Un euro faible pourrait aider…

par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas

Depuis le début de la crise de la dette souveraine en Europe, la loi des enfers (selon Dante) s'applique : « Ils seront punis par où ils ont péché ». Les problèmes de liquidité (qui se transforment en problèmes de solvabilité) doivent être traités par l'austérité, puisque la prodigalité en est la cause.

Or il apparaît de plus en plus évident que l'austérité ne peut tout. Même ses plus ardents défenseurs d’hier, tels le FMI, la Banque mondiale, voire l'OCDE, réclament désormais moins d’austérité. Plusieurs articles ont récemment remis en cause les travaux d'A. Alesina et R. Perotti (1995), les pères de l’« austérité expansionniste ».

Pour que l'austérité soit expansionniste, une économie doit être soutenue par des exportations dynamiques. Dans la zone euro, l'austérité est quasi généralisée, avec les pays maintenus sous perfusion par la Troïka (Grèce, Irlande, Portugal), des pays souffrant de contraintes de liquidité (Italie, Espagne), et ceux qui pourraient être les prochaines victimes (Autriche, Belgique, France) si la crise devait connaître une nouvelle aggravation. Ces pays souffrent de l'austérité chez eux, qui déprime leur demande intérieure, et de l'austérité à l'étranger, qui pèse sur leur demande extérieure. Cela conduit à un cercle très vicieux, puisque la baisse des recettes fiscales (liée à celle du revenu national) appelle… encore plus d'austérité, ce qui déprime encore davantage la demande. Nous estimons que, entre fin 2009 et fin 2012, le PIB de la Grèce se sera contracté de 15 %, sans pour autant régler le problème des finances publiques: le déficit budgétaire devrait atteindre 7,1 % du PIB en 2012…

Pour l'heure, un assouplissement de l'austérité ne semble guère d'actualité, comme l'a illustré le dernier épisode (à ce jour) de la crise grecque. Pour que le second plan d’aide soit approuvé par la Troïka, tous les partis politiques grecs ont dû s'engager à réduire encore les dépenses publiques, ce qui, à quelques semaines des élections générales, ne les enchante guère… Quelle peut alors être la solution ? Une dose d'assouplissement quantitatif de la BCE ne pourrait pas nuire. Les perspectives d'inflation sont plutôt rassurantes dans la zone euro, ce qui laisse des marges de manœuvre. Pour autant, il est peu probable que la BCE se livre à des achats massifs de titres publics, en raison de la forte opposition de certains des membres du Conseil des gouverneurs. Nous devrons nous contenter des opérations de refinancement LTRO (qui fournissent le système bancaire européen en liquidités peu onéreuses avec des échéances allant jusqu'à trois ans), que l'on pourrait assimiler à un « QE à la BCE ». 

Certains considèrent que si les pays en difficulté pouvaient dévaluer, cela leur serait d'un grand secours. Cette solution aurait effectivement ses avantages. Premièrement, elle donnerait un coup de pouce à la compétitivité des exportations, puisqu'une dévaluation ferait baisser leurs prix sur les marchés étrangers. Deuxièmement, les prix à l'importation augmenteraient, tandis que les prix à la production intérieurs demeureraient inchangés : toutes choses égales par ailleurs, elle inciterait les consommateurs à acheter moins de produits importés et davantage de biens produits dans leur pays. Troisièmement, elle réveillerait sans doute l'inflation – même si ce ne serait que de façon temporaire -, laquelle constitue un moyen indolore de faire baisser les salaires réels.

Pour autant, la dévaluation n’est pas une option dans la zone euro ? Certes, mais il existe d’autres voies… L'inflation en est une. Une inflation plus forte dans les pays en bonne santé (que dans ceux en difficulté) se traduirait par la dépréciation relative de ces derniers. Mais ce genre d'ajustement prend du temps. Une baisse de l'euro induirait des bénéfices plus immédiats. Ceux-ci pourraient être d'autant plus marqués que le potentiel de forte croissance se situe en dehors de la zone euro, principalement dans les BRIC, avec également des perspectives prometteuses aux Etats-Unis. Dans un premier temps, l’Allemagne concentrerait certainement les bénéfices. Mais le rebond induit de sa demande intérieure permettrait de diffuser les gains à l’ensemble de la zone euro.

Deux questions se posent alors : comment faire baisser l'euro, et quels seraient les effets indésirables d'une telle mesure? Commençons par ces derniers. Une hausse de l’inflation serait sans doute le prix à payer, en raison de l'augmentation des prix à l'importation. Mais si elle réussit à changer les habitudes des consommateurs européens, en les éloignant des biens importés, l'inflation ne serait pas nécessairement un problème de longue durée. L'Allemagne, dont le taux de chômage est déjà à un plus bas historique, pourrait connaître une surchauffe. Mais ce ne serait pas avant longtemps. L’excédent considérable de sa balance courante témoigne d'une économie déséquilibrée, avec d'énormes quantités d'épargne excédentaire.

En ce qui concerne la façon de faire baisser l'euro… Il n'y a qu'un moyen : faire baisser les rendements de la zone euro. La parité entre l'euro et le dollar est assez bien corrélée avec le différentiel de taux entre les emprunts d'Etat à 2 ans allemands et américains. L'Opération Twist de la Fed, en faisant remonter le rendement des obligations du Trésor à 2 ans, a contribué à réduire l'écart, et l'accélération de l'économie américaine pourrait accentuer le mouvement. Pour maintenir les taux allemands à un niveau bas et, pourquoi pas, les faire baisser encore, il suffirait peut-être que la BCE s'engage, à l'image de la Fed, à maintenir une politique monétaire accommodante dans un avenir prévisible.

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