Une « TVA sociale » en France ? Oui mais

par Hélène Baudchon, économiste chez BNP Paribas

Moins miser sur la consommation, plus sur la production, moins parler de pouvoir d’achat et plus de compétitivité : la « TVA sociale » vise fondamentalement à réorienter la logique de demande vers une politique de l’offre.

Le débat est légitime, dans un contexte de déficit extérieur record, de chômage élevé et de recul du poids de l’industrie dans le PIB.

Mais le timing est discutable, compte tenu de la fragilité de la conjoncture. Et le succès allemand n’est pas forcément reproductible ailleurs et aujourd’hui.

La balance des plus et des moins penche plutôt en faveur de la mise en place d’une telle mesure. Il ne faut pas en attendre des miracles, mais cela vaut le coup d’essayer.

L’idée d’introduire une « TVA sociale » (terme non encore officiellement homologué qui fait lui-même débat mais que nous retiendrons ici par convenance) a fait son grand retour à la fin de l’année dernière lorsque Nicolas Sarkozy l’a évoquée dans ses vœux aux Français. L’idée n’est pas nouvelle. Elle refait surface en réponse au débat sur la faible compétitivité de la France. Les détails, modalités et finalités restent à préciser et suscitent de vives discussions pour ne pas dire une franche opposition. Le gouvernement souhaite cependant avancer vite sur le sujet et l’a mis au menu de la loi de finances rectificative qui doit être présentée au Parlement le 8 février. Nous présentons ici les principaux termes du débat, afin d’en éclairer au mieux les enjeux, les bénéfices attendus et les bémols. Au final, malgré le nombre important de points d’interrogations, il nous semble que, sur un plan qualitatif, les plus l’emportent sur les moins, mais il ne faut pas non plus en attendre des miracles.

Les points d’interrogations

L’idée derrière la « TVA sociale » est de restaurer la compétitivité des entreprises françaises en abaissant le coût du travail par une réduction des charges sociales, basculées sur la TVA. L’idée est séduisante, elle paraît simple, voire évidente, et pourtant elle est d’une complexité sans nom.

D’abord, le but même de l’opération, sa finalité ne sont pas parfaitement clairs. L’objectif du redressement de la compétitivité cohabite avec l’angle, plus étroit, de la lutte contre les délocalisations. Le débat est aussi parfois présenté sous un tout autre angle, celui de la réforme du financement de la protection sociale et de l’élargissement recherché de son assiette. Or, la réponse la plus adaptée à chaque objectif diffère forcément.

Le deuxième point d’achoppement porte sur l’origine même du problème. Est-ce la faible compétitivité-prix qui est en cause ou la compétitivité hors,prix ? Si c’est, essentiellement, un problème de compétitivité-prix, alors une baisse du coût du travail pour l’entreprise peut aider. La référence à l’Allemagne est couramment évoquée. Dans l’ensemble des secteurs, le coût unitaire du travail (CUT) en France a clairement progressé plus vite qu’en Allemagne (de respectivement +23% entre 1999 et 2010 contre +2% selon les chiffres de l’OCDE). Et, depuis 2009, l’Allemagne continue de gagner en compétitivité. Cependant, la perte de compétitivité est nettement plus limitée dans le seul secteur manufacturier (+8% de hausse du CUT en France entre 1990 et 2010 contre une stabilité en Allemagne sur cette période). Si c’est davantage la qualité au sens large de nos produits qui fait défaut, tout ce qui est « hors prix » (reconnaissance de la marque, positionnement sectoriel et géographique, stratégie industrielle, gamme des produits, spécialisation, taille des entreprises, contenu technologique, externalités…), alors le levier du coût du travail ne paraît pas le plus adapté. Sa baisse peut néanmoins libérer des ressources.

Le troisième point de discussions porte sur l’assiette fiscale sur laquelle basculer les charges sociales. TVA et CSG ont chacune des avantages et des inconvénients, d’où l’idée d’une combinaison. Une augmentation de la TVA est supposée profiter à la compétitivité dans la mesure où elle accroît le prix des importations relativement à celui des exportations (soumises à la TVA du pays de destination). Cela signifie que, pour être efficace, la mesure doit être prise de manière unilatérale. Ses inconvénients sont son absence de progressivité, son impact inflationniste, sur le pouvoir d’achat et la consommation. L’avantage de la CSG est son assiette qui inclut les revenus financiers et patrimoniaux ; elle ressort comme un impôt plus juste et naturellement plus adapté au financement de la protection sociale. Mais elle n’a pas l’effet dissuasif de la TVA sur la consommation importée, qui semble compter aux yeux du gouvernement. Et si la CSG semble plus indolore que la TVA, cela n’en reste pas moins une ponction sur le revenu. L’ampleur de la hausse de ces taux reste à trancher également, sachant qu’une hausse de 3 points du taux normal de TVA semble le maximum supportable.

