par Thibault Mercier, économiste chez BNP Paribas
Près de dix ans après son entrée dans l’Union économique et monétaire (UEM), l’Espagne est aujourd’hui confrontée à une crise économique profonde qui résulte de l’effondrement de son modèle de croissance assis sur le crédit et l’immobilier.
Si le mouvement de convergence des taux d’intérêt a permis à l’Espagne de vivre une décennie de forte expansion, cette dernière s’est accompagnée de la formation d’importants déséquilibres (déficit courant excessif, bulle immobilière).
Le sentiment d’absence de contrainte de financement extérieur, lié à l’appartenance à l’UEM, n’a pas encouragé la modernisation de l’économie, rendue, pourtant, d’autant plus nécessaire que l’investissement immobilier a largement évincé l’investissement productif. La forte augmentation de la dette extérieure a exacerbé la vulnérabilité de l’économie espagnole aux chocs externes.
La crise économique de 2008-2009, en précipitant l’éclatement de la bulle immobilière, a agi comme un révélateur des distorsions jusqu’alors camouflées : entre 2007 et 2010, le taux chômage est passé de 8% à 20%, le solde budgétaire d’un surplus 2% du PIB à un déficit de 9% du PIB, le taux de créances douteuses des établissements financiers de 1% à près de 6%.
Victimes ultimes des récentes vicissitudes, les finances publiques, jusqu’alors alors citées en exemple, sont désormais sous la pression des marchés. Le pays doit rassurer sur sa capacité à surmonter une crise qui s’installe dans la durée et qui menace la soutenabilité de sa dette publique. L’Espagne est face à un triple défi: relancer une croissance dont le potentiel a diminué, consolider sa situation budgétaire et assainir le système financier. Ce triptyque n’est pas sans rappeler ceux des programmes mis en place par le FMI et l’Union européenne en Grèce, en Irlande et au Portugal. Sans avoir connu les même excès, l’Espagne cristallise aujourd’hui les déséquilibres de chacun de ces pays tombés sous la pression des marchés (les finances publiques en Grèce, le secteur bancaire en Irlande, la croissance au Portugal). Nous montrerons dans cet article que l’Espagne possède les atouts pour sortir de la crise tout en préservant son autonomie financière.
– De la dette privée…
Une croissance à crédit en partie liée à l’entrée dans l’Union économique et monétaire…
A partir du début des années 1990, l’ancrage nominal de l’Espagne dans le système monétaire européen a permis un ralentissement marqué de l’inflation. De 7% au début des années 1990, la croissance annuelle des prix à la consommation a atteint 3% au début des années 2000. Grâce à cette politique désinflationniste et à un assainissement budgétaire réussi, les primes de risque sur les marchés financiers ont progressivement diminué pour se rapprocher de celles des pays européens les moins inflationnistes. Avec la création de la zone euro et la crédibilité léguée par la Bundesbank, ce processus de convergence s’est encore accentué, allant même, par moment, jusqu’à inverser la hiérarchie des risques souverains qui prévalaient jusqu’alors : entre 2003 et 2007, l’écart de rendement entre les taux à 10 ans espagnols et leur équivalent allemand était parfois négatif.
Par ailleurs, tout au long des années 2000, l’inflation espagnole a dépassé la cible de 2% retenue par la Banque centrale européenne (BCE), le rattrapage économique du pays se traduisant par une progression plus rapide des prix à la consommation. Dans le cadre d’une politique monétaire unique fondée sur la moyenne de l’inflation de la zone, cette situation a généré en Espagne des taux d’intérêt réels très faibles, voire, par moments, négatifs.
Dès lors, bénéficiant de conditions d’emprunt particulièrement avantageuses, les agents privés espagnols se sont fortement endettés. Les ménages, encouragés par l’optimisme né du puissant effet de rattrapage et par la baisse du chômage, ont augmenté leur endettement, de 68% du revenu disponible brut (RDB) en 2000 à 130% en 2007. Beaucoup d’entre eux, n’ayant connu que la baisse des taux, ont eu massivement recours aux crédits à taux variables (représentant environ 80% des crédits aux ménages dans les années 2000). De leur côté, les sociétés non financières (SNF), jouissant du dynamisme de la demande intérieure mais aussi de la stabilisation macroéconomique et financière permise par l’adhésion à l’UEM, ont dopé leur rentabilité grâce au levier de l’endettement. La dette des SNF est passée de 50% de leur valeur ajoutée en 1997 à 131% en 2007.
… stimulant la consommation mais surtout l’investissement dans l’immobilier…
Grâce au recours massif à l’endettement, dans un contexte de baisse du chômage et de forte confiance des ménages, la consommation privée a été particulièrement dynamique. Entre 2000 et 2007, elle a augmenté de 3,7% par an en moyenne sans que cela ne se traduise par une dimininution du taux d’épargne, resté autour de 11% du RDB 1.
Toutefois, davantage qu’à la consommation, c’est à l’investissement l’immobilier qu’a profité l’essentiel de l’endettement des ménages. Entre 1996 et 2007, le taux d’investissement dans la construction résidentielle a plus que doublé en Espagne, passant de 7% à 15% du RDB, tandis qu’il restait autour de 10% dans la zone euro.
L’obsession pour l’immobilier a répondu à une triple logique : démographique, sociologique et spéculative. Entre 1995 et 2008, la population espagnole a crû de 15%, passant de 40 à 46 millions d’habitants, principalement grâce à l’immigration, le taux de fécondité étant resté très bas. Cet afflux de main-d’œuvre étrangère, couplé à l’évolution de la structure familiale 2, a naturellement généré une forte demande de logements. Les politiques fiscales, plus favorables aux propriétaires qu’aux bailleurs, ont soutenu le désir de propriété des ménages espagnols, par ailleurs ancré dans une culture héritée du Franquisme. En 2005, le taux de propriété atteignait 86%, le plus élevé de la zone euro.
