BCE : le champ des possibles

par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole

  • Tous les espoirs de résolution de crise reposent sur la BCE, mais un programme massif de rachats de dette non stérilisés n’est pas à l’ordre du jour. En revanche, la BCE peut et doit selon nous en faire davantage pour assouplir les conditions monétaires et financières.
  • Côté refinancement, la BCE devrait poursuivre les baisses de taux, sous les 1,00%, en mettant l’accent sur le ralentissement attendu des agrégats monétaires et de crédit. Nous prévoyons désormais un taux directeur à 0,50% en mars 2012.
  • Une extension des mesures de soutien à la liquidité bancaire, et une baisse du coût des opérations de refinancement en dollars (en coordination avec la Fed), seraient bienvenues dans le contexte de forte détérioration des conditions de marché.

par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole

  • Tous les espoirs de résolution de crise reposent sur la BCE, mais un programme massif de rachats de dette non stérilisés n’est pas à l’ordre du jour. En revanche, la BCE peut et doit selon nous en faire davantage pour assouplir les conditions monétaires et financières.
  • Côté refinancement, la BCE devrait poursuivre les baisses de taux, sous les 1,00%, en mettant l’accent sur le ralentissement attendu des agrégats monétaires et de crédit. Nous prévoyons désormais un taux directeur à 0,50% en mars 2012.
  • Une extension des mesures de soutien à la liquidité bancaire, et une baisse du coût des opérations de refinancement en dollars (en coordination avec la Fed), seraient bienvenues dans le contexte de forte détérioration des conditions de marché.
  • La BCE pourrait rapidement accélérer ses rachats hebdomadaires de dette publique (SMP) autour de 10 à 20 Mds EUR, une fois les conditions « politiques » réunies. Nous ne voyons pas de difficulté particulière avec le processus de stérilisation à court terme.
  • Parmi les facteurs susceptibles de justifier une expansion plus marquée du bilan de la BCE figurent un engagement explicite des gouvernements en Italie, Espagne et Grèce à poursuivre les réformes budgétaires et de structure, ainsi qu’un « saut quantique » en termes de gouvernance économique lors du sommet européen du 9 décembre.
  • La solution la plus radicale, crédible et efficace pour stabiliser les marchés passerait selon nous par un financement de l’EFSF par la BCE, qui ne violerait pas le Traité. Malheureusement, l’Allemagne et la BCE elle-même s’y sont fortement opposées.
  • En dernier recours, si l’instabilité financière fait peser un risque d’éclatement et/ou de déflation en zone euro, la BCE n’aurait d’autre choix que d’annoncer un programme de rachats plus important, pour un montant total et une durée prédéterminés.

 

Les échecs successifs des leaders européens dans leurs tentatives de stabiliser les marchés financiers, à travers une succession de sommets de chefs d’Etat et de bonnes intentions non suivies de décisions concrètes, ont produit l’inverse de l’effet escompté. La contagion financière atteint aujourd’hui des pays comme l’Italie, la France, voire l’Allemagne, avec des conséquences potentiellement dramatiques, et inimaginables il y a encore quelques mois : le gel total des marchés interbancaires et un risque systémique sur le secteur bancaire, la fermeture progressive des marchés obligataires et l’éventualité d’un plan de sauvetage pour l’Italie et l’Espagne, le risque de restructurations, de défauts en chaîne et, in fine, d’éclatement de la zone euro. L’EFSF étant au mieux dans un état de coma avancé, au pire mort- né, les investisseurs se sont logiquement tournés vers la BCE comme seul Prêteur en Dernier Ressort capable de soutenir un marché obligataire périphérique de 3 000 Mds EUR (Italie, Espagne, Grèce, Portugal et Irlande).

