par Sylvain Broyer, économiste chez Natixis
Observant les succès incontestables de l‘économie allemande en matière de croissance (+3,0% en 2011), emploi (+1,2% cette année) et finances publiques (déficit public à 1,5 pt de PIB en 2011), certains appellent aujourd’hui en France à copier sa stratégie axée, au premier abord, sur les exportations, la compétitivité-coût et la rigueur budgétaire. Il nous semble pourtant que certaines vertus invoquées du modèle allemand relèvent parfois de raccourcis faciles, voire du mythe.
Rigueur budgétaire : 40% de la dette publique est comptabilisée dans des fonds spéciaux, entités juridiques aux besoins de financement peu transparents, qui ont autorisé un certain maquillage des déficits publics en 2009 et 2010. Si certaines de ces pratiques s’accordent avec la comptabilité au sens de Maastricht (pas de comptabilisation au déficit des mesures de recapitalisation bancaire), d’autres le sont moins.
Par exemple, la prime à la casse n’a pas été comptabilisée au budget de l’Etat mais à celui du fonds ITF, justifiant d’une mesure d’investissement en technologies vertes, là où il y avait surtout subvention à la consommation des ménages. Entre 2009 et 2011, l’Etat fédéral a ainsi caché 20 Mds EUR soit presque 1 point de PIB au titre de dépenses d’investissement. Lors de sa création il était même prévu que le fonds ITF ait un volume de 60 Mds EUR. Or, la frontière comptable en dépenses publiques courantes et en capital est souple. Enfin, le budget 2012 relâche le frein à l’endettement pour soutenir la demande (chèque de Noël pour les fonctionnaires, augmentation des allocations logement et parentales, hausse des bourses étudiants) à hauteur de 4 Mds EUR (0,2 pt de PIB). Il s’écarte de l’austérité demandée par l’Allemagne à ses partenaires européens.
Compétitivité-coût : la TVA sociale de 2007 a plus servi à rembourser la dette qu’à faire baisser les charges. Sur les trois points de hausse du taux de TVA, qui ont amené environ 20 Mds EUR dans les caisses de l’Etat, deux ont été utilisés pour réduire le déficit public, et un point seulement pour financer la baisse des cotisations chômage. Cette baisse augmentait d’ailleurs autant les salaires nets qu’elle diminuait les charges patronales.
Parallèlement, les cotisations santé et retraite ont été relevées, si bien que les cotisations totales n’ont pu être ramenées que de 41,9% à 40,5% du salaire brut en 2007. La TVA sociale n’a été qu’un instrument marginal de compétitivité-coût. En fait, la hausse de la compétitivité-coût s’appuie sur deux éléments : 1/ une politique de modération salariale qui s’est nourrie de l’idée défendue par la Bundesbank et les partenaires sociaux, selon laquelle l’élasticité de la consommation à l’emploi est plus forte que celle aux salaires ; 2/ l’abandon pur et simple du modèle social allemand avec la création de contrats de travail précaire par les lois Hartz II de 2003 (mini-jobs) pour lesquels les charges sociales sont fortement réduites. Ce type de contrat de travail a connu un essor rapide entre 2003 et 2005, se substituant même en partie à l’emploi régulier. Les mini-jobs ont été une source directe et indirecte (effet Balassa inverse sur les salaires réguliers) de compétitivité-coût.
Succès à l’exportation : les parts de marché que l’Allemagne a gagnées ces dix dernières années dans l’UE proviennent en majorité d’activités de transit, notamment portuaire, qui ont rapidement grossi depuis la mondialisation des chaînes de production. La baisse des coûts salariaux ne joue ici qu’un rôle marginal. Ainsi, tandis que l’Allemagne a gagné 1,2 point de parts de marché intra-EU depuis 2000, les deux tiers (0,8 point) reflètent une hausse du transit de biens vers l’UE, ce qui a plus à voir avec la dotation naturelle (géographie) et capitalistique du pays (infrastructures portuaires de Hambourg et Bremerhaven) qu’avec la compétitivité du facteur travail. D’ailleurs aux Pays-Bas, le résultat est encore plus tranché puisque les gains de parts de marché intra-UE sont exclusivement acquis sur les réexports directs, un succès à mettre au crédit du port de Rotterdam. La compétitivité-coût des pays s’est dégradée.
Aptitude à réformer : Les marchés louent aujourd’hui l’aptitude de la gouvernance allemande à avoir su passer des réformes courageuses (santé, retraite, fiscalité, marché du travail). Elle est indéniable. Mais il ne faut pas oublier que ces mêmes marchés doutaient encore en 2004 de la stabilité de la notation AAA de l’Allemagne, principalement en raison de la faible croissance potentielle et du niveau élevé de déficit. Si les spreads étaient aussi serrés entre dettes souveraines de la zone euro de 2003 à 2006, c’est aussi parce que l’Allemagne faisait moins bien que ses pairs de la zone euro. Le train des réformes mené tambour battant par l’Allemagne a donc aussi été initié en 2003 par obligation de convaincre les marchés, alors que : 1/ le vieillissement de la population était une contrainte plus forte en Allemagne que pour les autres pays européens. 2/ La stratégie engagée après la réunification était un échec patent. En 1995, l’Allemagne a une industrie qui n’est plus compétitive (en termes de coûts salariaux). Elle fait le choix du développement des nouvelles technologies (médias, internet, télécom).
Malheureusement, l’éclatement de la bulle boursière met un terme à la nouvelle économie, ce qui coûtera presque 1 million d’emplois à l’Allemagne. En 2003, le pays exsangue doit se réinventer. Il fait alors le choix du retour sur son cœur de métier, l’industrie dont il doit restaurer la compétitivité-coût. Chose faite aujourd’hui.
Le vrai succès de l’Allemagne est d’avoir su se réinventer en moins de dix ans. La source d’inspiration est là. Sa stratégie quant à elle était idoine et ne peut être simplement dupliquée.