Enfin, si les précédentes périodes d’expansion de l’économie espagnole (1969-1974 et 1986-1991), avaient déjà été marquées par une forte croissance des valeurs immobilières, celle qui a commencé à la fin des années 1990 présente indéniablement un aspect spéculatif lié à la faiblesse relative des taux d’intérêt. Via des crédits hypothécaires à très longues durées (35 à 40 ans), à taux variables et bon marché, l’investissement dans l’immobilier, perçu comme un placement hautement rémunérateur, a explosé: entre 2005 et 2007, plus de 800000 logements par an ont été construits, soit autant qu’en France, Allemagne et Royaume-Uni réunis. Portées par l’endettement, les valeurs immobilières se sont envolées : entre 2000 et 2007, le prix des logements a augmenté de 11% en moyenne par an.
Un cercle vicieux entre gonflement des prix immobiliers et endettement s’est installé : le crédit a nourri la hausse du prix des actifs, amplifiant l’effet de richesse et incitant les agents privés à s’endetter davantage.
… et profitant aux secteurs abrités
Le dynamisme de la demande intérieure et la bulle immobilière ont pleinement profité aux secteurs de la construction et des services (commerce, tourisme et transport). Ces secteurs, très intensifs en main-d’œuvre, ont été les principaux vecteurs de la croissance soutenue de l’emploi (4% par an en moyenne entre 2000 et 2007) et de la baisse correspondante du taux de chômage (de 20,6% en 1997 à 8,2% en 2007). On estime qu’ils sont à l’origine de près de la moitié des emplois créés entre 1995 et 2007. Leur développement s’est fait au détriment de l’industrie dont la part dans la valeur ajoutée s’est repliée de 18% en 1995 à 12% en 2007. Dans le même temps, le poids de la construction est passé de 7,5% en 1995 à 12% en 2007.
Cette spécialisation s’est traduite par une perte importante de productivité : d’une part, parce que le surinvestissement dans la construction a évincé l’investissement productif et la recherche et développement ; d’autre part, parce que les secteurs abrités ne génèrent traditionnellement que de faibles gains de productivité. Entre 1995 et 2007, la productivité par tête dans l’économie a baissé de 0,4% par an en moyenne.
Si l’Espagne a connu un rattrapage important en termes de revenu par habitant (principalement via l’augmentation du taux d’emploi), les écarts de compétitivité avec les pays les plus performants de la zone euro se sont creusés tout au long de la dernière décennie. Cela s’explique non seulement par la baisse de la productivité mais aussi par la forte croissance des salaires, alignée sur une inflation supérieure à la moyenne de la zone euro. Entre 1999 et début 2008, les coûts salariaux unitaires en Espagne ont progressé de 33% contre 17,2% en France et seulement 0,6% en Allemagne.
L’adhésion à l’UEM explique en partie cette situation. En effet, la plus grande mobilité des capitaux, favorisée par la disparition du risque de change, a encouragé la spécialisation productive intra-zone exacerbant l’hétérogénéité des pays membres. Les écarts de compétitivité initiaux se sont dès lors accentués. L’Allemagne, les Pays-Bas se sont spécialisés dans les secteurs de l’industrie ou des services exportables dans lesquels les gains de productivité sont élevés. Les pays en rattrapage (Portugal, Espagne, Grèce) se sont plutôt concentrés dans les secteurs abrités où les gains de productivité sont très faibles, voire nuls.
Une vulnérabilité accrue aux chocs externes
Le dynamisme de la demande intérieure espagnole, couplé à la perte de compétitivité, s’est traduit par une détérioration continue du solde de la balance courante dans les années 2000. Excédentaire de 0,1% du PIB en 1997, le compte courant a atteint un déficit de 10% en 2007. Cette dynamique a été favorisée et, d’une certaine manière, masquée par l’appartenance à la zone euro, le déficit courant espagnol se dissolvant dans un courant européen équilibré.
De plus, l’adhésion à l’UEM a considérablement allégé la contrainte de financement extérieur en ouvrant l’accès aux investisseurs institutionnels espagnols à des marchés de capitaux profonds, liquides et bon marché. Aussi, malgré une épargne nationale insuffisante au regard de l’investissement, la bulle immobilière et de crédit espagnole a été aisément financée par des non-résidents, le plus souvent européens. Par conséquent, la position extérieure nette de l’Espagne s’est fortement dégradée et sa dette externe, en grande partie privée, a explosé, ce qui a rendu le pays très vulnérable aux chocs financiers exogènes.
La crise mondiale a précipité l’éclatement de la bulle immobilière
Les premiers signes du retournement du marché immobilier sont apparus bien avant la crise économique mondiale. A partir de la fin 2005, la croissance des prix immobiliers a commencé à ralentir. Alors que les prix des logements augmentaient de 12,5% l’an en moyenne entre 2000 et 2005, ils ne progressaient plus « que » de 7,5% par an entre 2005 et 2008.
Cette évolution a été étroitement liée au resserrement de la politique monétaire opéré par la BCE. Entre décembre 2005 et octobre 2008, le taux d’intérêt directeur de la Banque a progressivement été relevé de 2% à 4,25%. Dans le même temps, l’inflation a ralenti, ce qui s’est traduit par une augmentation importante des taux d’intérêt réels espagnols. De -0,5% en janvier 2006, ces derniers ont atteint 3,3% en août 2007.
Les ménages, pour la plupart endettés à taux variables, ont particulièrement souffert de la hausse du taux de référence et, en conséquence, de la charge de la dette entre 2006 et 2008. Ceci a entraîné un repli de la demande de crédit ainsi que de l’investissement résidentiel, ralentissant la progression des prix immobiliers.
La faillite de Lehman Brothers, en septembre 2008, a joué un rôle de catalyseur dans la résorption des déséquilibres de l’économie espagnole. Le gel du marché interbancaire et le « credit crunch » qui s’en est suivi ont transformé le dégonflement de la bulle immobilière en son éclatement : malgré les mesures de soutien, les prix immobiliers ont perdu 7% en 2009 et 3,7% en 2010.