Si la BCE peut et doit en faire davantage, selon nous, pour contrer le resserrement des conditions monétaires, un programme massif de « Quantitative Easing » (rachats d’actifs non stérilisés) reste très peu probable à court terme, à moins de faire face à un risque immédiat d’éclatement. La BCE ne devrait pas rester inactive pour autant. Les justifications ne manquent pas pour baisser les taux sous le seuil (psychologique) de 1,00% et de nouvelles mesures non-conventionnelles peuvent aider à la marge (appels d’offres longs, voire rachats de titres de dette bancaire). La BCE pourrait signaler un tel biais dès la réunion du 8 décembre.

Dans l’intervalle, les rachats de dette publique via le programme SMP vont continuer. Pour que leur rythme augmente sensiblement, jusqu’à 20 Mds EUR par semaine par exemple, la BCE pourrait toutefois attendre une confirmation de la part des Etats membres de la poursuite des réformes nationales et du renforcement des institutions et de la gouvernance européenne.

Baisse des taux et soutien à la liquidité bancaire

– Vers un taux Refi sous les 1%

Les derniers indicateurs avancés signalent une contraction du PIB de la zone euro au T4 2011. Les données d’activité envoient un signal plus mitigé, mais la production industrielle, en particulier, s’est écroulée dès le mois de septembre. Comme le président Mario Draghi l’a suggéré lors de sa conférence de presse de novembre, les nouvelles projections macroéconomiques du staff de la BCE devraient refléter une « légère récession », sinon une baisse plus prononcée de l’activité. Dans tous les cas, les risques resteront orientés à la baisse tant que le mouvement de contagion de la crise au « cœur » de la zone euro ne sera pas stoppé. Les conditions monétaires et financières se sont fortement resserrées depuis l’été et le niveau toujours trop élevé de la monnaie unique n’a pas aidé à compenser cette détérioration. En conséquence, le risque est d’assister à un credit crunch généralisé, plutôt qu’un credit squeeze localisé et temporaire. Nous attendons de la BCE qu’elle insiste davantage sur les risques liés à l’évolution des agrégats monétaires et de crédit (le « second pilier »), afin de justifier des taux plus bas dans les mois à venir.

En conséquence, nous continuons de prévoir une baisse des taux directeurs de la BCE de 25 pdb lors de la réunion du 8 décembre. Une baisse de 50 pdb ne peut pas être totalement exclue. Surtout, des taux inférieurs à 1% nous semblent désormais plus probables début 2012, et notre scénario central table sur un taux Refi à 0,50% d’ici mars 2012, probablement par des baisses de 25 pdb en décembre 2011, janvier et mars 2012. Dans ce cas, nous pensons que la BCE resserrera son corridor de taux à +/- 25 pdb afin de maintenir le taux de la facilité de dépôt au-dessus de zéro. Si la BCE décidait de laisser son taux Refi à 0,75%, elle pourrait réduire son corridor à +/- 50 pdb.

Fondamentalement, un scénario dans lequel l’inflation ne décline que lentement depuis son pic à 3% et une récession profonde est évitée ne plaide pas pour des taux directeurs à zéro : nos prévisions suggèrent que la croissance tendancielle du PIB nominal de la zone euro resterait autour de 2% fin 2012. Par ailleurs, l’impact positif attendu de ces baisses de taux devrait rester modeste. Cependant, il est probable que Draghi utilise la marge de manœuvre « conventionnelle » dont il dispose encore, et si cela peut faire baisser l’EUR (un taux Refi à 0,50% n’est pas totalement « pricé » par les marchés), alors les conditions financières globales s’assoupliront davantage. Une baisse supplémentaire de 75bp du taux Refi devrait également faire baisser les taux Euribor et, en retour, les coûts de refinancement pour les crédits aux entreprises et aux ménages qui sont indexés sur ces taux de référence. Enfin, compte tenu de la pression politique pesant sur la BCE pour accélérer ses rachats d’actifs, une baisse des taux sous le seuil « psychologique » des 1% pourrait rencontrer une moindre résistance au sein du Conseil des Gouverneurs.

