par Olivier Eluère et Werner Perdrizet, économistes au Crédit Agricole
La croissance française va porter les stigmates de la crise des dettes souveraines avec deux trimestres consécutifs de repli de l’activité à la jonction 2011-2012. Cette récession technique s’annonce modérée et serait suivie d’une reprise très molle bridée par l’austérité budgétaire, mais ce bien sûr à supposer une accalmie rapide sur le front de la crise.
Après un faible repli de -0,1% t/t au deuxième trimestre, la croissance française s’est redressée au troisième +0,3% t/t. Cette légère reprise est, en partie, liée au rebond de la consommation privée (+0,3%), après une forte baisse (-1%) consécutive à la fin des effets de la prime à la casse. Elle est aussi le résultat d’une légère accélération du restockage des entreprises (contribution de 0,1 point de la variation des stocks). L’investissement et le commerce extérieur n’ont pas contribué à la croissance ce trimestre (effet neutre). L’investissement total s’est inscrit en très légère hausse (+0,1%) en dépit d’un recul marqué de l’investissement des entreprises (-0,5% t/t). Les importations et les exportations ont progressé à peu près au même rythme (respectivement +0,7% t/t et +0,8% t/t). Au final, le sursaut de la demande intérieure a été le seul moteur de croissance au troisième trimestre.
L’activité à la jonction 2011-2012 devrait pâtir de l’aggravation depuis l’été de la crise des dettes souveraines, avec des interactions délétères entre confiance-finance et activité réelle. On s’attend, en conséquence, à une légère récession technique en France, avec deux trimestres consécutifs de repli modéré de l’activité (-0,1% t/t et -0,2% t/t successivement au quatrième trimestre 2011 et au premier trimestre 2012). L’État au sens large va être contraint de réduire la voilure pour se conformer aux objectifs de réduction des déficits publics. Le recul de la consommation des administrations publiques s’expliquerait ainsi par l’ensemble des mesures destinées à réduire les dépenses de l’État (non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, réduction des crédits de fonctionnement et d’intervention et décélération des dépenses d’assurance-maladie…).
Par ailleurs, la crise de confiance actuelle va induire des comportements de prudence de la part des agents, lesquels vont peser sur la demande privée. Le freinage de l’investissement des entreprises témoigne déjà de l’attentisme des entreprises face à des conditions d’activité dégradées et en l’8a0bsence de visibilité. La situation financière des entreprises reste tendue dans un contexte de profitabilité détériorée, de hausse de entreprises bénéficiaires de reporter leurs déficits, majoration de l’impôt sur les sociétés pour les grandes entreprises…) et, pour les plus petites d’entre-elles, de difficultés de financement. Néanmoins, à supposer une accalmie sur le front de la crise, les investissements des entreprises pourraient commencer à se redresser au second semestre…
Les finances des entreprises vont progressivement s’améliorer : remontée des gains de productivité (volonté de reconstituer les profits), tassement des coûts intermédiaires (reflux des prix du pétrole) et assouplissement de la politique monétaire de la BCE (poursuite de la baisse de son taux directeur). Par ailleurs, les entreprises ont des besoins de renouvellement et de modernisation d’équipement, avec un niveau d’investissement qui n’a toujours pas retrouvé celui d’avant la crise de 2008-2009. Il existe un risque du côté du comportement de stockage des entreprises. Ces dernières ont reconstitué leurs inventaires à bon rythme depuis le début de l’année et pourraient choisir de puiser dans ces stocks pour servir la demande, dans un environnement empreint d’une grande incertitude.
A contrario, la consommation privée ferait preuve de résilience (+0,6% en 2012, contre +0,3%). Le revenu disponible brut est attendu en décélération, compte tenu du léger recul de l’emploi, de la modération salariale (hausse du chômage et moindre pouvoir de renégociation des salaires) et d’une hausse de l’imposition des ménages (notamment la désindexation du barème de l’impôt sur le revenu et de l’ISF en 2012 et 2013).
Cependant, le reflux de l’inflation devrait jouer un rôle compensatoire et autoriser une très légère augmentation du pouvoir d’achat. Les ménages pourraient également puiser un peu dans leur épargne, sachant que la situation conjoncturelle très incertaine devrait limiter l’incitation à utiliser ce levier. Par ailleurs, les ménages réduiraient leurs dépenses6 d’investissement logement.
Enfin, le commerce extérieur devrait apporter une contribution positive à la croissance (+0,3%). D’un côté, les en 2012 après +0,9%). De l’autre, les exportations devraient importations vont freiner en phase avec le ralentissement de la demande domestique (demande intérieure hors stocks : +0,4% résister grâce à la bonne tenue relative des débouchés émergents, au léger mieux de l’économie américaine et l’affaiblissement de l’euro, facteurs qui viendraient compenser la baisse de la demande de nos principaux partenaires commerciaux européens.
Au final, la croissance française s’annonce faible (+0,2%, contre 1,6% en 2011). Ces prévisions restent sujettes à un aléa baissier, du fait d’un possible ralentissement plus marqué à la fin de 2011 et début 2012 et d’une reprise plus fragile qu’escomptée, si aucune issue décisive ne vient rapidement calmer le jeu sur le front de la crise des dettes souveraines.