par Maarten-Jan Bakkum, Stratégiste Actions Marchés Emergents chez ING IM
Dans le précédent Emerging Equity Markets Monthly (EEMM), nous avions écrit que nous considérions les perspectives de croissance de la Chine comme la principale force motrice des actions émergentes. Alors que la croissance devrait décevoir en Chine au cours des prochains trimestres, nous estimons qu’il convient de rester prudent à l’égard des actions émergentes. La récente faiblesse du dollar australien et du real brésilien, deux devises largement influencées par les matières premières, suggère que cette approche demeure judicieuse. Nous sommes toujours d’avis que les pressions baissières du secteur immobilier résidentiel et du secteur des exportations sur la croissance sont globalement sous-estimées.
Alors que le contexte mondial reste difficile pour les actions émergentes (ralentissement en Chine, crise de la dette européenne, données économiques américaines décevantes), les risques augmentent également dans plusieurs grands pays émergents. Le Brésil et l’Inde sont les meilleurs exemples. Le Brésil semble retrouver de plus en plus ses anciennes habitudes industrialistes et interventionnistes. En Inde, le gouvernement demeure incapable de réaliser les réformes indispensables pour résorber ses importants déficits courant et budgétaire.
Il subsiste bien sûr des pays émergents où les développements sont toujours positifs et dont le futur semble moins sombre. Dans cet EEMM, nous passons en revue les 10 principaux marchés émergents. Nous résumons leur situation et leur positionnement dans le contexte mondial actuel.
Chine : croissance probablement inférieure aux attentes
Lors des cycles précédents, lorsque les autorités chinoises ont assoupli leur politique, le marché des actions a bien performé. Cette fois, le marché n’a pas pu profiter de l’assouplissement amorcé au dernier trimestre de l’année passée. Les craintes relatives à la pérennité de la croissance économique élevée et l’ambition du gouvernement d’éviter un nouvel élargissement des déséquilibres du système financier ont rendu les investisseurs prudents. En avril, on a assisté à un certain rebond de la performance relative après la publication des données des nouveaux crédits du mois de mars, qui ont surpris à la hausse.
Nous restons d’avis que la croissance chinoise ralentira davantage au cours des prochains trimestres. La correction sur le marché immobilier résidentiel, la faible confiance des entreprises privées et la répugnance des autorités à accélérer le rythme de l’assouplissement de la politique économique nous incitent à la prudence. En outre, la faiblesse des exportations et les perspectives peu brillantes pour la croissance de la demande, essentiellement en Europe, exercent des pressions supplémentaires sur la croissance chinoise. Nous ne pensons pas que les autorités pourront compenser le ralentissement des exportations par une accélération de la croissance de la demande domestique. Pas cette fois, avec un endettement total de 230% du PIB et un gouvernement très conscient des pressions s’exerçant sur le système financier du fait de la hausse de l’endettement de 30 points de pourcentage depuis 2008.
La croissance devrait donc décevoir. Pour l’instant, nous pensons que le risque d’un hard landing est limité. Toutefois, la faible transparence de l’économie justifie une grande prudence. On pourrait d’abord observer une multitude de données divergentes avant qu’il apparaisse clairement que l’économie est beaucoup plus faible que ce qui est généralement perçu. Il est par conséquent justifié que les actions chinoises affichent une décote par rapport aux marchés émergents pris dans leur ensemble. La décote actuelle de 10% n’est, selon nous, pas trop élevée, de sorte que le marché chinois n’est pas particulièrement attrayant du point de vue de sa valorisation.
Corée du Sud : bientôt le statut de marché développe
Compte tenu de la faible croissance de la demande mondiale et l’importance des exportations coréennes tant pour l’économie que pour le marché des actions, il est remarquable que les actions coréennes soient parvenues à mieux performer que le monde émergent au cours de ces derniers trimestres. Ceci est essentiellement imputable aux faibles déséquilibres macroéconomiques du pays et à ka vigueur2d50e nombreuses sociétés coréennes en comparaison de leurs concurrents étrangers. La Corée est le marché le plus mature de tout l’univers émergent. Cela implique que sa volatilité est plus faible que celle des autres marchés émergents, mais aussi que les investisseurs peuvent se concentrer sur la sélection des valeurs individuelles sans se préoccuper des aspects top-down.