Une nouvelle baisse du climat des affaires et une contraction du PIB au T4 (les chiffres seront connus mi-février), mais aussi un renforcement des tensions sur les marchés seraient autant de facteurs permettant de justifier un tel assouplissement monétaire.

– Extension du credit easing pour éviter un credit crunch

La dernière enquête BLS (Bank Lending Survey) de la BCE auprès des banques a révélé un début de resserrement des conditions d’octroi de crédit en zone euro, tant pour les entreprises non-financières que pour les ménages. Compte tenu des tensions actuelles sur le refinancement des banques et du souverain, il semble probable que la détérioration des conditions de crédit se poursuive dans les prochains trimestres.

Du côté du refinancement des banques, la BCE a fait beaucoup pour contrer ces effets négatifs, et nous pensons qu’elle peut en faire plus. La prochaine opération de refinancement à 13 mois, le 21 décembre, permettra de couvrir les fins d’année 2011 et 2012 et des appels d’offres à plus long terme (2, voire 3 ans) semblent à l’étude.

La taille du programme de rachats de covered bonds (CBPP2) pourra toujours être étendue si besoin. Par ailleurs, la BCE pourrait facilement décider de mesures additionnelles de rachats de dette privée. Les banques de la zone euro faisant face à des montants considérables de dette subordonnée et sécurisée en 2012, ces dernières font figure de candidates idéales pour un nouveau programme. Contrairement aux covered bonds, un tel programme devrait toutefois être suffisamment grand pour être efficace, et la BCE prendrait un risque de crédit supplémentaire considérable sur son bilan. Même en cas de gel total des marchés interbancaire, la BCE pourrait favoriser une extension de ses opérations de refinancement illimitées.

Les banques de la zone euro sont, à nouveau, de plus en plus dépendantes du refinancement de la BCE. Ces développements ne sont pas une bonne nouvelle en soi, mais la BCE peut contrôler la situation en suivant de près les développements microéconomiques et en prévenant notamment toute tension sur les collatéraux disponibles.

Enfin, une annonce de la Fed et de la BCE pour étendre les lignes de swap FX entre les deux banques centrales et réduire le coût de la liquidité en dollars à 3 mois (actuellement au taux swap Eonia + 100 pdb) serait particulièrement bienvenue. La décision doit être prise en coordination avec la Fed mais une telle mesure serait en réalité dans l’intérêt des Etats-Unis dans la mesure où un montant significatif d’actifs des banques européennes doit être refinancé en dollars. Cela dit, la prochaine opération de refinancement en USD à 3 mois de la BCE aura lieu le 7 décembre – la veille de la prochaine réunion de la BCE – et le scénario le plus probable est celui d’une hausse de la demande lors de cette opération avant une baisse potentielle du coût de la liquidité en dollars.

Interventions sur le marché de la dette publique

Nous continuons de croire que le moyen le plus crédible et le plus efficace de financer des rachats d’obligations souveraines sur le marché secondaire sans violer le Traité ou les statuts de la BCE consiste à transformer l’EFSF en une contrepartie de la BCE (l’option « EFSF banque »). Comme l’Allemagne s’oppose (pour l’instant) vigoureusement à cette option, d’autres pistes doivent être explorées.

Dans l’immédiat, la BCE devrait continuer ses achats de dette dans le cadre du programme SMP (Securities Markets Programme), voire les accélérer une fois les conditions politiques réunies. Le nouveau gouvernement italien doit mettre en place un programme ambitieux de mesures budgétaires et structurelles sous le contrôle continu du FMI, selon un calendrier à préciser sous peu. En Grèce, le nouveau Premier ministre semble déterminé à respecter les objectifs budgétaires et le calendrier des réformes. En Espagne, le Parti populaire sorti récemment vainqueur des élections devrait très probablement poursuivre, voire accélérer, les mesures d’austérité et les réformes structurelles. Au niveau européen, le sommet du 9 décembre devrait aller dans le sens d’un renforcement significatif de la gouvernance économique en zone euro et de son cadre institutionnel et budgétaire, notamment par des propositions de modification des Traités.