La profondeur de la crise espagnole est due aux déséquilibres inhérents à son modèle de croissance
La récession qu’a connue l’Espagne en 2009 (-3,7%) est comparable à celle vécue par la zone euro dans son ensemble (-4,1%). Néanmoins, la crise espagnole se révèle nettement plus profonde. Alors que la zone euro a rebondi en 2010 (+1,7%), l’activité espagnole encore en plein ajustement s’est à nouveau légèrement contractée (-0,1%) sans laisser apparaître de véritables signes de reprise. L’effondrement de l’activité pendant la crise mondiale s’est accompagné d’une remise en cause totale des fondements de la croissance espagnole des dernières années, comme en témoigne la hausse spectaculaire du taux de chômage, passé de 8,3% en 2007 à 20% en 2010 (contre une hausse de 7,6% à 10,1% en moyenne dans la zone euro). Les importantes destructions d’emplois ont résulté non seulement des effets de la récession sur l’économie mais aussi, et surtout, de l’éclatement de la bulle immobilière. Une part importante du chômage est d’ordre structurel et persistera malgré la reprise de l’activité, ce qui pose la question de la reconversion des anciens employés de la construction souvent peu formés et donc difficilement réemployables.
Avant la crise, le secteur de la construction stricto sensu constituait 13% de l’emploi total (contre 7,5% pour l’ensemble de la zone euro). En prenant en compte l’ensemble des activités liées directement ou indirectement à l’immobilier (services immobiliers, assurances, tourisme, activités bancaires, etc.), on estime qu’il représentait environ 30% de l’emploi total. Aussi, l’éclatement de la bulle immobilière a entraîné davantage que l’effondrement du seul secteur de la construction mais la faillite du moteur de l’économie et de l’emploi. Plus de 50% des pertes d’emplois enregistrées par l’Espagne entre 2008 et 2010 sont liées à la chute de l’activité dans la construction. La montée du chômage a été d’autant plus brutale que près de 20% des travailleurs étaient employés par le biais de contrats temporaires, non renouvelés au moment du retournement du cycle.
A moyen terme se pose la question du nouveau potentiel de croissance de l’économie, pénalisé par un taux de chômage qui devrait demeurer durablement au- dessus de la moyenne de la zone euro. La période d’ajustement de l’économie espagnole est plus longue que dans la plupart des pays de la zone euro car les déséquilibres accumulés lors de la phase d’expansion des dernières années (bulle immobilière, bulle de crédit privé, déficit du compte courant) ont été plus importants. Le désendettement de tous les agents de l’économie ainsi que la résorption de la bulle immobilière laissent présager une croissance atone jusqu’en 2013, suivie d’une croissance tendancielle autour de 1,5%-2% par an.
– … à la dette publique
Les surplus budgétaires largement cycliques…
A l’inverse du secteur privé, le secteur public a profité de la baisse des taux d’intérêt liée à l’entrée dans l’UEM pour se désendetter. Entre 1996 et 2007, le déficit public a été en moyenne de -0,9% du PIB (contre -2,2% du PIB pour la zone euro) avec des surplus budgétaires entre 2005 et 2007. La dette publique a ainsi été ramenée de 67% du PIB en 1996 à 36% en 2007.
L’amélioration des comptes publics espagnols durant cette période a largement été portée par le cycle économique. Outre l’allègement de la charge d’intérêts lié à la baisse des taux longs et au désendettement, le gouvernement espagnol a pleinement profité du boom de la demande intérieure, débouchant sur un élargis- sement de l’assiette fiscale, et de la bulle immobilière qui a dopé les recettes budgétaires.
Néanmoins, bien que le solde primaire (avant le paiement des intérêts) se soit significativement amélioré entre 1997 et 2007, passant de 1% à 3% du PIB, le solde primaire structurel (corrigé des effets du cycle économique) s’est, lui, significativement détérioré passant de 3% à 0%. Les dépenses publiques ont, en effet, progressé à un rythme supérieur à la croissance tendancielle pendant les années de forte croissance. Pour avoir considéré comme permanentes des recettes budgétaires alimentées par la bulle de crédit et de l’immobilier, les autorités espagnoles ont fait preuve d’une discipline budgétaire moins grande qu’il n’y paraît.
… font place aux déficits budgétaires largement structurels
La détérioration des comptes publics espagnols a été particulièrement spectaculaire, à la fois par son ampleur et sa rapidité. Excédentaire de 1,9% du PIB en 2007, le solde public a été déficitaire de 11,2% du PIB en 2009. Cet écart de 13 points de PIB s’explique pour 5 points par les effets de la récession (baisse de recettes fiscales et augmentation des dépenses sociales) et les mesures de relance de l’activité. Le reste (8 points de PIB) est considéré comme une perte permanente de recettes liée à l’effondrement du modèle de croissance.
Les importantes recettes budgétaires générées par la forte appréciation des valeurs immobilières, à la fois via l’impôt sur le revenu et le patrimoine mais aussi via les taxes sur les transactions immobilières, ont chuté avec l’éclatement de la bulle. En outre, la montée du chômage, dont une part importante est structurelle, a non seulement réduit l’assiette fiscale mais s’est également traduite par une perte durable en consommation des ménages, c'est-à-dire en recettes de TVA. La profondeur de la crise espagnole engendrera probablement une réduction durable de l’élasticité des recettes budgétaires à la croissance.
De manière générale, la crise espagnole (et irlandaise) a révélé l’insuffisance de la supervision économique et financière au sein de la zone euro et l’étroitesse de son périmètre. Les critères de Maastrich, en se focalisant essentiellement sur les indicateurs de finances publiques, n’ont pas permis d’appréhender les déséquilibres sous-jacents dans les économies ayant connu des bulles. Or, comme l’a montré la crise, lorsque celles-ci éclatent, le fardeau de la dette privée est souvent transféré à la sphère publique. Aux excédents budgétaires largement cycliques succèdent des déficits budgétaires dont la partie structurelle prédomine.
En 2010, le déficit primaire espagnol s’est élevé à 7,3% du PIB (contre 9,4% en 2009) dont près de 6% venaient d’un déficit primaire structurel. Le déficit public total a atteint 9,2% du PIB (contre 11,2% en 2009).
Des finances publiques régionales encombrantes ?
L’Espagne étant un pays largement décentralisé (17 régions autonomes ou autonomias), une large part de la gestion des affaires publiques est confiée aux régions. Près de 55% des dépenses publiques sont contrôlées par les collectivités locales (les autonomias et, dans une moinde mesure, les municipalités).
-) Des déficits structurels
Les dépenses publiques régionales sont en grande majorité (65%) allouées à l’éducation et à la santé. Ces dépenses répondent à des logiques d’investissement de moyen terme et sont, par conséquent, peu sensibles aux évolutions cycliques. A l’inverse, les revenus des régions, tout comme ceux de l’administration centrale, sont fortement sensibles à la conjoncture.
