Notation : le cas de l’Italie

par Pascale Auclair, Directeur Général de La Française des Placements

Face à l’annonce de l’abaissement des notations souveraines européennes le 13 janvier, les commentateurs ont souvent adopté une focale française. Or les investisseurs institutionnels sont également confrontés au changement de notation de l’Italie qui quitte, chez S&P, le secteur A pour rentrer dans le secteur BBB, ce qui n’est pas sans conséquence face à certaines réglementations qui accordent généralement un pourcentage maximum dans cette zone de rating.

La sanction S&P de l’Italie par rapport à la France, nous semble sévère. Or la prime de risque souverain de la dette publique italienne reste généreuse, en dépit d’un fort mouvement récent de normalisation. Nous vous présentons donc notre analyse synthétique des fondamentaux économiques italiens, notre vision des conséquences d’une telle dégradation, et notre stratégie sur la dette italienne.

La situation économique

Elle est caractérisée par une faible croissance et un taux d’endettement public important qui ont fait des taux italiens un très bon proxy du niveau d’aversion au risque souverain au sein de la zone euro.

 – La croissance

La croissance italienne est historiquement faible et les perspectives économiques restent moroses. Le poids de la dette, le manque de compétitivité et la rigidité du marché du travail sont les principaux obstacles à la croissance qui devrait passer négative en 2012 (-0.5% pour les prévisions gouvernementales et -1.2% pour la banque d’Italie).

L’industrie manufacturière, dont le poids dans l’économie italienne est important, reste sensible à la conjoncture mondiale et souffre d’un manque de compétitivité mais l’Italie est le 3ème meilleur élève de la zone en termes de déficit commercial, derrière l’Irlande et l’Allemagne. La politique de la BCE, qui nous semble désormais plus favorable à un euro faible, profitera à l’Italie.

De plus, sous l’impulsion des évolutions politiques récentes, deux programmes d’austérité de grande envergure ont été engagés (60 Mds€ puis 30 Mds€) :

  • Report de l’âge de la retraite à 66 ans d’ici 2018
  • Augmentation ciblée des impôts, réinstauration de la taxe foncière
  • Augmentation de la TVA de 3 points à 23%
  • Réduction des dépenses publiques …

Ceci s’accompagne de mesures pour l’emploi des jeunes et des femmes et d’incitations fiscales pour les PME. Ces décisions seront probablement suivies par un assouplissement du droit du travail, elles doivent améliorer le potentiel de croissance à long terme et pourraient restaurer la confiance du marché à moyen terme. Elles ont précédé la sanction et le diagnostic de S&P mais elles répondent aux remarques de l’agence qui préconise pour l’ensemble de la zone une double approche, rigueur budgétaire et souci de la croissance.

– La dette

Compte-tenu de l’ampleur de la dette italienne (120% du PIB), le niveau de ses taux d’intérêts est bien entendu crucial, et les rendements atteints en décembre, supérieurs à 7% sur l’ensemble de la courbe sont non soutenables et doivent absolument se normaliser. Certains éléments peuvent à notre sens y conduire, et la trajectoire est d’ores et déjà amorcée :

  • Le programme d’émissions italiennes 2012 est le plus élevé de la zone euro (220 Mds€) mais le cash flow net annuel est négatif.
  • La maturité moyenne de la dette italienne est relativement longue (plus de 7 ans),
  • Mais grâce au LTRO 36 mois de la BCE, les conditions de financement sur le court terme sont en voie d’amélioration très rapide.
  • La part de la dette publique détenue par des investisseurs étrangers est relativement faible : 42% contre une moyenne de 52% pour la zone euro.

Cette vision ne saurait être exhaustive sans la prise en compte de 3 importants facteurs et leur mise en perspective dans le contexte de la zone Euro :

  • L’Italie a historiquement une politique budgétaire plutôt vertueuse: depuis 2006, le déficit budgétaire n’excède pas 5.5% du PIB, avec au sein de ce déficit un poids du coût de la dette supérieur à 4%. Le déficit primaire est quant à lui, déjà en territoire positif en 2011.
  • La situation du secteur privé, et en particulier des ménages, est plus équilibrée que dans de nombreux pays.

La situation financière des ménages a été relativement stable depuis le début de la crise financière et contribue au maintien d’une détention très domestique de la dette publique :

  • La dette financière des ménages italiens représente seulement 48 % du PIB (90% en Espagne, 70% en France)
  • Leur position financière nette est équivalente à 180% du PIB (79% en Espagne, 130% pour la France)

– Les banques italiennes sont solides mais restent très exposées au risque souverain domestique, leur santé financière dépend fortement de la réussite de la consolidation budgétaire:

  • L’exposition à la dette publique italienne s’élève à 170 Mds€, soit 4.5% des actifs ; le secteur bancaire italien a donc une forte sensibilité aux évolutions des taux italiens avec notamment les nouvelles règles prudentielles qui valorisent les dettes d’Etat au prix de marché.
  • Mais les banques italiennes sont les moins exposées aux autres dettes périphériques : Portugal, Irlande et Grèce.