Il est probable que la BCE continue d’exercer une forme de pression sur les dirigeants européens afin qu’ils réalisent enfin le bond en avant, ou « saut quantique » qu’elle réclame depuis des mois, y compris l’automaticité des sanctions à l’encontre des pays sous procédure d’endettement excessif ainsi que l’adoption de droit de veto sur des budgets des pays membres qui ne respecteraient pas les recommandations de Bruxelles. En échange, le Conseil des gouverneurs pourrait implicitement accepter d’accélérer le programme SMP, malgré l’opposition de certains de ses membres qui pourraient choisir une forme de tolérance passive plutôt qu’une opposition frontale. Dans tous les cas, l’espoir de la BCE d’être en mesure d’arrêter le programme SMP une fois l’EFSF étendu opérationnelle a peu d’espoir d’aboutir, du moins pour l’instant.

– Combien la BCE achète-t-elle de dette publique ?

La BCE a acheté plus de 120 Mds EUR d’obligations souveraines depuis août 2011 (essentiellement des obligations espagnoles et italiennes, même si la répartition géographique exacte n’est pas connue) et un total de 250 Mds EUR de dettes privée et publique depuis juillet 2009, y compris des covered bonds et de la dette publique grecque, irlandaise, portugaise, espagnole et italienne.

Il faut noter que le rythme moyen d’achats depuis l’été est à peu près équivalent à 12 mois de besoins de financement cumulés de l’Espagne et de l’Italie (en excluant les titres d’une maturité inférieure à un an) – un montant supérieur aux émissions des deux souveraines sur la même période. Bien sûr, la BCE ne peut pas intervenir sur le marché primaire, mais son rôle de prêteur en dernier ressort sur le marché secondaire constitue une menace pour les positions vendeuses. Si la BCE poursuivait sur un rythme de 15-20 Mds EUR par semaine, cela reviendrait à financer l’Espagne et l’Italie pour deux ans, voire plus. La semaine dernière, le chiffre de 20 Mds EUR a justement été avancé comme plafond potentiel des achats hebdomadaires. 

– Combien la BCE peut-elle acheter ET stériliser ? … Beaucoup

Il faut tout d’abord rappeler que la stérilisation des rachats de dette grâce à une facilité de dépôt à 7jours a été mise en place, avant tout, pour ménager les susceptibilités allemandes et éviter de présenter le SMP comme un programme d’assouplissement quantitatif (QE). En pratique, la stérilisation s’apparente davantage à une mesure cosmétique qu’un véritable retrait de liquidité, et ce tant que la BCE continue de fournir de la liquidité en montants illimités aux banques. Les dépôts à 7 jours offerts pour retirer la liquidité correspondante aux achats SMP sont même éligibles comme collatéral auprès de la BCE pour ses opérations de refinancement. La boucle (de liquidité) est bouclée.

Nous ne voyons pas de problème immédiat lié au processus de stérilisation du SMP tant que les taux Eonia restent bas, ce qui devrait être le cas dans un contexte de liquidité bancaire en excès par rapport aux besoins réels. Nos stratégistes taux notent qu’à l’évidence, le processus de stérilisation n’a pas créé de problèmes récurrents pour le marché monétaire. Quelques tensions pourraient apparaître ponctuellement si le total des achats SMP atteignait 400 Mds EUR ou 500 Mds EUR et si, dans le même temps, les conditions de liquidité commençaient à s’améliorer, réduisant ainsi les incitations pour les banques à redéposer leur excès de liquidité auprès de la BCE à un taux relativement plus bas. Si cette situation perdurait, les statuts de la BCE lui permettent d’émettre des certificats de dette à plus long terme afin d’absorber l’excès de liquidité avec des échéances plus longues et des taux plus élevés.