Les règles de stabilité budgétaire ont contribué à creuser les déséquilbres sous-jacents. En effet, les soldes budgétaires à respecter dépendent du taux de croissance du PIB et non de son écart à la croissance potentielle (output gap) qui détermine, à travers le cycle, la croissance des revenus. Aussi, lorsque l’économie est en forte expansion, les recettes augmentent à un rythme supérieur à la croissance tendancielle et financent des dépenses de long terme dans l’éducation et la santé. Les déficits enregistrés jusqu’en 2007, bien que supérieurs aux objectifs3, sont restés très modérés car les rentrées fiscales étaient dopées par la bulle immobilière. Toutefois, lorsque le cycle s’est retourné, les recettes ont plongé avec l’activité, tandis que l’essentiel des dépenses, rigide à la baisse, a continué de progresser à un rythme peu ou prou équivalant à celui qui prévalait par le passé.
-) Une dégradation initiale relativement modérée…
Jusqu’à récemment, la crise économique n’avait eu qu’un impact limité sur les comptes budgétaires des autonomias. Au plus fort de la crise, en 2009, la détérioration des comptes publics à l’échelle régionale a été beaucoup moins marquée qu’à l’échelle de l’Etat : entre 2007 et 2009, ce dernier a accusé un creusement du déficit de 10,5 points de PIB, contre seulement 1,8 point de PIB pour les régions.
Deux facteurs expliquent cette différence. D’abord, l’essentiel du plan de relance de l’économie (environ 2,5% du PIB) a été pris en charge par l’administration centrale. Ensuite, en 2008 et 2009, les transferts de recettes fiscales de l’administration centrale vers les régions, qui sont fixés en avance sur la base d’estimations, ont été plus importants que les perceptions effectives. Cette différence devra être remboursée par les régions à partir de 2012.
-) … mais une situtation qui se révèle inquiétante sur fond d’«opérations vérité»
En 2010, les administrations publiques ont respecté l’objectif de déficit fixé dans le programme de stabilité. De -11,1% du PIB, le solde budgétaire a été ramené à -9,2% du PIB. Cette bonne performance masque toutefois des divergences aux différents échelons de l’Etat. Aussi, alors que l’administration centrale a réduit son déficit de façon plus marquée que prévu (de -9,4% du PIB à -5% du PIB), celui des régions s’est creusé (-2,0% du PIB à -3,4% du PIB) manquant, par là même, l’objectif assigné (un déficit de 3,1% du PIB). Le fonds de sécurité sociale a également accusé un léger déficit, de 0,2% du PIB, rompant avec les surplus des dernières années.
La réussite de la consolidation budgétaire dans les autonomias est mise en question par le fait que les leviers d’action sont limités par la structure des dépenses. Les coupes budgétaires sont principalement réalisées là où elles peuvent être mises en œuvre rapidement, comme dans l’investissement public, mais leur portée est réduite. Les réductions de dépenses plus profondes, dans l’éducation ou la santé, outre une mise en œuvre plus délicate, comportent le risque de remettre en cause le pacte social et de réduire la croissance potentielle, à l’heure où la reconquête de la compétitivité est un défi majeur.
Par ailleurs, les récentes élections régionales tenues en mai dans 13 des 17 provinces autonomes ont bouleversé le paysage politique à l’échelle locale. Les changements de majorité dans certaines autonomias4 ont réveillé les craintes d’une réévaluation des déficits budgétaires régionaux comme à la suite des élections de novembre 2010 en Catalogne 5 . Cette situation est assez classique : le gouvernment entrant cherche à noircir au maximum la situation budgétaire dont il hérite pour pointer du doigt la mauvaise gestion passée et rendre ses efforts de consolidation à venir d’autant plus appréciables.
En Espagne, ces « opérations vérité » tendent à montrer que les déficits publics régionaux sont sous-estimés par la non-reconnaissance des pertes des entreprises publiques locales, en particulier des hôpitaux, qui accumulent les retards de paiements auprès des fournisseurs. Une étude effectuée en 2009 par le cabinet McKinsey&co, portant sur le système de santé espagnol, estime que le montant des factures impayées par les hopitaux publics s’élève à EUR 10 milliards, soit 1% du PIB. Au total, des estimations privées évaluent à quelque EUR 30 milliards (3% du PIB) le montant total de la dette des régions qui pourrait remonter à la surface.La dégradation des comptes publics régionaux est certes rapide et plus ardue à enrayer, mais les niveaux demeurent relativement faibles. Si les régions contrôlent plus de la moitié des dépenses des administrations publiques, leur dette représente moins de 20% de la dette publique totale.
Aussi, le principal préjudice pour les finances publiques est davantage d’ordre politique que économique. Il concerne la transparence des données budgétaires espagnoles et le coût d’un tel doute sur les marchés. L’exemple le plus frappant est probablement celui de la région de Castille-la-Manche, récemment passée aux mains du Parti populaire après avoir été dirigée pendant trente ans par le Parti socialiste. Dès sa prise de fonction, le nouveau gouvernement a caractérisé la situation de la région de « faillite totale », pointant du doigt le manque de ressources financières pour payer les fonctionnaires. La sincérité d’une telle annonce est difficile à évaluer tant elle semble s’inscrire dans une stratégie de conquête du pouvoir central menée par l’opposition.
Il convient, toutefois, de dissiper dès maintenant le spectre d’un défaut d’une autonomia. Bien qu’il n’y ait aucune obligation de l’Etat à venir au secours d’une province en faillite, nul ne peut douter de la nécessité politique d’un tel sauvetage au moment où le pays tout entier est engagé dans un processus de désen- dettement et de reconquête de crédibilité aux yeux des marchés. Par ailleurs, afin de superviser les situations budgétaires régionales, le gouvernement devrait fixer dès l’année prochaine des plafonds de dépenses pour les autonomias, au même titre que pour l’admnistration centrale. En outre, afin de faire respecter l’austérité demandée à tous les échelons de l’Etat, le gouvernement dispose d’un instrument d’autorisation de dette sur les marchés qui permet de contôler les émissions régionales. Si ce dispositif n’est pas utilisé actuellement, il pourrait très bien l’être à l’avenir, si les dérapages de certaines régions s’accentuaient.
