Inde : points saillants du budget 2012/2013

par Pauline Gandre et Edgardo Torija Zane, économistes chez Natixis

Le budget du gouvernement central est l’une des annonces politiques les plus commentées de l’année par les différents acteurs de l’économie indienne. Il permet de tirer des conclusions sur les priorités d’orientation des dépenses publiques et donc du modèle économique, ainsi que sur les sources et les mécanismes de leur financement. 

Alors que le déficit budgétaire 2011-2012 se révèle plus lourd qu'attendu (5,9 % du PIB contre 4,6 % prévu), le budget 2012/13 s’inscrit dans un objectif de réduction graduelle des besoins de financement public. Le budget vise ainsi à porter le déficit à 4,5% du PIB pour l’exercice 2013/14 et à 3,9% à l’horizon 2014/15.

Le projet de budget a été accueilli avec réserve par les marchés. L’effort de consolidation budgétaire se concentre surtout sur des variables relativement incertaines (la dynamique de la hausse des recettes) alors que, côté dépenses, le poste qui doit être ramené sous contrôle (les subventions) affectera le pouvoir d’achat des consommateurs et pourrait donner lieu à une forte opposition politique. Enfin, le calendrier des réformes n’a pas été précisé, un retard dans l’application des mesures pouvant alors impliquer le non respect de la cible.

Le gouvernement indien a annoncé ses propositions pour le budget de l’année fiscale 2012/13

Le 16 mars, le Ministre des finances indien, Pranab Mukherjee, a présenté le budget du gouvernement central pour l’année fiscale 2012/13 (débutant le 1er avril) devant le Parlement, dans un contexte qui le rend particulièrement lourd d’enjeux (ralentissement de la croissance, déficit budgétaire élevé en 2011/12, mise en œuvre du 12ème plan quinquennal et défaite de la coalition gouvernementale aux dernières élections régionales). Un déficit budgétaire de 5,1% du PIB est visé pour 2012/13 contre un chiffre révisé de 5,9% en 2011/12, largement au-dessus de l’objectif officiel fixé à 4,6 % du PIB.

Les autorités indiennes intègrent dans leur projet de budget les hypothèses suivantes : une croissance de 7,6 % en GA sur l’année fiscale 2012/13 après un décevant 6,9 % estimé pour 2011/12 (lié à un ralentissement dans le secteur industriel), et une inflation qui devrait continuer à décélérer dans les prochains mois avant de se stabiliser (l’hypothèse intégrée dans le budget est d’une inflation de 5,7% mesuré par le déflateur du PIB). Le gouvernement vise une augmentation des revenus totaux de 23 % (après une contraction estimée à 3,3% en 2011-2012) et une hausse des dépenses de 13 % par rapport à l’exercice précédent, bien que des postes comme celui des subventions vont être réduits.

Le budget 2012/13 s’inscrit dans un objectif de réduction du déficit budgétaire à moyen terme, qui vise à le porter à une part de 4,5% du PIB pour l’exercice 2013/14 et de 3,9% à l’horizon 2014/15.

1- Les revenus : une hausse programmée des recettes fiscales

Pour l’année fiscale 2012/13, les recettes fiscales nettes (hors transferts aux Etats et aux municipalités) du gouvernement central sont estimées à 7710 milliards de roupies et les recettes non fiscales à 1646 milliards, alors que le montant ciblé par des opérations de désinvestissement de l’Etat (privatisations partielles) est évalué à 300 milliards de roupies.

La hausse des recettes fiscales repose premièrement sur la reprise attendue de la croissance et deuxièmement sur les réformes des impôts prévues par le gouvernement, qui devraient se traduire par une hausse de 20,1 % des recettes fiscales (78 % des recettes totales en 2012-2013) par rapport à celles collectées lors de l’exercice précédent.

