Eurozone : my Standard is Poor

par Jean-Christophe Caffet, Nathalie Dezeure, Cyril Regnat et Jean-François Robin, économistes chez Natixis

L’annonce de S&P n’a pas surpris les marchés, comme en témoigne la relative stabilité des spreads obligataires depuis vendredi dernier. Neuf pays ont donc été dégradés, des révisions principalement justifiées par la réponse jugée insuffisante des autorités et institutions européennes à la crise souveraine.

Quatorze pays européens étant toujours sous perspective négative, de nouvelles révisions à la baisse ne sont pas à exclure à court terme si les risques identifiés sur la conjoncture venaient à se matérialiser (credit crunch…) Les modifications à venir des deux autres agences de notation, Fitch et Moody’s, pourraient avoir des implications plus importantes pour les marchés en entraînant notamment des ventes forcées sur de nombreuses dettes, mais aussi des ajustements sur certaines agences et émetteurs supranationaux.

Neuf pays dégradés – Quatorze toujours menacés

Le processus de révision des notations souveraines européennes que Standard & Poor’s avait annoncé début décembre est arrivé à son terme vendredi 13 janvier. Sur les seize pays dont les notations ont été révisées, sept ont finalement conservé leur note à long terme (Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Finlande, Irlande, Estonie, Luxembourg), les neuf autres voyant les leurs abaissées d’un cran (France, Autriche, Slovaquie, Slovénie, Malte) ou deux (Italie, Espagne, Portugal et Chypre). S&P précise en outre que les perspectives associées à ces nouveaux ratings sont négatives 1 pour quatorze pays, seules les notations de l’Allemagne et de la Slovaquie étant assorties d’une perspective stable à long terme. Il ne reste donc plus que quatre pays notés AAA chez S&P, avec perspective négative pour trois d’entre eux2.

Une sanction de la gouvernance européenne ?

Le principal argument avancé par S&P pour justifier cette dégradation collective est l’issue, jugée décevante, du Sommet Européen du 9 décembre dernier. Nous partageons dans une large mesure ce diagnostic, considérant de longue date que la crise que traverse l’Union monétaire est avant tout le reflet des déséquilibres extérieurs (non compensés) de ses membres plutôt que le seul résultat d’un endettement public certes important mais soutenable au niveau agrégé.

Invoquer le seul risque systémique européen lié à l’absence de coordination des politiques aurait néanmoins dû provoquer, selon nous, l’abaissement des notations de l’ensemble des pays membres de l’Union. L’exposition de l’Allemagne en cas d’aggravation de la crise nous semble en effet au moins aussi importante que l’exposition de la France, voire davantage si l’on considère leurs degrés relatifs d’ouverture commerciale. A cet égard, l’agence ne reconnaît-elle pas explicitement que les déséquilibres courants au sein de la zone euro représentent un risque aussi bien pour les pays créditeurs que pour les pays débiteurs3? Conformément à notre analyse, la clef pour comprendre les distinctions faites par S&P entre les différents risques souverains européens réside de fait dans les positions courantes respectives des pays membres de l’Union4.

Il nous semble dès lors légitime, alors que les perspectives se sont nettement assombries, de craindre de nouvelles dégradations dans les mois qui viennent, notamment pour la France et l’Italie où les déséquilibres extérieurs continuent de se creuser et où la consolidation budgétaire structurelle ne fait que commencer. Absence de réaction majeure sur les marchés

Les décisions de S&P étaient largement intégrées par les marchés. Ceci est d’ailleurs conforté par l’absence de réponse notable des marchés à ces annonces avec des spreads qui, ce lundi, se resserrent globalement contre Bund (la France revient de 4pb sur la zone 10 ans). Seul le Portugal, sur le marché souverain européen, est réellement pénalisé avec une remontée assez vive de ses rendements (+144pb à 10 ans). Downgradée à AA+ par S&P, la France a d’ailleurs placé sans aucune difficulté €1.9Md de BTF 1 an avec un ratio de couverture inchangé, proche de 2,1 avec des taux même en baisse par rapport à la précédente adjudication.

On retrouve des réactions similaires sur les autres marchés, notamment du côté des changes où l’EUR/USD est actuellement stable à 1,2670 (il faudra attendre l’ouverture des marchés US avant de se faire une idée plus précise en termes d’impact). Enfin, côté actions, les indices européens affichent des performances proches de zéro sur la journée avec une légère sous-performance des valeurs bancaires (baisses < 1%).

Risques de forced selling

Si elle est suivie par les autres agences, la vague de downgrading de S&P devrait avoir des conséquences sur les investisseurs institutionnels. Pour les dettes française et autrichienne, la perte du AAA impliquerait probablement le désengagement, somme toute marginal, de quelques investisseurs institutionnels ne pouvant détenir des titres AA+ (fonds souverains).