– La soutenabilité de la dette publique
La crise économique mondiale a provoqué une dégradation rapide et profonde des finances publiques espagnoles dont les déséquilibres avaient jusqu’alors été masqués par une forte croissance nominale et la faiblesse des taux d’intérêt liée à l’appartenance à la zone euro. Après l’éclatement de la bulle immobilière, l’heure est aujourd’hui à la consolidation budgétaire et à la recherche d’un nouveau modèle de croissance. A l’avenir, le gouvernement ne pourra plus compter sur le surcroît de revenu lié à l’endettement du secteur privé. Ce dernier est engagé dans un long processus de désendettement. Aussi, l’Espagne doit mener à bien une consolidation budgétaire, relancer l’activité, faire baisser le taux de chômage (le plus élevé de la zone euro) et assurer la stabilité d’un système bancaire en pleine restructuration.
Des mesures d’austérité pour consolider les finances publiques
-) Des efforts conséquents mais insuffisants
Le gouvernement espagnol s’est engagé fermement à ramener son déficit public sous la barre des 3% du PIB d’ici à 2014. Pour cela, un plan de consolidation de grande ampleur a été voté comportant des mesures telles que la baisse de 5% du salaire des fonctionnaires, le gel des pensions dans le service public ou la suppression d’un programme de EUR 6 milliards d’investissements publics. Du côté des recettes, une hausse de deux points de la TVA (de 16% à 18%) accompagnée d’une majoration de deux points du taux réduit, à 8%, a été votée au Parlement. Parallèlement, le gouvernement a engagé une réforme des pensions faisant passer l’âge legal de départ à la retraite de 65 à 67 ans. Néanmoins, l’accord social et économique conclu avec les partenaires sociaux souffre de l’absence d’augmentation de la durée de cotisation, maintenue à 38 ans et demi.
L’objectif de déficit public pour l’année 2011 est de 6% du PIB (contre 9,2% en 2010). L’effort engagé est équivalent à 3,4 points de PIB dont les deux tiers proviennent de la réduction des dépenses publiques.
Si la volonté d’assainir la situation financière de l’Etat est incontestable, il semble pour autant que l’effort engagé soit insuffisant.
En effet, contrairement à la période précédant la crise, le cycle pèse désormais sur la dynamique de la dette : en 2010, le gouvernement espagnol a engagé un effort de consolidation budgétaire de 2,6 points de PIB pour une réduction du déficit primaire réalisée de 2,1 points, ce qui suppose une perte cyclique de 0,5 point de PIB, soit près de 20% de l’effort engagé. L’effort d’austérité pèse sur la croissance car il déprime la demande intérieure. En retour, les rentrées fiscales sont moins fortes qu’attendu.
Pour 2011, la projection de croissance du PIB officielle (+1,3%), sur laquelle repose le plan d’ajustement, paraît optimiste au regard du consensus (Commission européenne et FMI : +0,8%,BNP Paribas: +0,4%). Il semble donc que de nouvelles mesures d’austérité soient à prévoir cette année si le gouvernement veut respecter l’objectif budgétaire qu’il s’est assigné.
En supposant une élasticité des revenus à l’output gap de 0,5 6 , il faudrait, toutes choses égales par ailleurs, engager des mesures suplémentaires pour près de EUR 3 milliards si la croissance est de 0,8% et EUR 5 milliards si elle est de 0,4%.
Sur l’ensemble de la période de consolidation (2011-2014), le FMI a récemment estimé que des mesures additionnelles équivalant à EUR 20 milliards étaient nécessaires pour compenser les pertes cycliques liées à une croissance probablement moins forte que celle prise en compte dans le scénario du gouvernement.
-) Le risque d’essoufflement social
A long terme, la soutenabilité des finances publiques s’inscrit autant dans une dimension politique et sociale qu’économique. Un Etat n’est jamais déclaré juridiquement en faillite par ses créanciers: il a la capacité de lever l’impôt, de vendre ses actifs, et sa durée de vie est théoriquement infinie. Beaucoup dépend donc de la latitude d’un gouvernement à resserrer le budget de l’Etat et donc, in fine, de sa capacité politique à faire accepter des sacrifices sans révoquer le pacte social passé avec les citoyens. Des défauts de paiement se produisent lorsque les coûts politiques de l’ajustement budgétaire sont jugés trop importants par le gouvernement ou socialement insoutenables par la population.
Le climat social du pays et les lois qui régissent les relations entre le pouvoir central et la population sont des paramètres primordiaux. En 1980, le dictateur roumain Nicolae Ceausescu a remboursé les quelque EUR 9 milliards de dette que son pays devait à des créanciers internationaux en privant sa population des services publics les plus élémentaires, comme la distribution d’eau ou d’électricité. Bien évidemment, de tels sacrifices n’ont aucune chance d’être imposés dans une société démocratique, mais cet exemple met en exergue les difficultés politiques auxquelles est confronté un gouvernement engagé à assainir les finances publiques : rassurer les investisseurs internationaux sur la solvabilité de l’Etat tout en préservant la stabilité politique et sociale. Le calendrier électoral joue dès lors un rôle de premier plan dans une démocratie engagée dans une consolidation budgétaire.
En Espagne, les prochaines élections générales auront lieu au plus tard au printemps 2012, ce qui pourrait affaiblir la volonté politique de mettre en œuvre le plan d’austérité ou de finaliser les ambitieuses réformes structurelles jusqu’alors entreprises. Toutefois, l’actuel chef du gouvernement, M. Zapatero, a déjà annoncé qu’il ne serait pas candidat à sa propre succession. En se libérerant ainsi des impératifs électoraux, le chef du gouvernement se donne les marges de manœuvre nécessaires pour mener à bien son programme.
Le principal défi pour le personnel politique sera probablement de présenter un programme d’ajustement socialement acceptable. Le retour d’une croissance pérenne est donc essentiel. Celle-ci générerait les recettes fiscales nécessaires à la poursuite de la consolidation budgétaire, tout en permettant, par la création d’emplois, de rendre plus acceptable le désengagement de l’Etat dans l’économie.