Depuis plusieurs années, la Corée est candidate au statut de marché développé de MSCI. Il est désormais probable que la décision tombera en juin. Ceci pourrait avoir d’énormes répercussions en matière de performance. Le second marché émergent en taille deviendrait ainsi un petit pays développé, un pays que les investisseurs mondiaux pourraient se permettre d’ignorer. D’autres exemples de pays ayant obtenu le statut de marché développé, comme la Grèce et Israël, ne permettent pas de dégager une trajectoire précise en ce qui concerne les performances. Pour l’instant, nous estimons qu’il est sage de se focaliser sur les grandes capitalisations détenant une position dominante dans leur secteur et ne dépendant pas trop largement de la croissance de la demande chinoise.
Brésil : nouvelle erreur de politique
Il y a deux bonnes raisons d’être négatif à propos du Brésil dans le contexte mondial actuel : d’une part, parce qu’il est très sensible à la croissance des investissements et à la demande de matières premières de la Chine et, d’autre part, parce que c’est le marché qui souffre le plus en période de forte aversion au risque. En outre, on observe une détérioration continue de la politique économique brésilienne. Alors qu’il fait très peu pour améliorer la lourde structure de coût de l’économie (taxes élevées, mauvaise infrastructure et pénurie de main-d’œuvre qualifiée), le gouvernement brésilien semble penser qu’un abaissement des taux d’intérêt résoudra tous les problèmes.
Néanmoins, abaisser les taux alors que l’inflation est proche du plafond de l’objectif de la banque centrale et sans procéder à une réforme budgétaire significative constitue une stratégie risquée. Ceci n’est pas de nature à améliorer le climat d’investissement, ce qui signifie que les sociétés privées continueront à hésiter à investir en infrastructure et en nouvelles capacités industrielles. Le gouvernement se sentira contraint de continuer à financer de larges projets d’investissement via la banque de développement nationale (BNDES). Ce type de dépenses quasi budgétaires est similaire à ce que la Chine a fait et fait penser à l’ancienne politique industrielle du Brésil des années 1960 et 1970.
La transparence des finances publiques et de l’ensemble du système financier diminue globalement. Le Brésil devient une destination moins attrayante pour les investisseurs étrangers. Nous avons déjà pu l’observer au niveau des flux de portefeuille des derniers trimestres. Alors que le real est toujours la devise émergente la plus chère, le risque d’une nette correction du taux de change est en outre élevé. Après sept ans de surperformance entre 2002 et 2009, le marché des actions brésiliennes sous-performe depuis plus de deux ans (voir graphique ci-dessus). Nous ne voyons pas de raison justifiant un changement de cette tendance.
Taiwan : choix défensif de plus en plus attrayant
Le resserrement des relations économiques entre Taiwan et la Chine est une tendance à long terme phénoménale. Au cours de la décennie écoulée, les sociétés taiwanaises ont profité pleinement des opportunités de sous-traiter leur production en Chine et de vendre leurs produits sur place également. Au cours des prochaines années, il devrait y avoir davantage d’opportunités pour les capitaux chinois d’entrer à Taiwan. Une plus grande intégration économique entre la Chine et Taiwan accroît le potentiel de croissance de Taiwan. Ceci devrait stimuler la part du marché des actions soutenue par la demande domestique.
Taiwan est, par ailleurs, l’un des rares pays asiatiques n’ayant pas bénéficié d’un boom des crédits à la consommation au cours de ces dernières années. Cela signifie que le système est moins saturé qu’ailleurs, que les ratios de prêts non performants sont plus faibles et qu’il y a une plus grande marge de manœuvre pour une croissance des crédits dans le futur. Taiwan offre ainsi des caractéristiques défensives qui peuvent s’avérer utiles dans le contexte mondial actuel. Le dollar taiwanais fait également partie des devises peu risquées du monde émergent, ce qui constitue un avantage supplémentaire. Enfin, Taiwan affiche le rendement du dividende le plus élevé d’Asie, ce qui doit être considéré de nos jours comme un atout.
Les points susmentionnés s’appliquent uniquement à la part du marché d’actions tributaire de la demande domestique. Plus de la moitié du marché taiwanais consiste en effet en valeurs technologiques qui sont tributaires du cycle technologique mondial et de nombreux facteurs spécifiques aux sociétés. Les facteurs liés au pays jouent un rôle limité pour ces valeurs.
Afrique du Sud: faible croissance et risque de change élevé
Une bonne gouvernance des sociétés, un système financier relativement sain et une exposition à la croissance élevée des autres pays africains constituent les principaux attraits du marché sud-africain. Peu d’autres facteurs positifs valent la peine d’être mentionnés actuellement. La croissance économique est faible et les perspectives sont plutôt peu brillantes. Les données les plus récentes suggèrent que tant la croissance des investissements que la croissance de la consommation ralentiront au cours des prochains trimestres. En Afrique du Sud, où le taux de chômage est supérieur à 25%, une croissance du PIB de moins de 3% est insuffisante pour apaiser les tensions sociales.
