par Frederik Ducrozet et Isabelle Job, économistes au Crédit Agricole
La BCE peut s’offrir, pour la première fois depuis longtemps, le luxe d’attendre face à de premiers signes de stabilisation de l’activité et à un début de détente sur le front des dettes souveraines. Les marchés font le pari que la liquidité abondante et quasi-gratuite offerte aux banques sera recyclée sous forme d’achats de titres publics, ce qui permet d’attirer dès aujourd’hui d’autres investisseurs à la recherche de rendements, un vrai cercle magique !
Pas d’urgence à agir
Après en avoir fait beaucoup le mois dernier, la BCE passe son tour cette fois-ci avec le maintien du statu quo sur toute la ligne.
L’analyse de la situation conjoncturelle conforte pour le moment le scénario de la BCE d’une récession d’ampleur et de durée limitées au tournant de l’année. Mario Draghi croit même entrevoir dans les dernières enquêtes de premiers signes de stabilisation de l’activité. Il n’y a donc pas d’urgence à agir avec une BCE qui conserve des marges de manœuvre, en cas de matérialisation de risques baissiers sur la croissance dans un contexte empreint d’une grande incertitude. Le patron de la BCE a, d’ailleurs, relayé ce message de prudence avec un scénario possible d’atterrissage plus douloureux de l’économie à supposer une intensification de la crise des dettes souveraines.
Du côté de l’inflation, le risque est toujours jugé globalement équilibré avec d’un côté un prix du pétrole soumis à des aléas géopolitiques difficilement prévisibles (hypothèque Iran notamment) et, de l’autre, des forces désinflationnistes insufflées par le ralentissement de l’activité. S’en suivent des pressions à la baisse sur les salaires et les prix qui pourraient être temporairement masquées par la hausse des taxes indirectes incluses dans les plans d’austérité des pays en cure d’ajustement. Toutefois, la tendance de fond est à la modération de l’inflation qui n’est clairement plus un sujet d’inquiétude pour la BCE. Même un choc d’offre (embargo sur les exportations iraniennes de brut par exemple) et une envolée des prix de pétrole constitueraient davantage une menace pour la croissance avec un risque de dérapage auto-entretenu des prix quasi-nul dans ce contexte récessif aggravé.
Selon nos prévisions, la BCE devrait encore abaisser sa garde, avec une baisse du taux directeur de 25 pdb au mois de mars face à des anticipation de croissance décevante. Un nouveau geste pourrait être consenti en mai, de manière à accommoder les politiques d’austérité dans une phase de reprise en pente douce.
Sur le front monétaire, l’heure est également à la modération avec des agrégats de crédits qui perdent de l’allant. Néanmoins, les statistiques actuelles ne font pas état, pour le moment, d’une trop forte raréfaction de l’offre en dépit de la hausse généralisée des coûts de refinancement des banque5s00 sur les marchés, suite aux turbulences financières qui ont débuté à l’été. La prudence reste de mise, avec une chaîne d’intermédiation qui impose des délais mais comme s’en félicite Mario Draghi, l’action énergique de la BCE a permis d’éviter le scénario du pire en prévenant un resserrement trop brutal du crédit, synonyme de rupture dans la chaîne de financement des économies et de grave récession.
La première opération de refinancement à long terme sur une maturité de trois ans a rencontré un succès indéniable en attirant plus d’un millier de banques pour un montant total de 489 Mds d’euros. Il est difficile de connaître avec exactitude les montants alloués par pays, mais il est certain que cette profusion de liquidité profite avant tout aux banques de la périphérie qui n’ont plus, pour certaines, accès aux marchés de gros et font parfois face à une fuite rampante des dépôts. La deuxième opération qui devrait se tenir en février a toutes les chances de connaître pareille fortune, surtout que les critères d’éligibilité des collatéraux seront d’ici là assouplis permettant à un éventail encore plus large de banques d’y participer.
Le patron de la BCE a épinglé au passage le régulateur avec notamment des tests de résistance qui ont été compilés au plus fort de la crise et ont accentué les effets pro-cycliques, avec des banques incitées à se délester de leur portefeuille de titres publics afin de toiletter leur bilan pour passer l’épreuve. D’où des regains de tensions sur les marchés des dettes souveraines qui ont pu un temps valider les scénarios les plus noirs de défaut des États à court de liquidité. La BCE a fait l’appoint en intervenant sur le marché secondaire, pour que cet assèchement de liquidité ne dégénère pas en problème de solvabilité.
Un mieux précaire
Il est désormais question de cercle magique ou ce que certains nomment de l’assouplissement quantitatif déguisé. Depuis que la liquidité coule à flot pour les banques, les investisseurs ont marqué un regain d’intérêt pour les titres des États à finances fragiles en pariant sur l’incitation désormais faite aux banques de conserver leur exposition souveraine, les titres publics pouvant être facilement escomptés auprès de la BCE. Cantonner au départ à la partie courte de la courbe, ces achats renouvelés concernent aujourd’hui des maturités plus longues, comme en témoigne le succès de l’émission espagnole de cette semaine. C’est un vrai premier pas en direction d’un apaisement des tensions sur les marchés de dette, avec l’espoir qu’un cercle vertueux s’enclenche lorsque le dégonflement des primes de risque allège la pression sur les États, fait renaître des espoirs de croissance avec des effets rétroactifs positifs sur les bilans publics… et aussi bancaires.
Néanmoins, le parcours reste semé d’embûches avec un agenda politique chargé qui peut, à tout instant, faire basculer les croyances et la confiance d’un État (précaire) de relatif optimisme à un sentiment de défaitisme. Il y a toujours en suspens cet accord intergouvernemental pour renforcer la discipline budgétaire des États-membres de l’Union et qui doit être finalisé à l’occasion du sommet européen du 29 janvier. Reste également à savoir quand, comment et dans quelle amplitude le fonds de stabilisation européen va accroître sa capacité de tir. Enfin, le problème grec, à l’épicentre de la crise, n’est pas encore résolu, avec des négociations sur le programme d’échange de dette entre l’État grec et ses créanciers laborieuses et une chance de succès encore hypothétique.
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