Des mesures structurelles pour relancer la croissance et réduire le chômage
-) Une demande intérieure en berne
Si le spectre de la récession semble écarté, la croissance espagnole ne présente pas de véritables signes de reprise. En effet, le pays est toujours dans une phase de désendettement, symbolisée par la réduction du déficit de la balance courante, passé de 10% du PIB en 2007 à 4,5% du PIB en 2010. Cela se traduit par une contribution négative de la demande intérieure à la croissance. En outre, la perspective d’un resserrement monétaire opéré par la BCE est susceptible de déprimer davantage la demande des ménages. Contrairement à la période précédant la crise, la politique monétaire commune qui se profile s’annonce trop restrictive pour l’Espagne. Une analyse de type règle de Taylor7 fait apparaître que l’Espagne aurait besoin d'une politique monétaire encore plus accommodante que celle actuellement en vigueur (le taux de refinancement est de 1,50%). Aussi le cycle de resserrement monétaire va compliquer un peu plus la situation des ménages espagnols dont 80% des prêts hypothécaires sont à taux variables et indexés sur les taux de l'Euribor : le revenu disponible des ménages espagnols est plus vulnérable aux fluctuations des taux d'intérêt que la moyenne de la zone euro.
-) La nécessité de regagner en compétitivité
Une nouvelle période d’expansion de l’activité suppose que le commerce extérieur relaie la demande intérieure comme moteur de la croissance. Pour cela, la reconquête de compétitivité de l’économie espagnole est indispensable.
Une manière de mesurer l’évolution de la compétitivité d’une économie est de rapporter la croissance des salaires à celle de la productivité par tête (on appréhende ainsi les coûts salariaux unitaires). Comme évoqué précédemment, la période de boom espagnol s’est caractérisée par une croissance des salaires trop rapide8 par rapport à une productivité en repli. En conséquence, la compétitivité de l’Espagne au sein de la zone euro s’est détériorée, tandis que la concurrence des pays émergents, couplée à un euro fort, a contribué à réduire les parts de marché à l’extérieur.
La reprise d’une croissance tendancielle compatible avec une baisse du chômage (autour de 1,5-2% par an) nécessite à la fois davantage de flexibilité sur le marché du travail et une stimulation de la productivité à travers des investissements dans l’éducation et la recherche et développement.
-) Une réforme du marché du travail à compléter
Les mesures de libéralisation du marché du travail permettent de redresser la compétitivité salariale.
En septembre 2010, le gouvernement a fait voter une première réforme destinée à flexibiliser et à réduire la dichotomie entre contrats à durée indéterminée (CDI) et contrats temporaires. L’objectif est de redonner de la souplesse et du dynamisme aux entreprises en leur permettant d’ajuster plus facilement leurs effectifs aux évolutions du cycle. Il s’agit d’un sujet particulièrement important en Espagne car une grande partie des 21% de chômage résulte de l’effondrement de l’activité de construction et est donc structurelle. Elle peut se nourrir d’un effet d’hystérèse par lequel les chômeurs de longue durée perdent peu à peu les aptitudes techniques recherchées par les employeurs. Cet effet est exacerbé si, d’une part, le taux de propriétaires est élevé, réduisant la mobilité des chercheurs d’emploi, et si, d’autre part, les coûts du licenciement sont importants, rendant plus risquée l’embauche d’un actif qui n’a pas travaillé pendant longtemps. Un autre risque lié à la rigidité du marché du travail est l’émigration des jeunes diplômés au chômage ou employés sous des conditions précaires9.
Suite à la réforme de septembre 2010, les coûts de licenciements ont été abaissés, de 45 à 33 jours de travail par année d’ancienneté pour les CDI. Par ailleurs, dans le cas où le licenciement est la conséquence de pertes financières pour l’entreprise, l’indemnité a été réduite à 20 jours. En revanche, les indemnités de licenciement ont été renchéries d’un jour par année travaillée pour les contrats temporaires. En théorie, la réforme doit donc permettre aux entreprises de regagner en compétitivité et d’établir ainsi les conditions de la reprise économique et, in fine, de la baisse du taux de chômage. La reconquête de la compétitivité peut être rapide : les licenciements sont facilités, donc plus importants, ce qui signifie que, à production inchangée, les coûts unitaires baissent d’autant plus. En revanche, cela nourrit le taux de chômage à court terme.
Ce ne sera qu’une fois la reprise de l’activité solidement établie que l’emploi se redressera. Grâce à la réforme du marché du travail, la baisse du taux de chômage pourrait être plus rapide : assouplir les conditions du licenciement revient à assouplir celles de l’embauche.
Cette réforme, si elle constitue une première étape nécessaire, souffre toutefois de l’absence d’accord sur les négociations salariales. Il apparaît donc important que la réforme du travail soit complétée par une disposition visant à aligner croissance des salaires sur celle de la productivité ou, au moins, de mettre fin à la boucle salaire-inflation. Une décentralisation des négociations salariales au niveau des entreprises plutôt qu’au niveau des secteurs ou parfois des régions, est indispensable à la meilleure prise en compte des situations spécifiques des entreprises. A l’heure où nous écrivons ces lignes, le décret de réforme des conventions collectives est débattu au Parlement avec de bonnes chances d’être voté.
-) Stimuler la productivité
Dans le contexte de consolidation budgétaire, la reconquête de la compétitivité salariale est nécessaire au rebond de l’activité. Mais, à moyen terme, une croissance équilibrée et soutenue passe également par des gains de productivité. La forte croissance de l’investissement résidentiel au cours des années de boom a évincé l’investissement productif et la recherche et développement. A l’avenir, la stimulation de ces leviers est indispensable à l’accroissement de la productivité du travail et à la montée en gamme de l’économie espagnole.
Une telle politique doit s’accompagner d’investissements dans l’éducation afin d’améliorer le capital humain. Le système éducatif espagnol est, en effet, marqué par un fort taux d’échec scolaire (31% des élèves quittent l’enseignement secondaire sans qualification), ce qui limite l’employabilité des travailleurs, au-delà de la rigidité intrinsèque du marché de l’emploi. Le cas de l’éducation est d’autant plus crucial qu’à l’avenir le secteur de la construction ne pourra plus offrir autant d’emplois non qualifiés que par le passé.