En dépit de la faible croissance, l’inflation est élevée et devrait rester supérieure à l’objectif de la banque centrale pendant la majeure partie de l’année. La banque centrale ne devrait pas relever les taux (ce qui serait peut-être souhaitable). Des abaissements des taux sont également improbables. Une politique économique expansionniste empêche toute amélioration de la situation budgétaire, ce qui signifie que l’Afrique du Sud continuera à afficher un double déficit. Le déficit structurellement élevé de la balance courante devient plus problématique lorsque la dette continue à se détériorer. Le financement du déficit externe reste en outre largement tributaires des flux de portefeuille.
Le différentiel de taux attrayant reste par conséquent la principale raison justifiant les investissements des étrangers en Afrique du Sud. Ceci signifie que le pays demeure tributaire de l’appétit des investisseurs mondiaux pour le risque. Le rand est, par ailleurs, la devise émergente la plus volatile et est vulnérable dans un contexte de turbulences sur les marchés financiers.
Inde : risquée, mais pas affectée par le ralentissement chinois
Pendant de nombreuses années, l’Inde a été le marché favori des investisseurs misant sur les marchés émergents. Il n’y a pas longtemps, la plupart des gens s’attendaient à ce que le pays affiche une croissance supérieure à celle de la Chine. La situation s’est complètement inversée ces dernières années. L’Inde a ralenti davantage que la Chine. Son taux de croissance actuel de 6% résulte d’une politique monétaire restrictive faisant suite à une forte hausse de l’inflation et à la la paralysie du système financier. Le pays affiche un déficit budgétaire de 8% et un déficit courant de 4%. Aussi longtemps que le déficit budgétaire demeurera inchangé, le gouvernement continuera à exercer des pressions sur le secteur privé et il sera difficile d’observer une reprise de la croissance des crédits au secteur privé. Les subsides doivent être rapidement diminués et le gouvernement doit élaborer un plan crédible de réduction de son déficit. En raison de nombreux scandales de corruption et du manque de soutien du parlement, il ne faut guère s’attendre à une réaction du gouvernement actuel et les prochaines élections générales n’auront pas lieu avant deux ans.
Tout ceci ne signifie pas que le marché n’offre pas de potentiel de hausse. La croissance a fortement décéléré et les indicateurs avancés suggèrent un redressement au second semestre de l’année. Les risques inflationnistes demeurent élevés, mais l’inflation sous-jacente a malgré tout diminué au cours des derniers mois (4% actuellement). Ceci signifie que la banque centrale dispose d’une marge de manoeuvre pour abaisser les taux au cours des prochains trimestres. Le repli des prix pétroliers est également positif, car il devrait entraîner une diminution du déficit de la balance courante. Les valorisations ont en outre fortement diminué ces dernières années (le P/E étant passé de 18 à 12). Enfin, l’Inde est l’un des rares marchés peu exposés à la croissance chinoise. Ceci est la principale raison justifiant le maintien d’un biais positif pour le marché indien.
Russie : vulnérable en période de repli des prix énergétiques
La Russie affiche l’un des bêtas les plus élevés et est l’un des marchés émergents les plus sensibles aux matières premières. Dans le contexte mondial actuel, la Russie n’est, selon nous, pas bien positionnée. Alors que les prix pétroliers se replient rapidement, la position budgétaire et les perspectives de croissance du pays se détériorent. Le fait que le rouble dispose d’une plus grande marge de fluctuation et puisse absorber une partie des pressions externes est une bonne chose pour le moyen et le long terme, mais en période de dépréciation, ceci n’est bien sûr pas favorable aux investisseurs dont la devise de base est le dollar.
L’atout de la Russie est actuellement la solide tendance de sa croissance. Le pays affiche un taux de croissance de 5%, grâce aux prix énergétiques élevés de ces derniers trimestres et aux 1s4timulants budgétaires des mois qui ont précédé les élections parlementaires de décembre et les élections présiden8tielles de mars. La diminution du risque politique après la réélection du président Poutine est également positive. Nous doutons de la volonté de Poutine de réaliser des réfo0rmes compte tenu de ses réalisations passées, mais pour l’instant, le mécontentement populaire semble contenu. Le risque d’une répression provoquant une escalade des tensions existantes a diminué.
Le principal défi pour les autorités est le financement du déficit budgétaire en forte hausse, alors que les prix pétroliers sont orientés à la baisse. Il est quasiment certain que les entreprises seront davantage taxées au cours des prochaines années. Ceci constitue une épée de Damoclès pesant sur le marché des actions, de même que les incertitudes relatives à la gouvernance de l’État et des entreprises. Ce marché est le moins cher de l’univers émergent pour une bonne raison. Une grande partie du potentiel haussier et baissier du marché est déterminée par les fluctuations des prix pétroliers.