– Y a-t-il d’autre limite à l’expansion du bilan de la BCE ? … En théorie, aucune

Pour faire court, il n’y a aucune contrainte sur l’extension du bilan de la BCE autre que la réticence de la Bundesbank à s’engager sur cette voie. En réalité, la BCE a pratiqué le Quantitative Easing indirect depuis octobre 2008, date à laquelle elle a déclenché l’arme nucléaire de l’offre illimitée de liquidité. Entre autres conséquences, cette mesure a permis aux banques d’augmenter leurs rachats de titres de dette souveraine depuis trois ans en se refinançant à des conditions favorables auprès de la banque centrale.

Malgré l’arsenal de mesures de soutien aux banques (credit easing), l’augmentation de la taille du bilan de la BCE est restée contenue relativement aux évolutions observées aux Etats- Unis et au Royaume-Uni, en particulier. De ce point de vue, la BCE dispose encore d’une marge de manœuvre importante pour utiliser son bilan. Depuis juillet 2007, la taille de ce dernier a tout juste doublé alors que celui de la Fed a plus que triplé. En termes de rachats fermes d’actifs rapportés à la taille du bilan de la banque centrale, l’écart est encore plus important et il faudrait assister à un programme de QE de l’ordre de 1 200 Mds EUR (en plus des achats existants), pour atteindre les ratios de la Fed ou de la BoE.

Des achats d’actifs à grande échelle sur une période de temps prolongée pourraient raviver le débat sur la capacité de la BCE à absorber des pertes potentielles sur son portefeuille d’obligations. Ce risque nous semble largement surestimé à ce stade, non seulement parce que la BCE n’achète pas ces obligations au pair, mais surtout parce qu’elle bénéficie de matelas de sécurité importants : des comptes de réévaluation et de seigneuriage supérieurs à 300 Mds EUR, en plus du capital et des réserves de l’Eurosystème de 82 Mds EUR.

Au plan théorique, il est possible d’estimer « la capacité d’absorption de pertes non inflationniste » de la BCE, mesurée par la valeur actuelle nette des flux de seigneuriage futurs en fonction du niveau d’inflation toléré sur le long terme et d’un niveau naturel de taux d’intérêt. Ainsi, la capacité d’intervention maximum de la BCE se situerait aux alentours de 3 000 Mds EUR, un chiffre proche du montant cumulé de la dette italienne, espagnole, grecque, portugaise et irlandaise.

In fine, la responsabilité d’une recapitalisation potentielle de la BCE reviendrait aux gouvernements selon leur part dans le capital de la BCE. En d’autres termes, dans le pire des scénarios incluant des pertes significatives sur le bilan de la BCE, la conséquence serait un nouveau large transfert fiscal du cœur de la zone euro à la périphérie, ce qui est pour le moins délicat au plan politique.

Enfin, d’autres problématiques pourraient émerger avec des achats SMP plus conséquents, même si la plupart d’entre elles devraient être faciles à écarter si le scénario alternatif est une fermeture complète des sources de financement des banques et des Etats. En particulier, la BCE manque de légitimité démocratique pour justifier ses interventions même si, en pratique, leur mode opératoire les rend plus flexibles et plus efficaces. Certes, la BCE se trouve dans la situation inédite et inconfortable de devoir exercer une pression permanente sur les gouvernements pour qu’ils respectent leurs engagements, mais elle n’a d’autre choix dans l’immédiat que de poursuivre cette stratégie, faute de crédibilité des autres institutions européennes, tout en limitant autant que possible le risque d’aléa moral.

– La menace inflationniste est-elle crédible ? … Non !

