Allemagne : La croissance marque une pause

par Paola Monperrus Veroni, économiste au Crédit Agricole

  • Les signaux fournis par les indicateurs conjoncturels d’enquêtes sont controversés et ne pointent pas vers un franc rétablissement de la croissance en début d’année ;
  • Le marché du travail est encore un bastion de résistance, mais le réalisme face à la faiblesse conjoncturelle limiterait toute dérive salariale ;
  • Un net rééquilibrage des moteurs de la croissance est en cours et la résistance de la consommation limiterait le ralentissement du PIB.

 

La reprise ? Pas pour tout de suite !

L’excellente performance récente de l’économie allemande ne doit pas faire oublier que ses liens avec une zone euro en récession sont plus étroits que ceux avec un monde émergent en croissance soutenue bien que ralentie. Après le coup de frein du PIB au quatrième trimestre qui imprime une croissance négative de 0,2%, la rapide amélioration de tous les indicateurs d’enquête semblait promettre à l’économie allemande une reprise sans failles et inscrire le résultat en fin d’année au rang de simple accident.

L’indice Ifo était remonté en février pour le quatrième mois consécutif. L’amélioration des anticipations est nette et davantage marquée dans le secteur manufacturier et le taux d’utilisation des capacités supérieur à sa moyenne. A 109,6 points, l’indice reste bien supérieur à sa moyenne de long terme (100,7 points) et entre dans une zone synonyme de croissance de l’activité. Il confirme donc l’éclaircie signalée par la remontée de l’indice ZEW de confiance pour l’économie allemande en cours depuis décembre. Au mois de mars, ce dernier se positionne au niveau d’avant les turbulences financières de l’été 2011.

Mais le signal envoyé par l’enquête PMI de mars d’une nouvelle dégradation du climat des affaires dans le secteur manufacturier, et ce pour le deuxième mois consécutif, invite à la prudence. L’indice des directeurs d’achats qui était reparti à la hausse en novembre, s’est retourné en février autant dans sa composante output, que dans celles des commandes et des perspectives d’embauche.

Le rebond de la production industrielle en janvier (+1,6%) après un recul de 2,6% au T4 2011 ne suffit pas à redresser l’acquis de croissance (-0,1%) pour le premier trimestre 2012. Et les entrées en commandes après avoir reculé en fin d’année (-1,5%) continuent en janvier (-2,7%) d’anticiper une production en berne. En même temps, la demande des entreprises domestiques se redresse (+0,9%) sur fond de plongeon des commandes en provenance de l’étranger (-5,5%) et nous montre clairement que la croissance en 2012 sera surtout tirée par la demande intérieure.

Marché du travail : raison et clairvoyance

Car les gains de productivité et de rentabilité passés permettent une dynamique salariale encore soutenue, qui profitera du rattrapage de la modération salariale ayant suivi les premières années de la crise financière.

Les salaires négociés ont en effet progressé à un rythme faible en 2011 (+1,7% après +1,6% en 2010) et ce sont principalement les éléments exceptionnels (primes, etc.) ainsi que la remontée de la durée du travail qui ont permis une croissance plus soutenue des salaires effectifs par salarié (+3,3%). Mais la remontée de l’inflation (+2,5%) a limité la progression du salaire réel à +1,1%. Mais le partage de ces gains sera raisonné, et la bonne règle du respect des gains de productivité, dans un contexte de lent rétablissement de ces derniers, ne devrait pas être oubliée.

Sur fond de revendications oscillant entre 5% et 7%, nous prévoyons une hausse de +2,5% du salaire négocié en 2012. L’écart entre ce dernier et le salaire effectif serait nul car la présence de primes dans les secteurs les plus porteurs serait compensée par une certaine réduction de la durée du travail.

Bien que la croissance de l’emploi reste positive et que le taux de chômage n’ait connu qu’une simple stabilisation en février, nous prévoyons un ralentissement des créations d’emplois et une stabilisation à 5,4% du taux de chômage en 2012. Autant le gouvernement, pour avoir dégagé des marges budgétaires, que les partenaires sociaux disposent de moyens pour poursuivre le financement des dispositifs de chômage partiel, qui avaient permis de maintenir 1,5 millions de salariés dans l’emploi lors de la crise. Et la durée du travail a pleinement retrouvé son niveau de 2007 et peut donc être réutilisée comme variable d’ajustement au lieu de l’emploi en cas d’aggravation de la conjoncture.

Consommation : le rempart de la croissance

De quoi garantir une croissance de la consommation qui jouera le rempart contre l’affaiblissement de la demande étrangère et de l’investissement. On a déjà assisté au cours de l’année 2011 à une progressive modération de l’investissement productif, sous l’effet du graduel essoufflement de la demande étrangère. L’impact de la croissance soutenue de l’emploi et des salaires a été aussi modéré par la remontée de l’inflation, empêchant toute accélération du revenu disponible réel. La baisse du taux d’épargne a permis néanmoins un rythme plus soutenu de la consommation privée. En 2012, la progression du pouvoir d’achat des ménages, couplée d’une nouvelle baisse du taux d’épargne, permettra de maintenir une croissance positive de la consommation (+0,7%). Pas de quoi empêcher un trou d’air de la croissance, mais suffisamment pour maintenir l’Allemagne en dehors de la récession qui frappe la plupart des pays membres.

Retrouvez les études économiques de Crédit Agricole