3 point de pourcentage (pp) au cours de 2010, puis, à nouveau, de 0,1 pp au premier trimestre 2011. A 9,2% de la population active, il se situe très au-dessus (près de 620 000 demandeurs d'emplois supplémentaires) de son point bas d'avant crise (7,2% au T1 2008, 7,5% en incluant les départements d'outre-mer).
Les données mensuelles d'inscriptions au Pôle Emploi confirment à quel point le reflux du chômage reste lent : après avoir crû très rapidement en 2008 et 2009, le nombre de demandeurs d'emploi inscrits en catégorie A3 n'a que faiblement augmenté en 2010, se maintenant, autour de deux millions sept cent mille inscrits, un niveau comparable à celui observé lors du précédent pic de 2003- 2005. Ce n'est que depuis le début de l'année que ces inscriptions ont commencé, lentement, à diminuer (-53 400 inscrits en avril, par rapport à décembre dernier).
L'impact de la réforme des retraites
A compter du 1er juillet prochain, l'âge légal de départ à la retraite sera relevé, au rythme de 4 mois par an, de 60 ans actuellement à 62 ans en 2018. L'âge à partir duquel tout salarié peut bénéficier d'une retraite à taux plein augmentera dans les mêmes proportions et pour les mêmes classes d'âge, soit de 65 à 67 ans, mais à compter de 2016 et jusqu'en 20234.
Dès cet été, cette réforme devrait donc alimenter la croissance de la population active en infléchissant le rythme des départs. Son impact précis est toutefois difficile à estimer. A 60 ans, une grande partie d'une classe d'âge a d'ores et déjà quitté le marché du travail. Parmi ceux encore considérés comme actifs, employés ou chômeurs, seule une partie souhaitera et sera en mesure de prendre sa retraite à l'âge légal et sera donc concernée par la mesure d'âge.
Selon l'INSEE5, moins de 50% des seniors seraient encore actifs à 59 ans, un taux qui tomberait à 30% à 60 ans. Nous avons grossièrement estimé que 20% d'une classe d'âge serait concernée par cette première étape de la réforme6. Ceci aurait alors pour effet d'accroître la population active (au-delà de sa tendance naturelle) d'environ 55 000 personnes par an en année pleine7.
Mécaniquement, c'est-à-dire à niveau d'emploi inchangé, ceci aurait pour conséquences d'accroître d'autant le nombre de chômeurs, et donc de limiter le repli attendu du taux de chômage d'environ 0,2 pp par an. Il est, toutefois, probable que nombre d'entreprises amenées à conserver leurs salariés 4 mois de plus ne limitent pas d'autant leurs recrutements, ces employés n'étant pas tous considérés comme totalement substituables aux nouvelles embauches.
De fait, un des objectifs de long terme de cette réforme (et une des conditions à ce que son impact financier soit maximal) est bien d'accroître le taux d'emploi des seniors, particulièrement faible en France, sans peser sur celui des autres catégories de la population.
NOTES
- Un chiffre assez nettement révisé à la hausse par rapport aux premières estimations (+ 37 600).
- Les personnes en situation de chômage partiel et celles déclarant travailler à temps partiel de façon subie sont regroupées par l'INSEE pour dénombrer les personnes en situation de "sous-emploi".
- Il s'agit des personnes n'ayant eu aucune activité au cours du mois, à la recherche d'un emploi, et disponibles pour travailler immédiatement. Cette catégorie est la plus proche d'une personne considérée comme chômeur au sens du BIT, sur laquelle est construite l'évaluation du taux de chômage.
- Cette mesure concerne à la fois les régimes de base du secteur privé et de la fonction publique. Ce relèvement d'âge ne débutera, toutefois, qu'à compter de 2017 pour les salariés des régimes spéciaux, compte tenu des ajustements déjà en cours suite à la réforme de 2008.
- "Tableaux de l'économie française", Edition 2011.
- A moyen terme, davantage de seniors seront concernés, notamment par le relèvement de l'âge du départ à taux plein, à compter de 2018.
- Le nombre de personnes concernées par le report serait 3 fois supérieur, mais il faut tenir compte du fait que ces dernières ne resteraient sur le marché du travail que quatre mois supplémentaires, soit un tiers d'année.
- Filatriau, O. "Projections à l'horizon 2060, des actifs plus nombreux et plus âgés", INSEE Première n°1345, avril 2011.
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