La question des charges à réduire est aussi au centre du débat. Le gouvernement semble vouloir n’agir que sur les charges patronales (pour maximiser l’effet compétitivité), mais un geste sur les charges salariales également aurait l’avantage de limiter, par une augmentation du salaire net, l’impopularité d’une hausse d’impôt et la perte de pouvoir d’achat associée. La baisse des cotisations familiales semble la piste privilégiée, mais ce ne sont pas les seules candidates possibles. Il y a aussi la question des salaires concernés par ces baisses de charges, sachant que les bas salaires sont déjà largement exonérés. Un ciblage des populations les plus exposées à la concurrence et à la délocalisation (revenus compris entre 1,6 et 2 SMIC) semble privilégié.

Si le débat sur la TVA sociale est légitime dans un contexte de déficit commercial record (de l’ordre de 75 milliards d’euros en 2011), son lancement à quelques mois des élections présidentielles, qui plus est dans une conjoncture économique fragile, n’est pas sans risque. D’où l’idée de procéder par étapes pour lisser le choc.

Les plus

Le principal bénéfice de la TVA sociale telle que décrite plus haut est l’allègement du coût du travail pour les entreprises. Cet effet positif d’une réduction des charges patronales qui pèsent sur le coût du travail est mécanique. Une telle réduction aurait aussi l’avantage de diminuer le poids des cotisations sociales reconnu trop lourd et pénalisant pour l’emploi. Un allègement du coût du travail, combiné au maintien des gains de productivité, vise également à ralentir la progression du coût unitaire du travail en France, l’idéal étant qu’il baisse pour combler l’écart qui s’est creusé avec l’Allemagne. A noter à ce sujet que ce n’est pas tant le coût du travail en France qui a anormalement dérivé mais bien l’Allemagne qui se démarque des autres pays européens par la baisse de ses coûts salariaux unitaires.

Une baisse du coût du travail ainsi obtenue est profitable à de nombreux égards. Elle augmente, toutes choses égales par ailleurs, l’excédent brut d’exploitation et donc le taux de marge des entreprises. Les ressources financières ainsi libérées sont disponibles pour investir, embaucher, innover, se relocaliser, se désendetter… Elles peuvent aussi être répercutées dans une baisse des prix de vente. Tout cela est bon pour la compétitivité, la croissance. Le succès apparent de l’opération en Allemagne entre aussi en ligne de compte et pèse lourd dans la balance.

Les moins

Le timing est discutable. Dans une conjoncture fragile et avec des indices de confiance faible, un choc, même lissé, de TVA est un pari risqué pouvant entraîner un profil de croissance heurté (effet dopant des achats anticipés puis contrecoup). L’impact inflationniste d’une hausse de TVA est un autre élément négatif. Cette série d’arguments peut néanmoins être contrée. Les ménages peuvent puiser dans leur épargne pour amortir le choc sur leur pouvoir d’achat. Celui-ci serait, en outre, atténué pour les revenus modestes, les minima sociaux (SMIC, retraites…) étant indexés sur l’inflation.

Cette mesure est assortie de quelques bémols importants. Le succès allemand n’est pas forcément reproductible ailleurs et aujourd’hui. Les effets induits d’une « TVA sociale » sont positifs sur le papier mais bien plus incertains dans la réalité. L’effet sur les délocalisations ne peut être que limité tant est grand l’avantage de la main-d’œuvre bon marché des pays émergents. L’effet sur la « compétitivité » sera probablement dilué par les nombreux arbitrages possibles (entre investissement, emploi, innovation, baisse de prix, …), différents selon chaque entreprise, sa taille, son secteur d’activité, le niveau de qualification et de rémunération de son personnel, son degré d’exposition à la concurrence internationale et l’intensité en capital et en travail de son appareil de production (le bénéfice sera censément d’autant plus grand que l’entreprise est dans un secteur très concurrentiel et que le coût du travail est une composante déterminante des coûts de production et du prix de vente).

Au final, s’il ne faut pas attendre de miracle d’une «TVA sociale », cela vaut néanmoins probablement le coup d’essayer.

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