Cette nécessité d’investir dans des politiques de long terme se confronte aujourd’hui à l’insuffisance des moyens financiers disponibles. Le concours de l’Etat semble compromis par la nécessité d’assainir les comptes publics. De plus, à partir de 2013, l’Espagne ne bénéficiera plus des fonds de cohésion européens. Aussi, le financement privé devra pallier cette absence de fonds publics. Or, par delà la volonté, il reste à résoudre la question de la disponibilité des ressources pour les entrepreneurs. En effet, les investisseurs institutionnels, fragilisés par l’éclatement de la bulle immobilère, ne semblent pas disposer des moyens financiers suffisants pour réaliser de tels investissements, au moment même où la BCE est engagée dans un processus de relèvement de son principal taux d’intérêt.
Aussi, la recapitalisation du secteur bancaire apparaît comme une étape liminaire indispensable à la relance de l’économie et à l’établissement des conditions de sa croissance future.
Restructurer le système financier
Déjà bien amorcée, la restructuration du système financier, notamment des caisses d’épargne, représente une charge potentiellement importante pour l’Etat10. Le Royaume d’Espagne garantit, en effet, de manière « explicite et irrévocable » le Fonds de Restructuration Ordonnée du système Bancaire (FROB), créé en 2009 pour soutenir les institutions financières. Or les sommes que ce dernier aurait à lever varient beaucoup selon les estimations de EUR 15 milliards (Banque d’Espagne) à EUR 50 milliards (Moody’s). Elles dépendent surtout des hypothèses attachées à l’évolution des prix de l’immobilier. Ces derniers ont déjà baissé de 15% depuis leur pic, ce qui n’est probablement pas encore suffisant pour apurer la bulle. Le stock de logements retenus au bilan des établissements financiers n’a, en effet, pas permis, jusqu’à présent, de prendre la pleine mesure de l’excès d’offre. La demande de logements a, par ailleurs, été artificiellement soutenue par des mesures fiscales telles que la déductibilité des intérêts d’emprunt. Suite à leur disparition progressive depuis le 1er janvier 2011, la tendance à la baisse des prix des logements s’accentue.
Les scenarii de pertes / recapitalisations liées à l’évolution du secteur immobilier sont repris plus loin dans nos hypothèses sur la soutenabilité des finances publiques. Un exercice qui montre que l’Espagne n’est pas l’Irlande. Lorsque le gouvernement irlandais a injecté EUR 70 milliards d’argent public pour sauver les banques de la faillite, cette somme équivalait à 45% du revenu national. En supposant que le même montant soit nécessaire à la recapitalisation des établissements financiers espagnols, ce qui est une hypothèse très conservatrice, cela représenterait moins de 7% du PIB.
Des marges de manœuvre conséquentes
A 60% du PIB fin 2010, le ratio de dette publique espagnol est largement inférieur à la moyenne de la zone euro (84% du PIB). Pourtant, les primes de risque sur les marchés obligataires ont atteint leur niveau le plus élevé (environ 250 points de base au-dessus du Bund pour l’échéance à 10 ans) depuis l’adoption de l’euro. Deux éléments nourrissent la nervosité des marchés au-delà de la contagion financière importée des autres pays périphériques : d’une part, l’Espagne s’apprête à vivre une période prolongée de croissance atone qui ralentira probablement l’assainissement budgétaire ; d’autre part, la recapitalisation du secteur bancaire alourdira la dette de l’Etat d’un montant encore inconnu.
Au moyen de deux scénarios, nous montrons que la trajectoire de la dette publique espagnole est parfaitement soutenable, même en retenant, à dessein, des hypothèses macroéconomiques particulièrement pessimistes.
Des marges de manœuvre conséquentes
A 60% du PIB fin 2010, le ratio de dette publique espagnol est largement inférieur à la moyenne de la zone euro (84% du PIB). Pourtant, les primes de risque sur les marchés obligataires ont atteint leur niveau le plus élevé (environ 250 points de base au-dessus du Bund pour l’échéance à 10 ans) depuis l’adoption de l’euro. Deux éléments nourrissent la nervosité des marchés au-delà de la contagion financière importée des autres pays périphériques : d’une part, l’Espagne s’apprête à vivre une période prolongée de croissance atone qui ralentira probablement l’assainissement budgétaire ; d’autre part, la recapitalisation du secteur bancaire alourdira la dette de l’Etat d’un montant encore inconnu.
Au moyen de deux scénarios, nous montrons que la trajectoire de la dette publique espagnole est :
-) Scénario central
Dans notre scénario central, la croissance du PIB n’atteint que 0,4% cette année puis tend à l’horizon de 2014 vers une croissance potentielle estimée à 2%.
Le faible niveau d’activité génère des manques à gagner en termes de recettes fiscales qui ralentissent l’ajustement budgétaire. Le déficit public n’est ramené sous la barre des 3% du PIB qu’en 2015, soit deux ans après la date fixée dans le programme de stabilité et de croissance.
La recapitalisation du secteur bancaire atteint EUR 50 milliards, conformément à la prévision de Moody’s. Comme dans le cas irlandais, cette somme est directement incluse dans le déficit, ce qui pèse sur le budget de 2011 mais n’apparaît plus ensuite dans les comptes publics si ce n’est via les intérêts supplé- mentaires que ce surcroît de dette génère.
Le taux d’intérêt implicite sur la dette publique, égal à 3,7% en 2010, augmente tendanciellement vers 5,0%, compte tenu du renchérissement des coûts d’emprunts de l’Etat espagnol sur les marchés.
Sous ces hypothèses, le ratio de dette publique sur PIB culmine à 78% en 2014, soit à un niveau inférieur à la moyenne de la zone euro. Il commence à baisser à partir de 2016.
-) Scénario adverse
Dans le scénario adverse, le sauvetage du secteur financier coûte EUR 90 milliards à l’Etat. Le choc de confiance fait replonger l’économie en récession cette année (-2.0%). La frilosité des investisseurs réduit les perspectives de croissance, et l’activité tarde à redémarrer, ne renouant avec son potentiel de croissance qu’en 2016. La consolidation budgétaire sort des jalons fixés par le programme de stabilité et de croissance : le déficit public ne revient pas à 3% du PIB avant 2017.
Le taux d’intérêt apparent augmente avec la persistance des inquiétudes des investisseurs, pour s’élever à 5,5% à la fin de la simulation.
