par François Jaclot et Neil Janin, co-présidents d’un groupe de travail de l’Institut français des administrateurs (IFA)
Quel est le rôle des conseils d’administration (ou de surveillance) dans l’élaboration de la stratégie d’une entreprise ? Comme le souligne Daniel Lebègue, président de l’Institut français des administrateurs (IFA), si on a beaucoup parlé dernièrement de la responsabilité des administrateurs dans tout ce qui touche à la diffusion de l’information financière et à la rémunération des dirigeants, la question de la stratégie a été peu débattue.
Les études montrent que les administrateurs veulent participer davantage à la définition de la stratégie de l’entreprise. Une revendication qui apparaît légitime alors que le monde traverse une très grave crise économique et financière. L’IFA a constitué un groupe de travail piloté par François Jaclot, administrateur et CEO d’AOG et vice-président du conseil de surveillance d’Unibail-Rodamco, et Neil Janin, directeur associé chez McKinsey & Company. Globalix publie leurs recommandations.
La stratégie
Les exemples abondent qui montrent qu’une stratégie clairement formulée et largement partagée est nécessaire pour donner un cap à une organisation, mobiliser et fédérer ses énergies autour d’objectifs communs. La stratégie devient alors une base sur laquelle les investisseurs institutionnels ou particuliers décident de devenir actionnaires de l’entreprise. Il est donc justifié que le conseil, en sa qualité de représentant des intérêts des actionnaires, joue un rôle en matière de stratégie.
Avant de définir ce rôle, il faut préciser ce que recouvre la stratégie. Elle traduit la mission de l’entreprise, s’inscrit dans son développement à long terme, est en cohérence avec ses valeurs et s’exprime autour de trois éléments :
- domaines d’intervention (métier, marché, localisation géographique),
- avantages compétitifs pérennes,
- objectifs, qualitatifs et quantitatifs, précis et mesurables (développement, rentabilité, risque attendus, dans un horizon de temps donné)
La réglementation et les différentes préconisations sur la gouvernance attribuent un rôle-clé aux administrateurs en matière de stratégie. Aux termes de la législation française élaborée en 2001 et en 2003, le conseil d’administration est chargé de la stratégie de l’entreprise : il détermine les orientations de l’activité de la société et veille à leur mise en œuvre(1).
Certaines sociétés françaises ont déjà fait le choix de faire participer activement leur conseil d’administration à la formulation de leur stratégie. C’est en particulier le cas de sociétés à actionnariat dispersé et qui évoluent dans un environnement instable avec des évolutions technologiques très rapides(2). Cependant, bien des sociétés continuent à limiter l’intervention des administrateurs dans la stratégie à la simple approbation de grandes lignes définies par la direction générale.
Pourtant ceux-ci souhaitent s’impliquer davantage, et davantage en amont : d’après une étude récente(3), la majorité d’entre eux voudrait dédier plus de temps à la stratégie et aider ainsi à maximiser la création de valeur pour les actionnaires. Ils sont 53% à souhaiter que les discussions du conseil soient davantage axées sur le développement de la stratégie à long terme de l’entreprise, et 79% à penser qu’ils pourraient avoir une influence significative sur la création de valeur de l’entreprise si leurs compétences étaient utilisées de manière optimale.
Les recommandations
La direction générale et le conseil s’accordent sur ce que recouvre – et ne recouvre pas – la stratégie dans le contexte particulier de l’entreprise et du domaine d’activité dans lequel elle opère.
En dialoguant avec la direction générale, le conseil contribue à façonner la stratégie de l’entreprise en testant au fur et à mesure de leur élaboration la solidité et la pertinence des options considérées. Le conseil s’attache notamment à vérifier que la stratégie proposée est créatrice de valeur pour les actionnaires et en phase avec les attentes des autres parties prenantes de l’entreprise.
Les propositions stratégiques alimentant les échanges viennent de la direction générale. toutefois, le conseil peut le cas échéant prendre l’initiative et suggérer des options.
A l’issue de ce dialogue, qui pourra comporter des études approfondies sur certains points, l’approbation de la stratégie fait l’objet d’une décision du conseil qui a lieu au moins une fois par an.
Le conseil s’assure que les conditions de mise en œuvre de la stratégie sont réunies, contrôle que les projets cruciaux pour la réussite de la stratégie avancent dans les temps et selon les objectifs, et demande éventuellement la prise d’actions correctives. Il examine également les éventuels projets présentés en cours d'exercice par le management et peut le cas échéant remettre en cause et revoir la stratégie elle-même.