A ceci il faudrait certainement ajouter les éventuelles sorties d’indices AAA obligataires (indices Citigroup, EMTS, JP Morgan Chase etc.). En effet, la majorité de ces indices indiquent notamment comme critère d’éligibilité un nombre minimum de deux AAA. Dès lors, un downgrading de la France ou de l’Autriche par Moody’s obligerait les asset managers ayant pour benchmarks ces indices AAA à vendre leurs BTAN, OAT et RAGB. On pourrait alors imaginer une réorientation des fonds vers les AAA restants (l’Allemagne, les Pays-Bas et la Finlande).

Pour les autres dettes, qui avaient d’ores et déjà subi de nombreux downgradings, les ajustements de S&P ne changent pas fondamentalement la donne. L’Italie reste néanmoins le pays le plus menacé car elle s’approche peu à peu d’une entrée en territoire spéculatif, ce qui impliquerait aussi des ventes forcées, mais cette fois massives en termes de volume compte tenu de la taille de la dette.

Des implications dans le cadre des opérations de repo ?

La BCE utilise la meilleure note attribuée par les 3 principales agences de notation pour fixer le niveau de haircut à appliquer sur les dettes souveraines. Pour le moment, les ajustements opérés par S&P n’ont pas de conséquence fâcheuse pour les pays européens, les plus fragiles (Portugal, Irlande et Grèce) subissant un surcoût additionnel de 5% depuis de nombreux mois.

La situation la plus préoccupante reste celle de l’Italie qui se rapproche dangereusement de la barre des BBB+ (A2 chez Moody’s et A+ chez Fitch), seuil à partir duquel la BCE applique cette décote supplémentaire.

Une baisse de 2 crans chez les 2 agences de notation ne serait pas suffisante pour faire basculer le rating de l’Italie en territoire « BBB » (il faudrait une baisse de 3 notch de Fitch). S’il ne s’agit pas d’un risque à court terme, on ne peut toutefois pas écarter un ajustement supplémentaire plus tard dans l’année, qui obligerait notamment les prêteurs de BTP à apporter davantage de collatéraux.

Quid de l’EFSF ?

L’EFSF a été épargnée par S&P…pour le moment. Les downgradings simultanés de la France et de l’Autriche, qui représentent 23% des €780Mds de garanties apportées par les pays de la zone Euro, auront des conséquences pour la facilité.

Les deux pays, s’ils perdaient leur AAA chez une seconde agence (Moody’s notamment), feraient passer le volume de garanties AAA de €452Mds à €271Mds, soit une baisse de 40%. Ceci serait bien entendu un coup dur pour la facilité sachant que sa capacité de financement (€440Mds) était d’ailleurs calée sur les assurances apportées par les pays AAA.

Pour éviter la disparition d’une partie des garanties AAA et pour être épargnée par les agences de notation (S&P dans un premier temps), l’EFSF se voit dans l’obligation d’augmenter le niveau de surcollateralisation sur ses titres. Pour ce faire, S&P a déjà évoqué une première solution : l’augmentation du volume total de garanties. Or, compte tenu du refus catégorique de l’Allemagne d’augmenter sa participation, il y a peu de chances que cette solution soit étudiée par les autorités.

Une seconde solution passerait par la réintroduction des buffers spécifiques qui ont été abandonnés dans la dernière version de l’EFSF. Ainsi, sur ses premières émissions obligataires, la Facilité gardait près de 30% des montants adjugés comme coussin de sécurité. Ce système offre l’avantage de ne pas toucher aux garanties mais vient minimiser la capacité réelle de financement de l’EFSF (que l’on tienne compte de l’introduction de leviers ou non).

En l’absence de réaction de la part de l’EFSF, il est probable que la note de la facilité soit abaissée au même niveau que la France. En termes de valorisation, cette décision est relativement bien intégrée dans les prix avec des spreads EFSF-OAT proches de 0, notamment sur la zone 10 ans. Toutefois, avec une liquidité moins forte que les titres français, on ne peut exclure que l’EFSF finisse par traiter sur des niveaux plus larges contre France (8pb sur du 5 ans et 0pb à 10 ans pour le moment).

On peut imaginer qu’un downgrading pousserait les autorités européennes à mettre en avant l’ESM dont la structure de capital assure une stabilité plus grande que l’EFSF.

Par ailleurs, les décisions de S&P auront des implications pour les supra et agences. La France et l’Autriche représentent près de 18% du capital de la BEI (capital souscrit de €232Mds) et du budget de l’UE (€147.2Mds en 2012). Pour les agences nationales, les conséquences en termes de rating seront directes. Il est donc vraisemblable que la vague de downgrades se poursuive dans les prochains jours.

NOTES

  1. Un « outlook négatif » ouvre la voie à une dégradation d’un ou plusieurs crans à horizon deux ans, avec une probabilité d’environ 30%.
  2. Moody’s a annoncé qu’elle examinait actuellement les perspectives attachées aux notations souveraines européennes et qu’elle communiquerait sur ses nouvelles perspectives au cours du premier trimestre 2012.
  3. Sur ce sujet, voir Why trade imbalances for creditors as well as debtors in the Eurozone are weighing on growth, S&P, Dec 1, 2011.
  4. Pour la méthodologie exhaustive, voir Sovereign government rating methodology and assumptions, S&P, June 30, 2011.

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