Mexique : surprise positive
La bonne performance du marché mexicain au cours de ces derniers trimestres est imputable à cinq facteurs :
- la dominance des secteurs défensifs, comme les télécoms et les biens de consommation courante, dans l’indice ;
- la solide gestion de l’économie et les déséquilibres économiques limités ;
- la croissance des investissements et de la consommation dépassant les attentes ;
- les flux positifs de capitaux en raison des sorties du marché brésilien aux performances médiocres et 5) la vigueur relative de l’économie américaine, le principal partenaire commercial du Mexique.
Le fait que des élections présidentielles se tiendront en juillet au Mexique n’a pas eu d’impact négatif sur le marché. Récemment, il y a même eu une légère influence positive de la situation politique car certains analystes pensent que la probabilité de réformes structurelles lors du prochain mandat présidentiel augmente. Des réformes significatives dans le secteur de l’énergie et sur le marché du travail auraient des répercussions énormes sur l’économie et les marchés d’actifs mexicains, mais nous pensons qu’il est prématuré d’envisager celles-ci.
Selon nous, les principales raisons incitant à la prudence à l’égard du marché mexicain sont actuellement la volatilité élevée du peso (la devise est très sensible aux fluctuations de l’appétit mondial pour le risque car elle peut fluctuer plus librement que la plupart des autres devises émergentes) et la récente tendance négative de l’indice des surprises économiques aux Etats-Unis.
Malaisie : défensive avec un bonus de croissance
Aucun autre marché émergent n’est plus fiable en tant que marché défensif que la Malaisie. C’est le marché le moins volatil de l’univers émergent et lors des cinq grandes corrections de l’univers émergent (repli d’au moins 15%), la Malaisie a globalement mieux performé. Le free float limité, la prédominance des fonds de pension nationaux et la présence relativement faible des investisseurs étrangers expliquent pourquoi ce marché surperforme en période de turbulences. Ceci est la principale raison justifiant notre avis positif sur ce marché.
En outre, les perspectives pour la croissance de la demande domestique semblent plutôt favorables. Des élections générales devraient avoir lieu au premier semestre de 2013. Le gouvernement fait tout ce qu’il peut pour accroître ses chances de retrouver sa majorité de deux tiers perdue en 2008. D’importants projets d’investissements publics et une politique budgétaire plutôt souple soutiennent la demande domestique, alors que cette dernière est orientée à la baisse ailleurs en Asie.
Indonésie : solide croissance endogène
L’Indonésie reste un pays dont la croissance de la demande domestique fait partie des plus élevées de l’univers émergent. Elle affiche une croissance de plus 6%, essentiellement alimentée par la consommation des ménages. L’emploi et la croissance des salaires et des crédits sont élevés et assurent une solide croissance de la consommation. La croissance des investissements en actifs fixes se redresse également, tant dans l’industrie manufacturière qu’au niveau de l’infrastructure. Ces dernières années, beaucoup de travail a été accompli au niveau légal afin de favoriser une rapide croissance des investissements en infrastructure. Ceci devrait permettre d’éviter des goulets d’étranglement et de maintenir la croissance économique à un niveau de plus de 6%.
Nous apprécions l’Indonésie en raison de la solide tendance de sa croissance et de ses déséquilibres macroéconomiques limités. Même dans un contexte mondial plus difficile, le pays devrait conserver une robuste croissance. Bien que l’on ait observé un certain dérapage en matière de politique (pas de mesures drastiques pour réduire la facture très élevée des subsides et dépendance accrue de mesures monétaires non conventionnelles), nous pensons que les autorités peuvent se permettre de commettre quelques erreurs. Pour l’instant, le principal risque réside dans une période prolongée d’aversion mondiale pour le risque, qui mettrait la stabilité du taux de change en péril.
Conclusion
La crise de l’euro et la croissance décevante de la Chine nous incitent à la prudence vis-à-vis des actions émergentes. Au sein de l’univers émergent, nous privilégions les marchés affichant des caractéristiques défensives (Malaisie), une solide croissance de leur demande domestique (Indonésie) ou une dépendance limitée à la demande d’importations de la Chine (Inde). Dans le contexte mondial fragile actuel, nous évitons les marchés affichant un risque de change élevé en raison soit d’importants besoins de financement externes (Afrique du Sud), soit d’une surévaluation de la devise allant de pair avec une politique économique défaillante (Brésil).