par Hans Stoter, Directeur de la gestion Crédits chez ING IM
L’approche traditionnelle de l’allocation des actifs incite les investisseurs institutionnels à acheter des obligations d’État comme fond de portefeuille, tandis que des positions stratégiques et tactiques en actions – plus risquées – viennent les compléter afin d’améliorer le rendement global du portefeuille. Les investisseurs particuliers ont souvent une approche opposée : ils placent les actions au centre de leur portefeuille et y ajoutent des obligations d’État pour se protéger en cas de repli des marchés d’actions.
Ces approches traditionnelles de l’allocation des actifs ont eu pour résultat des portefeuilles d’investissement largement exposés tant aux obligations « sûres » qu’aux actions. Alors que les taux des Bunds allemands se situent à des planchers historiques et que les rendements attendus des actions sont à la fois plus faibles (en raison de la croissance mondiale plus modérée) et plus volatils, les investisseurs devraient reconsidérer ces allocations.
La pondération des obligations suit généralement des indices obligataires « agrégés » au sein desquels le poids des différents segments obligataires, comme les obligations d’État et les obligations d’entreprises, est déterminé par la capitalisation boursière. Le résultat de cette approche est que les instruments largement présents au sein des indices, tels que les obligations d’État, bénéficient de pondérations importantes, alors que les segments obligataires non représentés dans les indices agrégés, comme les obligations à haut rendement et les obligations des marchés émergents, ont des pondérations nulles ou très faibles et seront souvent vendus en premier lieu lorsque les investisseurs décident de réduire le risque de leur portefeuille.
Jusqu’à présent, les rendements de cette stratégie d’allocation des actifs basée sur la capitalisation boursière ont été plutôt bons, car ils ont profité de la tendance baissière des taux d’intérêt en place depuis le début des années 1980. Maintenant que les taux des obligations d’État approchent de 1%, cette tendance favorable qui a duré 30 ans touche néanmoins à sa fin. Les positions en obligations d’État peuvent toujours être considérées comme l’option sans risque du point de vue du risque de crédit, mais étant donné que les rendements devraient selon toute attente rester faibles et risquent de devenir négatifs lorsque les taux d’intérêt commenceront à augmenter, elles ont perdu une grande partie de leur attrait du point de vue de l’allocation des actifs.
Les positions en actions sont, pour leur part, prises dans le but de générer des rendements plus élevés que celui d’une allocation purement en obligations. La volatilité plus élevée de cette classe d’actifs en comparaison des obligations est tolérée aussi longtemps que le rendement compense ce risque supplémentaire. Les approches traditionnelles de l’allocation des actifs fondaient leur allocation en actions sur les solides rendements historiques calculés sur une période plus longue. Néanmoins, la crise financière, qui a provoqué une vague de ventes massives du quatrième trimestre de 2007 au premier trimestre de 2009, a ébranlé la confiance dans la capacité des actions à afficher des rendements attrayants de façon durable car les attentes de rendement incorporées dans les modèles d’allocation des actifs se sont révélées trop optimistes. Depuis son plancher atteint en mars 2009, le marché des actions a rebondi, mais il n’a pas été en mesure de renouer avec les sommets atteints précédemment. Parallèlement, le risque des investissements en actions mesuré par leur volatilité quotidienne est demeuré élevé. Compte tenu de l’attente généralement partagée d’une poursuite de la faiblesse de la croissance mondiale, il semble que les caractéristiques de risque/rendement de cette classe d’actifs ne soient plus aussi bonnes que ce à quoi les investisseurs s’attendent sur une base historique.
De « barbell » à « bulleted-in-the-middle »
Je pense que les investisseurs réagiront à cette nouvelle réalité de faibles taux sans risque, d’incertitude accrue et de rendements volatils des actions en modifiant leur allocation des actifs, passant d’un portefeuille qualifié de « barbell », c’est-à-dire avec une pondération importante des obligations sûres et des actions risquées, à un portefeuille dit « bulleted-in-the-middle », davantage centré sur les revenus avec une volatilité limitée. Un tel portefeuille est essentiellement investi en obligations affichant une prime de risque, comme les obligations d’entreprises à haut rendement et investment grade, les covered bonds, les obligations d’État et d’entreprises des marchés émergents, les ABS et MBS (asset backed et mortgage backed securities), etc. Tout instrument affichant une prime de risque significative par rapport aux obligations d’État allemandes est susceptible d’entrer en considération pour cette partie de l’allocation. Les investisseurs préoccupés par la hausse des taux d’intérêt ou l’inflation peuvent utiliser des produits dérivés pour réduire ce risque.
Implications pour les flux d’actifs
(…) Compte tenu de la nouvelle réalité de taux sans risque très faibles, nous prévoyons un glissement vers des portefeuilles au sein desquels les obligations risquées figurent à l’avant-plan et constituent le fond du portefeuille, avec une part d’obligations d’État sans risque et d’actions pour réduire le risque dans le cas des premières ou accroître le rendement dans le cas des secondes.
Ceci est susceptible de conduire à une modification substantielle des stratégies d’allocation des actifs. Nous observons d’ailleurs déjà un glissement des actions vers les segments obligataires aux rendements plus élevés. Eu égard à la situation incertaine en Europe, les investisseurs se concentrent actuellement sur la préservation de leur capital et conservent par conséquent leurs obligations d’État sûres comme un placement refuge, mais je m’attends à un glissement significatif vers les segments obligataires risqués dès que les craintes s’apaiseront – tout en reconnaissant que ceci prendra probablement un certain temps. Ces tendances en matière d’allocation constitueront un facteur de soutien considérable pour les cours des obligations risquées, de sorte que l’attente de revenus attrayants pour un niveau de risque modéré se réalisera dans un contexte de faible rendement des autres classes d’actifs.