par Lukas Daalder, stratégiste chez Robeco
Si les indicateurs clés, comme l’effondrement des prix du cuivre, l’envolée des spreads de crédit et la volatilité des marchés actions, pointent vers un double creux (« double dip ») imminent, nous avons tout de même enregistré récemment de bonnes nouvelles.
La plupart des données économiques publiées pour septembre a été meilleure que prévu, bien que ce ne soit pas flagrant. S’il est trop tôt pour dire que l’économie mondiale se redresse, il ne fait aucun doute que le ralentissement marque une pause. Ce qui indique, pour l’instant, qu’une récession ne va pas se concrétiser. Mais ce n’est pas tout. Le vaste programme destiné à faire face à la crise de la zone euro, avec le renforcement des bilans des banques et le net développement du Fonds européen de stabilité financière (FESF), semble crédible. Ceci dit, cela reste pour l’instant un programme.
Le risque d’exécution est élevé. Les hommes politiques parlent beaucoup, mais sauront-ils mettre leurs discours en pratique ? Dans ce contexte encore incertain, l'équipe de recherche sur les marchés financiers de Robeco garde son approche sceptique des actifs risqués en termes d’allocation. Elle reste prudente concernant les perspectives des actions, estimant qu’une nouvelle baisse est plus probable qu’une reprise. Elle émet une recommandation neutre sur les obligations investment-grade, high yield et les obligations d'État, ainsi que sur les matières premières et l’immobilier.
Les États-Unis devraient éviter la récession
Les États-Unis sont un bon exemple d’une économie qui semble de prime abord s’engouffrer dans une récession, mais où une amélioration des données suggère qu’un double creux a peu de chances de se concrétiser. Certes, une poignée d’indicateurs clés révèle une situation morose. Les prix des matières premières ont diminué. Les spreads d’entreprises se sont élargis. Les marchés actions ont démarré le trimestre dernier en ayant atteint un nouveau point bas sur l'année. Aucun de ces événements n’est en soi un indicateur fiable sur le fait que l’économie américaine se dirige vers une récession, mais leur simultanéité a entraîné beaucoup de discussions autour d’un double creux. Cependant, les dernières données économiques américaines ont dépassé les prévisions. Les ventes automobiles ont repris en septembre, les indicateurs de confiance des producteurs ont généralement été supérieurs aux attentes et les prix de l’immobilier semblent s’être stabilisés. En outre, la révision du PIB du deuxième trimestre ne contenait pas de mauvaises surprises.
Le climat reste extrêmement fragile
Malgré de nombreuses nouvelles positives (les prix du pétrole diminuent, les taux réels sont négatifs et les consommateurs ont réduit leur niveau d’endettement), le climat est extrêmement fragile. Et il en faudra peu pour déclencher une nette dégradation. Il existe de nombreux événements, potentiellement déstabilisants, à réellement éviter en ce moment : l’incertitude croissante concernant les banques américaines, un éventuel défaut de paiement pénible en Europe, une nouvelle impasse entre les Républicains et les Démocrates sur la mise en œuvre de l’ambitieux American Jobs Act de Barack Obama, et une véritable guerre commerciale avec la Chine.
La zone euro est le maillon le plus faible
Mais si l’économie américaine s’est stabilisée et ne semble pas tomber dans la récession, nous sommes beaucoup moins optimistes concernant la zone euro. Ceci dit, les résultats économiques des principaux pays européens sont certainement comparables à ceux des Etats-Unis. La croissance ralentit mais n’est pas encore négative. Le vrai problème vient des pays périphériques. L’Europe est de loin le maillon le plus faible, les mesures d’austérité et les incertitudes persistantes sur l’avenir de la zone euro commençant à se faire sentir.