Les réformes fiscales annoncées sont nombreuses. En ce qui concerne les impôts indirects, l’implémentation finale d’une taxe sur les ventes de biens et services uniformisée entre les différents Etats indiens (la GST « Good and Services Tax »), qui vise à élargir la base fiscale et à minimiser les exemptions, et dont la mise en place est discutée depuis plusieurs années en Inde, est programmée, alors que le « GST network » (une plateforme commune à tous les Etats indiens permettant notamment l’enregistrement des participants, le remplissage des déclarations et la réalisation des paiements) devrait être établi avant août.

En outre, le taux de la taxe sur les services et celui de la taxe d’accise passeront de 10 à 12%, alors que le taux d’imposition appliqué sur les importations d’or augmentera également.

Du côté des impôts directs, le gouvernement indien prévoit la mise en œuvre du code des impôts directs (le « Direct Tax Code ») établi lors du précédent budget mais reporté dans le temps. Une augmentation des exemptions sur l’impôt sur le revenu a été annoncée et de nouvelles tranches vont être mises en place. Quant au seuil à partir duquel les revenus sont taxés, il est passé de 180000 à 200000 roupies, hausse qui reste faible relativement au rythme de l’inflation (le PIB nominal a augmenté de 16% sur un an) et devrait donc se traduire par un élargissement de la base d’imposition.

Au total, la réforme des impôts directs se traduira par une perte nette de 45 milliards de roupies pour le gouvernement, alors que le revenu net lié à la réforme des impôts indirects est estimé à 459,4 milliards de roupies.

2- Les dépenses : diminution des subventions, financement des infrastructures et croissance « inclusive »

Les dépenses totales sont estimées à 14 909 milliards de roupies, soit une hausse de 13 % par rapport à l’année fiscale précédente.

Le gouvernement vise à réduire le montant des subventions – 2,5% du PIB en 2011/12- à une part inférieure à 2% du PIB pour l’exercice à venir, et à moins de 1,75% du PIB d’ici trois ans. Il estime le montant des principales subventions à 1800 milliards de roupies en 2012/13, impliquant une diminution de près de 14 % par rapport à l’année précédente.

La réduction dans les subventions concernera avant tout celles sur les carburants et les engrais (les subventions sur les carburants sont ainsi estimées à 435,8 millions de roupies), alors que celles sur la nourriture ne seront pas diminuées et atteindront un niveau de 750 milliards de roupies. Sur l’année fiscale 2012-2013, les subventions sur le pétrole devraient ainsi être celles dont la part dans les dépenses non planifiées (c’est-à-dire les dépenses qui ne sont pas programmées dans le cadre du Plan quinquennal) diminuera le plus, suivies par celles sur les engrais et enfin par celles sur la nourriture.

Le gouvernement a manifesté une nouvelle fois son intention de parvenir à un large consensus concernant la possibilité d’autoriser les investissements directs étrangers à hauteur de Dans le secteur bancaire et financier, le gouvernement prévoit de financer la capitalisation des banques du secteur public et des institutions financières à hauteur de 158,88 milliards de roupies, et de réduire l’impôt sur les transactions de titres dont le taux passera de 0,125 % à 0,1 %. Les procédures d’introduction en bourse seront en outre simplifiées.

Le gouvernement programme également des déductions de 50 % sur l’impôt sur le revenu pour les nouveaux investisseurs dans le secteur du détail qui investissent jusqu’à 50 000 roupies dans des actions et dont le revenu annuel est inférieur à 1 million de roupies.

Le budget 2012/13 met en outre clairement l’accent sur le financement d’infrastructures. Les fonds alloués au Ministère des transports routiers et des autoroutes seront augmentés de 14 %. Les industries du secteur aérien, tout comme celles du secteur de l’électricité et de l’habitat bon marché, seront désormais autorisées à se financer avec des fonds étrangers par des emprunts commerciaux extérieurs.