Conséquences de la dégradation

– Sur la dette nominale :

La dégradation de l’Italie par S&P en BBB+ a entrainé quelques ventes forcées de la part des investisseurs institutionnels soumis à des règles de rating. La Banque Centrale Européenne a tout de suite réagi en étant active dès les premières heures de cotation dans le marché lundi 16/1. Les taux nominaux 10 ans sont aujourd’hui en dessous de 6.30% après avoir dépassé la limite des 7% début décembre et en baisse de 35 bps par rapport à la clôture de vendredi 13 janvier. Le mouvement a été de même ampleur sur la partie courte de la courbe avec une baisse de 50 bps sur la semaine (3.80% à 2 ans contre 4.30% le vendredi 13). Nous pensons qu’à terme, cet effet positif du LTRO sur les maturités courtes est de nature à se propager sur l’ensemble de la courbe si le cheminement économique de l’Italie reste en ligne avec l’esprit des réformes.

– Sur la dette indexée sur l’inflation :

Le marché des titres indexés sur l’inflation ne bénéficiant pas du soutien de la BCE, les points morts d’inflation italiens ont subi une forte correction en début de semaine. L’indice le plus suivi sur les titres indexés, le Barclays govt inflation, a des règles de rating plus strictes que celles des indices nominaux (minimum rating moyen des 3 agences A- sur les titres indexés contre BBB- sur les titres nominaux). La dégradation de l’Italie par S&P accroit donc fortement la probabilité d’une sortie des indices des titres indexés de l’Italie. Ce phénomène a généré des flux vendeurs et provoqué un regain de pression sur les points morts d’inflation qui ont perdu de l’ordre de 30 bps en une semaine pour s’afficher aujourd’hui tout proches de 0%, fort loin des niveaux fondamentaux comme l’illustre le graphique ci-dessous. Les anticipations d’inflation européenne y sont matérialisées par le swap d’inflation à 5ans.

Nos convictions

– Sur la dette nominale :

Malgré leur récente performance, les emprunts d’état italiens nous semblent détenir de la valeur, notamment en relatif contre les OAT. Il faut néanmoins s’attendre à une poursuite de la volatilité sur ce segment de marché, au gré des nouvelles sur l’ensemble des autres dettes périphériques et sur les avancées de la gouvernance économique européenne. Notre préférence se porte aujourd’hui sur les maturités intermédiaires proches de 5 ans (5.20% de rendement).

– Sur la dette indexée sur l’inflation :

La baisse des points morts d’inflation nous incite à renforcer notre recommandation positive en privilégiant également le secteur 5 ans. C’est un choix fondamental qui vise une normalisation de la valorisation aujourd’hui anormale des indexées italiennes dont le rendement réel avoisine aujourd’hui 5.25%… Compte tenu de la persistance du risque de stress souverain à court terme, il nécessite à notre sens une perspective moyen terme pour pouvoir révéler tout son potentiel.

Notre stratégie

Nos convictions nous conduisent aujourd’hui à pondérer significativement la dette italienne en portefeuilles, avec une préférence pour les titres indexés de maturité voisine de 5 ans. Lorsque les règles d’investissement de nos fonds nous y autorisent, cette pondération est comprise entre 15% et 25%. C’est le cas pour deux fonds de notre gamme (LFP Index Variable et LFP Index Long Terme).

Nous sommes toutefois attentifs à deux types d’évolution :

D’une part la composition des indices de référence de place. Même si nos fonds ne sont pas « benchmarkés » au sens strict du terme, et que nos marges de manœuvre par rapport à leurs références de gestion sont larges, nous resterons vigilants face aux flux supplémentaires négatifs que pourraient produire une concentration de certains indices sur la dette « core ».

C’est un sujet particulièrement sensible sur les indices indexés aujourd’hui ventilés sur 3 grands pays émetteurs : France, Allemagne et Italie. Ce risque ne nous semble toutefois ni certain, ni imminent, compte-tenu de la visibilité récemment donnée par Moody’s et Fitch. D’autre part l’adaptation de la règlementation de nos clients face aux changements récents de notations souveraines. Les commissions financières AGIRC ARRCO ont ainsi prévu un réexamen des dispositions relatives aux contraintes de notations concernant les emprunts d’état à la fin du mois de février. Elles fixent aujourd’hui à 5% le quota de titres notés BBB en portefeuilles obligataires et posent donc question quant au sort des dettes italiennes. A l’écoute des implications de cette nouvelle donne, nous ajusterons si nécessaire nos propres règles d’investissement pour répondre au mieux aux contraintes de nos clients.