Concernant les conséquences des achats d’actifs par la BCE sur l’inflation (qu’ils soient stérilisés ou non), le conflit traditionnel opposant monétaristes et keynésiens nous semble largement dépassé. De fait, il paraît inconcevable de prévoir de l’hyperinflation, ou tout au moins un régime d’inflation plus élevé, y compris dans le cadre théorique classique. La principale raison à cela tient au canal de transmission du crédit qui est aujourd’hui durablement affecté par les tensions sur le refinancement des banques et le processus de désendettement en cours. Clairement, l’expansion du bilan de la BCE n’a pas eu d’impact significatif sur la masse monétaire (M3) autre que des réallocations ponctuelles de portefeuille le long de la courbe des taux d’intérêt. Les multiplicateurs monétaires et de crédit ont subi une forte baisse et demeurent bien en-deçà de leur moyenne historique. Nous imaginons mal comment des achats de dette supplémentaires pourraient retourner cette tendance sur le court terme, d’autant que les anticipations d’inflation restent bien ancrées et que les développements en cours signalent une modération, voire une forte décélération, des volumes de crédit bancaire au secteur privé.

– En dernier recours, la BCE pourrait annoncer un programme SMP d’une taille et d’une durée prédéterminées

Il nous paraît peu réaliste de s’attendre à des interventions massives et non-stérilisées de la BCE dans un futur proche, à moins d’être confronté à un scénario financier catastrophe de type « Eurogeddon ». Si la mise en place des étapes énoncées précédemment se révélaient insuffisantes face à une pression continue des marchés, un scénario alternatif consisterait en un engagement plus explicite de la part de la BCE pour mener un programme SMP prédéfini (par exemple sur un total de 200 à 300 Mds EUR sur les prochains 12 à 18 mois). Cette approche plus radicale pourrait notamment être déclenchée par un défaut grec désordonné, un risque immédiat d’une sortie de la Grèce de la zone euro, un gel complet sur certains segments de marché et/ou la faillite d’une grande banque, par exemple.

Dans le cadre institutionnel actuel, un engagement de la BCE pour défendre un niveau spécifique de taux souverains se heurterait à des contraintes légales, comme l’a récemment souligné le président de la BuBa Jens Weidmann. En pratique, la BCE semble certes avoir une cible implicite de 7% sur les taux souverains à 10 ans mais rendre une telle cible officielle reviendrait, du moins pour certains observateurs, à une monétisation des déficits favorisant un pays en particulier, ce qui est explicitement interdit par le Traité. Un engagement à défendre un niveau spécifique de spreads souverains (par exemple, sous les 300 pdb pour les spreads à 10 ans d’un pays jugé « solvable ») pourrait être plus facile à justifier, en invoquant la rupture des canaux de transmission de la politique monétaire. Ces derniers sont défaillants pour la périphérie et, même dans les pays du centre, de nouvelles baisses de taux directeurs pourraient ne pas avoir d’impact majeur sur les taux longs.

Cette approche aurait probablement pour mérite de provoquer une détente immédiate sur les marchés. Tout le paradoxe tient d’ailleurs au fait que si la BCE s’engage effectivement sur des interventions massives, voire illimitées, par exemple pour défendre un niveau de spread donné, elle n’aurait probablement pas besoin de mobiliser des montants aussi élevés qu’aujourd’hui, dans l’hypothèse que les marchés jugent cet engagement crédible.

La situation semble évoluer rapidement, y compris en Allemagne où des voix se sont élevées contre la position rigide et dogmatique de la Bundesbank. On citera notamment les propos de Peter Bofinger, un des cinq conseillers économiques de la Chancelière, qui a déclaré que « ce dont l’Italie a besoin ce sont des taux d’intérêt de 4% plutôt que 7% », et si les mécanismes de sauvetage ne marchent pas « au final il ne reste plus que la BCE […] mais s’ils le font alors ils devraient le faire de manière plus étendue. Alors ils devraient annoncer un plafond pour les taux. » Le ministre des Finances néerlandais, parmi d’autres, a envoyé le même type de message. Malheureusement, il est probable que la situation se détériore à nouveau avant que de telles mesures radicales soient envisagées et que l’Allemagne fasse des concessions, comme d’habitude en Europe.

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