La crise de la dette de la zone euro s’est intensifiée
Le sauvetage de Dexia de la part des gouvernements français et belge représente une nouvelle intensification de la crise de la zone euro. Cela en dit long sur les tests de résistance européens…. Mais à toute chose malheur est bon. Le point positif dans la chute de Dexia est que les responsables politiques européens ont enfin réalisé qu’une recapitalisation du secteur bancaire est nécessaire. Dans ce contexte, la BCE a plusieurs bonnes raisons de recommencer à baisser les taux d'intérêt. Mais la banque centrale de la zone euro a prudemment maintenu les taux à 1,5 % lors de sa dernière réunion, après la hausse inattendue de l’inflation à 3 % en septembre. Ce sera maintenant au nouveau président Mario Draghi d’inverser les hausses de taux d’intérêt appliquées en début d’année.
La Banque d’Angleterre sur le pied de guerre
Au Royaume-Uni, l’approche de la banque centrale est très différente. La Banque d’Angleterre a annoncé une hausse de 75 milliards de livres dans son programme d’achat d’obligations, même si l’inflation reste presque deux fois supérieure au niveau cible. Il est évident que la Banque d’Angleterre a une façon de penser différente mais elle a certainement raison : l’inflation n’est pas le problème le plus urgent pour le Royaume-Uni, pour l’instant. La croissance économique est en effet quasiment au point mort.
Les chiffres japonais sont décevants
Si la plupart des résultats américains ont réussi à dépasser les prévisions, le Japon semble connaître la situation inverse. La production industrielle, la vente de détail, les dépenses des consommateurs et la balance commerciale ont été en deçà des prévisions, parfois de façon très nette. Néanmoins, l’économie japonaise est actuellement dans une phase de redressement post-tsunami liée à la reconstruction, si bien que le risque d’une récession, ou plutôt le risque que le Japon ne mette pas fin à la récession entamée au premier trimestre, n’est pas si grand. La situation générale n’est pas très attrayante. Nous continuons de croire que le couple risque/rendement pour l’ensemble de l’économie japonaise, avec le vieillissement de sa population et un ratio dette/PIB de 230 %, n’est pas très alléchant. Le ralentissement de l’économie mondiale s’est aussi fait sentir sur les principaux marchés émergents. Par conséquent, les risques inflationnistes dans la région sont en train de diminuer, réduisant la pression sur les décideurs monétaires. Pendant ce temps, les craintes que l’économie chinoise connaisse un atterrissage difficile se sont apaisées.
Les perspectives restent négatives pour les actions
Dans ce contexte, l’équipe de recherche sur les marchés financiers sent que les perspectives des actions restent globalement moroses. Bien que les marchés actions se soient consolidés, avec des négociations qui ont évolué sans réelle tendance ces deux derniers mois, rien n'indique vraiment que l’on assistera à une reprise. Les actions ont beaucoup souffert ces derniers mois et, pour l’instant, nous restons d’avis qu’une nouvelle baisse est plus probable qu’une reprise. Les responsables politiques doivent respecter les programmes qu’ils sont en train de lancer, alors que le cycle économique n'évolue pas dans la bonne direction. En attendant, les prévisions de bénéfices semblent ambitieuses. Bien que les analystes aient revu leurs estimations à la baisse, ils comptent toujours sur une croissance des bénéfices de 13 % en 2011 et 2012. Ce niveau semble difficile à atteindre, même si toutes les économies matures revenaient à une croissance modérée, une condition difficile à obtenir dans le cas de l’Europe.
Il existe cependant un facteur plus positif : la valorisation de l’indice MSCI AC World qui repose sur le ratio P/R de Shiller affiche aujourd'hui un niveau "normal" alors que la valorisation qui repose sur les tendances bénéficiaires indique que les cours sont sous-évalués d’environ 10 %. Il n’y a pas de nette sous-évaluation, mais comme point d’entrée, une légère sous-évaluation est plus intéressante qu’une légère surévaluation.