La mise en œuvre d’une «Politique Manufacturière Nationale» est prévue, l’objectif étant que le secteur manufacturier représente 25 % du PIB d’ici dix ans contre environ 15 % actuellement. Une hausse de 18 % des dépenses allouées au Ministère de l’Agriculture et de la Coopération a par ailleurs été proposée.

En outre, le budget de la défense sera augmenté de 17 %.

Enfin, le gouvernement a réaffirmé sa volonté de favoriser une croissance « inclusive » en Inde. La « National Food Security Bill », qui vise à permettre aux personnes pauvres d’acheter des céréales à un prix plus bas que celui du marché subventionné par l’Etat, sera ainsi examinée par le Parlement, mais elle pèsera fortement sur les dépenses en raison de son ampleur (elle devrait concerner plus de 800 millions d’Indiens dont environ 75 % de la population rurale et 50 % de la population urbaine).

Par ailleurs, les fonds alloués aux régions les moins développées seront augmentés de 22 % par rapport à l’exercice précédent, et de nouveaux fonds seront alloués à l’éducation, la santé et la protection sociale.

3- Le financement du déficit

Le déficit du gouvernement central en 2012/13 devrait avoisiner les 5135 milliards de roupies (contre 4124 milliards en 2011/12). Le financement du déficit repose à 95% sur des émissions obligataires, qui auront lieu principalement sur le marché domestique. Une partie marginale des besoins de financement du gouvernement central sera satisfaite avec des ressources de la Sécurité Sociale (State Provident Funds) et par l’endettement auprès des fonds publics d’investissement des petits épargnants (Securities against Small Savings).

Implications macroéconomiques

Bien que l’objectif de déficit de 5.1% du PIB semble raisonnable et s’appuie sur un chiffre de croissance économique (7,6%) inférieure à celle prévue dans le budget 2011/12 (9%), la capacité du gouvernement à respecter ces objectifs n'est pas évidente. L’effort de consolidation se concentre surtout sur des variables relativement incertaines (la dynamique de la hausse des recettes) alors que, côté dépenses, le poste qui doit être ramené sous contrôle -les subventions- affectera le pouvoir d’achat des consommateurs et pourrait donner lieu à une forte résistance politique. Le calendrier des réformes n’a d’ailleurs pas été précisé par le Ministre des Finances, un retard dans l’application des mesures pouvant alors impliquer le non respect de la cible.

La première réaction des marchés a été plutôt négative, l’indice Sensex s’est contracté de 1,2 % le vendredi 16 mars, jour de l’annonce (les pertes cumulées au mardi 20 mars sont de 2,3 %).

Bien que le déficit budgétaire de 2012/13 devrait être aisément financé par le système financier domestique et bien que grâce à la forte croissance nominale, il ne se traduira pas par la hausse des ratios d’endettement public, il n’en reste pas moins que le marché obligataire a dû intégrer, via une baisse de prix, la hausse prévue de l’encours des titres publics. Le taux d’intérêt (bon d’Etat à 10 ans) a augmenté de 18pb, passant de 8,24% à 8,42%.

L’impact des politiques macroéconomiques sur le cours de la roupie reste en outre incertain. Certaines des mesures annoncées pourraient être positives pour la devise indienne : le gouvernement a ainsi annoncé la hausse des taxes douanières sur les importations d’or et une participation accrue des non-résidents dans les obligations émises par les entreprises. La décision du gouvernement d’autoriser les emprunts extérieurs à des fins additionnelles (financement partiel de la dette en roupie des projets existants dans le secteur de l’électricité, des fonds de roulement dans l’industrie aéronautique pour un an maximum et plafonnés à 1 milliard de dollars et des projets de logements bon marché) pourrait également jouer favorablement sur le change par le biais de la hausse des flux entrants de portefeuille. Cependant, les investisseurs étrangers sont susceptibles d’adopter une attitude attentiste face à la mise en œuvre des mesures de discipline budgétaire, après le décalage significatif avec la cible de déficit observé en 2011/12.

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