Sous ces hypothèses extrêmement pessimistes, la dette publique atteint 93,6% du PIB en 2015, soit une augmentation de près de 30 points de PIB par rapport au niveau actuel, laissant l’Espagne très vulnérable à la montée des taux d’intérêt.
Néanmoins, davantage que le niveau, ce sont les conditions de stabilisation du taux d’endettement qui priment lorsque l’on souhaite évaluer la soutenabilité des finances publiques. Or, dans ce scénario « catastrophe », la dette publique serait stabilisable avec une croissance réelle de 2% et un surplus primaire de 1%, ce qui constitue des hypothèses tout à fait raisonnables pour un pays comme l’Espagne où les problèmes de finances publiques sont avant tout les conséquences des excès passés du secteur privé.
L’Espagne traverse une crise structurelle qui ne pourra être surmontée que dans la durée, par le biais de mesures de rigueur et de modernisation de l’économie. La sortie de l’ornière passe par la résorption des déséquilibres accumulés au cours de la décennie passée (i.e le désendettement de tous les agents économiques et la correction complète de la bulle immobilière) et la recherche d’un nouveau modèle de croissance, axé sur l’innovation et la compétitivité. Le corollaire de cet ajustement est une période prolongée de croissance atone, inévitablement inférieure à celle qui prévalait pendant les années de boom.
Couplée à la persistance d’un niveau élevé de taux d’intérêt, la dette publique espagnole va continuer d’augmenter dans les prochaines années, probablement jusqu’en 2015. Néanmoins, contrairement à ce qui peut être observé pour les autres pays périphériques, la soutenabilité de la dette publique n’est pas remise en cause. Selon les scénarios retenus, le ratio de dette publique sur PIB devrait culminer entre 80% et 95% du PIB en 2015, soit dans la moyenne de la zone euro.
L’Espagne est entrée dans la crise avec un taux d’endettement public très faible (36% du PIB) et un système bancaire représentant un poids raisonnable dans le revenu national (trois fois le PIB, peu ou prou dans la moyenne européenne): contrairement à l’Irlande, la recapitalisation à venir du système financier ne modifiera pas substantiellement la trajectoire de la dette publique. Aussi, le pays dispose de marges de manœuvre budgétaire conséquentes pour faire face à la crise sans l’aide financière de l’Union européenne et du FMI. Les mesures d’austérité mises en oeuvre jusqu’à maintenant portent leurs fruits malgré la récession et les dérapages budgétaires au niveau des régions. Ces derniers ne constituent qu’un risque limité pour les finances publiques: si la dégradation des finances régionales est rapide, les niveaux demeurent tout à fait raisonnables. La dette des régions représente moins de 20% de la dette publique totale.
L’Espagne a du temps à disposition pour réformer en profondeur son marché du travail, redéfinir certains termes du contrat social et, surtout, réinventer un modèle économique qui a montré ses failles. Ces défis, s’ils sont propres à l’Espagne, s’inscrivent toutefois dans une prise de conscience européenne des distorsions qui se créent inévitablement dans une union monétaire dépourvue de toute forme de fédéralisme budgétaire. A cet égard, l’idée d’un pacte de compétitivité au niveau européen (le Pacte Euro plus) apparaît comme la reconnaissance de l’absolue nécessité d’une coordination des politiques économiques au sein des pays membres. Par ailleurs, la création du Fonds européen de Stabilité financière (FESF), actif jusqu’à mi-2013 et de son successeur permanent, le Mécanisme européen de Stabilisation (MES), témoigne, malgré les divergences naturelles dans une union de dix-sept démocraties, de la volonté politique de répondre aux inquiétudes des marchés par une solidarité financière européenne.
NOTES
- Il convient, toutefois, de préciser qu’entre 1996 et 2000 ce dernier avait baissé de 5 points.
- Notamment, la tendance à la décohabitation des jeunes générations avec leurs ascendants et l’augmentation du nombre de petits ménages.
- Certaines dépenses d’investissement et de recherche-développement sont déductibles, ce qui peut permettre aux administrations régionales d’afficher de légers déficits même lorsque l’expansion économique est très vigoureuse.
- A l’heure où nous écrivons, cela concerne cinq régions, mais des négociations pour la formation des administrations sont encore en cours dans de nombreuses autres.
- Le changement de majorité avait donné lieu à un déficit budgétaire presque trois fois supérieur à celui constaté par l’administration sortante.
- Un accroissement de l’output gap de 1 point « coûte » 0,5 point en pertes cycliques en recettes.
- La règle de Taylor est une règle de politique monétaire qui met en parallèle les taux directeurs avec l'écart de production, l'inflation future et les taux d'intérêt passés selon l’équation suivante : it=␣t +r*t+a*␣ (␣t -␣*t)+ay (yt-␣t) avec it le taux d’intérêt directeur fixé par la banque centrale à l’instant t, ␣t le taux d’inflation, ␣*t la cible d’inflation de la banque centrale, r*t le taux d’intérêt réel à l’instant t, yt et ␣t les niveaux respectifs du PIB et du PIB potentiel. a*␣ et ay sont des coefficient fixés à 0,5.
- Les revalorisations salariales dépendent, en effet, de l’inflation, mais elles peuvent être majorées d’un pourcentage supplémentaire atteignant 7%.
- Le mouvement des « indignés » qui anime la rue espagnole témoigne de la fatigue sociale qui gagne les couches populaires, et notamment les jeunes actifs, dont plus de 40% sont au chômage. Au sein de cette population, les « mileuristas », des jeunes diplômés de bac+3 à bac+5 gagnant EUR 1 000 par mois, symbolisent la précarité d’une génération qui craint de vivre une « décennie perdue ». Néanmoins, il convient de relativiser le poids du chômage par la prise en compte du développement de l’économie informelle (estimée à 20% du PIB) qui, s’il n’est pas viable à long terme, offre une soupape de sûreté face aux mesures d’austérité susceptibles de modérer le risque d’explosion sociale.
- Cette partie fait l’objet d’une étude approfondie dans ce même numéro de Conjoncture. Cf. D. Cavalier, « Banques espagnoles, attention travaux », Conjoncture BNP Paribas, juillet-août 2011.
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