Le conseil et la direction générale définissent à l’avance des critères de réussite financiers et extra-financiers des projets-clés. Ces critères font l’objet d’un reporting, sous la forme d’un tableau de bord, dont la périodicité est décidée en commun et servent de base au calcul de la rémunération des dirigeants.
La communication externe de la stratégie est une étape du cycle stratégique et le conseil y est associé à ce titre. Les modalités de cette association sont laissées à l’appréciation du conseil et de la direction générale. L’implication du conseil en matière de communication est particulièrement critique dans les phases de crise ou en cas de tournant stratégique important (évènement du type acquisition, projet majeur d’investissement ou de désinvestissement…).
Pour assurer ses missions en matière de stratégie, comme pour ses autres missions, le conseil compte un nombre suffisant d’administrateurs indépendants. Un équilibre des expériences professionnelles, internationales, des expertises et des profils (diversité) est assuré afin de garantir la compétence collective du conseil face aux défis de l’entreprise (marché, produits, finance, technologie, géographie…). Les administrateurs sont choisis au regard de ces considérations et de leur disponibilité. Leur rémunération est en adéquation avec leurs compétences et le temps qu’ils consacrent à leur rôle.
Le conseil assume ces missions selon un processus formalisé
Ce processus prévoit les modalités et le calendrier du dialogue entre la direction générale et le conseil sur la stratégie un rapport régulier est fait par la direction générale au conseil. Différentes formes de travail en commun peuvent être envisagées telles que la création d’un comité de la stratégie, l’organisation de séminaires dédiés, et l’inscription dans l’agenda des réunions du conseil des questions stratégiques.
Les autres modalités (en particulier le format du document de cadrage stratégique) et le calendrier seront définis à l’avance et adaptés à la spécificité de chaque organisation.
L’information que la direction générale fournit au conseil ainsi que les dates et la fréquence à laquelle celle-ci est communiquée sont prévues. Le conseil peut demander à la direction générale ou commander lui-même (s’il dispose d’un budget) des études sur certains points. Il a le devoir de contrôler la pertinence et la validité des informations qui sont portées à son attention.
Le séminaire annuel est une étape clé dans le processus de conception de la stratégie, qui permet de débattre des grandes orientations de l’entreprise et de décider du programme d’action pour l’année. Il se déroule sur un ou deux jours, dans un cadre à part et selon des modalités qui favorisent un échange aussi direct que possible. Tous les administrateurs sont présents. un dossier de préparation leur est envoyé à l’avance.
Durant le séminaire, la direction générale présente les éléments structurants pour la compréhension de la stratégie (grandes tendances du marché, nouvelles technologies, données sur lesconcurrents…). Elle précise également le couple rentabilité/risque associé aux différentes options stratégiques possibles pour l’entreprise. Un relevé de décisions est rédigé à l’issue du séminaire.
Un comité de la stratégie peut être opportun, notamment pour approfondir certains sujets, anticiper des phases de rupture, piloter l’avancement de certains projets critiques ou lorsque le nombre d’administrateurs est élevé. Cependant ce comité ne saurait se substituer au conseil dans sa globalité sur son rôle en matière stratégique. Le travail du comité est de préparer, de relayer ou d’approfondir les discussions du conseil, selon les demandes de celui-ci. Les membres du comité sont choisis au regard de leurs compétences spécifiques (expertise dans un domaine d’activité, connaissance d’une technologie) et de leur disponibilité.
Le conseil et la direction générale décident des projets devant être approuvés par le conseil. Ils fixent les critères selon lesquels les projets doivent être soumis au conseil (montant, typologie, nature de projet, risque encouru…)
L’organisation de la société influence la manière dont le conseil travaille avec la direction générale en matière de stratégie. La dissociation des fonctions de président du conseil et de directeur général est souhaitable. Si ces fonctions sont exercées par une même personne, le vice-président du conseil a le rôle de veiller à ce que le conseil puisse mener à bien ses missions en matière de stratégie selon un processus formalisé dans les conditions énoncées ci-dessus.
NOTES
(1) Article L 225-35 1er alinéa du Code de Commerce
(2) Piloter l’entreprise dans une économie mondialisée, V. de Margerie, in P. Gauchon & al, PUF (Septembre 2008)
(3) Making the Board more strategic, étude extraite du Mckinsey Quaterly (Février 2008)