par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis
Comme en 2008, le pragmatisme l’a emporté ! La BCE a fait volte-face à quatre mois d’intervalle, en abaissant de 25pb son taux refi à 1,25% après l’avoir augmenté deux fois de 25pb en avril et en juillet dernier. A ceux qui pensaient que l’arrivée de Mario Draghi à la Présidence de la BCE serait un frein à un assouplissement de la politique monétaire dès novembre, la BCE leur a donné une leçon de pragmatisme. La BCE a donc créé la surprise – seuls quelques économistes l’anticipaient – même si elle n’avait pas fermé la porte à une baisse de taux à son précédent meeting1.
Pour notre part, nous pensions qu’elle attendrait la publication de ses nouvelles projections début décembre, en favorisant une baisse de 50pb.
Dans la lignée de la communication de la BCE depuis la crise, Mario Draghi a bien souligné la déconnexion entre la politique de taux d’intérêt d’un côté et la politique non conventionnelle de l’autre, cette dernière visant à garantir le bon fonctionnement des canaux de transmission de la politique monétaire. Ainsi, la baisse de taux est principalement motivée par la détérioration de la conjoncture économique qui atténue en conséquence les risques inflationnistes. Mario Draghi a annoncé que les projections économiques de la BCE, qui seront dévoilées le mois prochain, allaient être significativement revues à la baisse et qu’une légère récession était possible. Les risques sur la croissance sont donc clairement baissiers alors que les risques sur l’inflation sont considérés comme équilibrés.
Alors que nous n’adhérions pas aux décisions de hausses de taux du printemps, cette baisse nous paraît justifiée étant donné le ralentissement en cours de la croissance de la zone euro et le risque de « credit crunch »2. Elle permet non seulement de soulager le secteur bancaire en lui permettant de se refinancer un peu moins cher mais elle soutient également les pays qui se financent à taux variables, en particulier les pays périphériques.
Cette décision s’ajoute aux nombreuses mesures déjà prises en vue d’atténuer les tensions sur le marché interbancaire et venir en aide aux banques (allocation illimitée de la liquidité sur du 6 mois/12 mois/13 mois ; réactivation du programme d’achats de covered bonds à hauteur de 40Md€ ; achats de titres publics via le Securities Markets Programme). Pour autant, Mario Draghi a bien souligné que la BCE n’avait pas vocation à être prêteur en dernier ressort et que le SMP était par définition temporaire et de montant limité.
A l’image de JC Trichet, à la question d’une éventuelle nouvelle baisse en décembre, Mario Draghi a répondu que la BCE ne s’engage jamais sur les décisions à venir (« never pre-commit »). S’appuyant sur les données qui seront publiées pendant le mois à venir et sur l’évolution des enquêtes, la BCE prendra sa décision début décembre. Etant donné le climat actuel d’extrême fragilité, de poursuite de la dégradation de la conjoncture et de la persistance de forts risques sur la croissance de la zone euro, nous pensons que la BCE abaissera le taux refi le mois prochain à 1%.
De l’autre côté de l’Atlantique, la réunion de politique monétaire de la Réserve Fédérale américaine a fait moins de bruit, en l’absence de nouvelle annonce d’assouplissement. Le communiqué avait un ton légèrement plus positif sur la croissance du T3-2011, les statistiques macroéconomiques de septembre ayant été plutôt meilleures qu’attendu, mais continuait de mettre en avant les risques baissiers qui pèsent sur la croissance. Un point intéressant a été la dissidence de C. Evans (Fed de Chicago) qui aurait préféré davantage d’assouplissement de la politique monétaire à ce comité. Les trois dissidents précédents, R. Fisher, N. Kocherlakota and C. Plosser, qui étaient contre les mesures d’assouplissement décidées le mois dernier se sont ralliés à la décision du comité ce mois-ci, en l’absence de nouvelle annonce.
La Fed a fortement revu à la baisse ses projections de croissance, de plus d’un point pour la tendance centrale pour 2011 (de 2,7%/2,9% à 1,6%/1,7%) et de 0,8pt pour 2012 (de 3,3%/3,7% à 2,5%/2,9%). Nous pensons que la vague de révisions à la baisse pour 2012 n’est pas terminée, la Fed étant toujours trop optimiste (notre projection se situe à 1,7%). Sans réelle amélioration sur le front du chômage, il nous semble assez probable que la Fed annonce au premier trimestre 2012 de nouvelles mesures d’assouplissement (QE3). Elles pourraient prendre la forme de nouveaux achats de MBS, ce qui semble être l’option privilégiée par le Comité à ce stade.
NOTES
- Cf. Edito d’Eco Hebdo du 7 octobre 2011
- Cf. Edito d’Eco Hebdo du 14 octobre 2011