par Philippe Waechter, directeur de la recherche économique de Natixis Asset Management
Au cours de l'été, les enquêtes menées auprès des chefs d'entreprise de la zone euro indiquaient un changement de tendance. Pour les experts, les interrogations portaient encore sur la nature de cette perturbation :
- était-elle temporaire, reflétant un choc sans lendemain et ne nécessitant pas de mesures correctrices de la part de la politique économique ?
- ou était-ce un choc ayant davantage de persistance, au point de modifier les comportements et d’inciter la mise en place de stratégies pour en limiter l'impact sur la dynamique de croissance ?
Une crise qui persiste
Selon les enquêtes publiées pour le mois de septembre, la réponse n'est plus ambiguë. Le choc a un caractère persistant. Le mouvement de repli des indicateurs dans les enquêtes est confirmé et a même eu tendance à s'accentuer sur le mois de septembre.
Ce changement de régime est perceptible au sein de la zone euro, notamment à la lecture de l'enquête PMi/Markit. L’indice caractéristique de celle-ci entre dans un territoire associé généralement à un repli de l'activité. L'incertitude de la situation globale se traduit par un recul significatif de l'indicateur des nouvelles commandes. Chacun devient plus hésitant, repoussant le moment d'une dépense ou d'un investissement.
Attentisme des entreprises et des ménages
Dans une phase de ce type, une entreprise qui investit seule, prend alors le risque d'être en décalage avec toutes les autres, surtout si la conjoncture restait dégradée. Il est alors rationnel d'attendre pour ne pas avoir à supporter un coût inutile.
Pour les ménages, le raisonnement est quelque peu similaire. S'il y a de l'incertitude sur le futur, lisser ses dépenses dans le temps semble préférable puisqu'il est attendu que la situation se dégrade de nouveau. Dans ce cas, une situation plus incertaine aura tendance à engendrer un surplus d'épargne au détriment d'une dépense.
Ce report dans le temps pénalise immédiatement la conjoncture économique. Si cet attentisme se prolonge, une réduction supplémentaire de la demande n’est pas à exclure, ouvrant alors la possibilité d'une contraction de l'activité économique et d’un repli de la croissance.
Les turbulences financières constatées au cours de l'été au sein de la zone euro sont certainement à l'origine de ce choc d'incertitudes. Les interrogations sur le règlement de la situation de la Grèce, sur le système bancaire ou celles liées aux fragilités de l'architecture de la gouvernance européenne vont dans ce sens. Sur ce dernier aspect, la question de l'articulation entre la BCE, les gouvernements et le fonds européen de stabilisation financière (FESF) est toujours d'actualité puisque le champ d'intervention de ce dernier reste à définir. En effet, pour les pays les plus importants de la zone, c'est à la BCE d’intervenir.
Des enquêtes pessimistes
Ces inquiétudes constatées pour l'ensemble de la zone euro se retrouvent aussi directement dans les enquêtes menées en Allemagne et en France. Le changement de régime est très significatif en Allemagne indiquant que les ressorts ayant permis une reprise forte et durable de la croissance allemande se font plus fragiles.
Ces ruptures n'ont pas seulement été observées au sein des entreprises. Les enquêtes menées auprès des ménages prédisent d’ores et déjà des signaux de changements brutaux.
Pour l'ensemble des membres de la zone euro, le repli de l'indicateur de confiance a été très marqué en septembre. Pour les ménages allemands, les inquiétudes portent sur l'évolution future et se reflète dans la composante “anticipations”.
En France, les sous-indices, notamment celui de l'emploi, montrent qu'un changement brutal a pu être constaté au cours de l'été. Les ménages craignent désormais une dégradation rapide du marché de l'emploi.
Les enchaînements qui ont mené à ce ralentissement témoignent de la longueur de la sortie de crise en Europe. En effet, dans tous les pays de la zone euro, le niveau d'activité est, au mieux, celui constaté avant la récession de 2008. Cette reprise insuffisante s'est traduite par un rééquilibrage lent du marché du travail. La dynamique interne n'a pas pu retrouver son allure robuste et pérenne.
La reprise avait été dépendante de l'impulsion des pays émergents. Celle-ci s'est affaiblie et la conjoncture des pays industrialisés devient plus dépendante de leur dynamique interne. Or, le déséquilibre sur le marché du travail ne permet pas à leur demande interne de prendre le relais. Ce point de fragilité peut être généralement surmonté, sauf lorsqu'il y a apparition d'un choc dont la persistance finit par modifier les comportements. C'est probablement ce qui a été observé au cours de l'été.
Une prudence qui prédomine
Les entreprises deviennent plus prudentes et les ménages s'inquiètent brutalement de l'évolution du marché du travail.
Cela amène plusieurs remarques :
- La source de l'incertitude réside dans la situation européenne. Or, la résolution des questions liées à la Grèce et à la gouvernance de la zone euro prendra du temps. Même une résolution immédiate de ces questions ne permettrait pas d'échapper à un ralentissement sévère.
- L’ajustement constaté dans les enquêtes s'observe d'abord sur l'activité alors que l'emploi ne s'ajuste qu'avec retard. Les réductions de l'emploi, qui reflèteront l'ajustement de celui-ci au niveau de l'activité, prolongeront le repli de l'activité, accentuant ainsi la persistance du choc.
- Il n'y a pas forcément urgence à réduire rapidement les déséquilibres des finances publiques sauf à prendre le risque d'accroître fortement la menace d’une récession.
- La BCE doit continuer de limiter les risques sur le système bancaire en apportant des liquidités et en réduisant rapidement ses taux d'intérêt. Ce repli des taux d'intérêt devrait donc intervenir, avant la fin de l'année, peut-être dès octobre.
Plusieurs effets :
- Cela limiterait les contraintes pour l'ensemble des secteurs économiques et financiers et mettrait la stratégie de la BCE davantage en phase avec celles des autres banques centrales puisque la Fed a modifié l'orientation de sa politique monétaire et que la Banque d'Angleterre s'apprête probablement à en faire de même.
- Cela pourrait prolonger le mouvement de repli de l'euro qui serait la meilleure façon de redonner des marges de manœuvre à la zone euro en améliorant sa compétitivité externe.
Conclusion
Aujourd'hui, la difficulté de la zone euro est qu'elle bénéficie moins des impulsions extérieures que lors de la reprise de 2009- 2010. Elle se retrouve confrontée à sa dynamique interne et à ses déséquilibres. Il faut trouver une façon de réduire les contraintes immédiates.
La baisse du taux de change constitue une piste pour améliorer sa compétitivité et faire participer “l'extérieur” à la résolution de l'équation européenne. Le problème est que la dépréciation de la monnaie ne se décrète pas.
Une autre voie consisterait à repousser les contraintes en transférant les risques dans le temps. La monétisation de la dette publique par un transfert de risque du marché vers la BCE peut ici constituer une issue. Cela permettrait, grâce à un programme d'achats clairement défini de la part de la BCE, de limiter les risques de tensions sur les diverses dettes et faciliter ainsi le retour de la croissance en évitant les risques de crises récurrentes.