Marchés émergents : la région préférée pour les actions
Les actions des marchés émergents ont été malmenées par un changement de climat qui a entraîné une vente massive de risques sans distinction. En l’espace d’un mois seulement, la région a perdu 10 points de pourcentage par rapport à l’ensemble du marché. Les marchés émergents ont donc obtenu les meilleurs fondamentaux (le désendettement n’est pas un problème), mais aussi la valorisation la moins chère, avec un PER forward de 8,7x contre 9,9x pour l’ensemble du marché. Ils restent donc la région favorite de l’équipe pour les actions. Les actions en Europe et dans la région Pacifique ne sont toujours pas parmi les favorites. En Europe, les propositions de recapitalisation des banques et de développement du FESF sont positives, mais il n’est pas sûr qu'elles soient mises en place. Par ailleurs, la réaction du marché à un défaut de paiement grec est très incertaine. En d’autres termes, il y a de bonnes raisons à ce que l’Europe soit bon marché. L'avis négatif sur la région Pacifique repose sur les perspectives fondamentales pessimistes concernant le Japon.
Notre préférence va toujours aux secteurs défensifs
Même si les valeurs financières devraient tirer parti des recapitalisations bancaires mises en place par les décideurs et des autres politiques destinées à maîtriser la crise de la zone euro, nous gardons une préférence pour les secteurs défensifs. Il y a trois raisons à cela. Premièrement, elle veut se faire une idée des bénéfices du troisième trimestre avant d’envisager de changer d’opinion. Deuxièmement, le momentum et les révisions de bénéfices pour les titres défensifs restent relativement positifs. Troisièmement, le facteur saisonnier est toujours favorable : la période de mai à octobre est généralement positive pour les actions défensives.
Position neutre sur l’immobilier
L'équipe adopte une position neutre sur l'immobilier. L’immobilier était à la traîne dernièrement par rapport aux actions, ce que l’équipe attribue aux inquiétudes croissantes concernant la capacité des entreprises à trouver des financements. Mais, contrairement aux actions, les révisions de bénéfices au cours des trois derniers mois n’ont pas enregistré de net ralentissement. Les analystes prévoient actuellement une croissance des bénéfices de 4 % en 2011 et de 7 % en 2012. Nous pensons que ces prévisions sont beaucoup plus réalistes que celle de 13 % prévue pour les actions en 2011 et 2012.
Les perspectives s’améliorent pour les obligations d’entreprise investment grade
La valorisation des obligations d’entreprise a atteint des niveaux très attractifs. En effet, les spreads de taux d’intérêt sont près d’intégrer une récession dans leurs prix, alors qu’il est loin d’être certain que l’on assiste à un double creux. En outre, les bilans des sociétés non-financières comptent beaucoup de liquidités. Néanmoins, nous nous attendons que les choix des décideurs soient clarifiés avant d'adopter une attitude plus positive vis-à-vis des obligations d'entreprise. Ils restent donc neutres concernant les obligations investment grade et high yield.
Les faibles risques d’inflation et la crise de la zone euro soutiennent les obligations d’État
Les taux des obligations d’État ont atteint des niveaux si bas que les investisseurs devraient s’inquiéter des rendements à cinq ans. Mais l’analyse à court terme n’est pas si grave. Avec un horizon d'investissement d’un an, les faibles risques inflationnistes doivent aussi être pris en compte. Et si l’inflation globale est en nette hausse aux États-Unis, au Royaume-Uni et au Japon, les risques d’inflation à court terme sont en baisse. En outre, l’incertitude qui pèse sur la crise de la dette dans la zone euro devrait persister. Par ailleurs, les taux d’intérêt à court terme devraient rester faibles en 2012. A ce stade, l’équipe garde un point de vue neutre sur cette catégorie d'actifs.
Recommandation toujours neutre pour les matières premières
(Nous prévoyons) que le marché des matières premières reste caractérisé par des contraintes de capacité sur le plan de l’offre. L’équipe prévoit donc que la tendance haussière à long terme, qui a démarré il y a dix ans, se maintienne et garde de ce fait un point de vue neutre sur cette catégorie d’actifs. Le risque pour cette catégorie d’actifs est que la crise de la dette dans la zone euro entraîne la région dans une grave récession, touchant ainsi les économies fragiles des États-Unis, du Royaume-Uni et du Japon. Dans ce type de scénario, l’offre ne serait plus aussi limitée en 2012 ajoutant qu’une nouvelle baisse des prix des matières premières serait à prévoir dans de telles circonstances.