par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis
Nous mettions en avant il y a quinze jours que l’attitude de « wait and see » des banques centrales américaine et européenne pourrait rapidement céder la place à l’action, c’est chose faite pour la Réserve Fédérale américaine et il n’y a désormais que peu de doute que la Banque Centrale Européenne agira aussi.
En effet, lors de son FOMC du 20 juin, la Fed a annoncé qu’elle allait continuer son opération « twist » consistant à augmenter la duration de son portefeuille via des ventes de titres courts et des achats de titres longs (maturité supérieure à 6 ans). Rappelons que la première phase de cette opération commencée à l’automne dernier et devant se terminer fin juin a porté sur 400Md$. La deuxième phase qui devrait se dérouler jusque fin 2012 concernera un montant de 267Md$. L’opération « twist » a comme avantage sur le Quantitative Easing de ne pas augmenter la taille du bilan de la banque centrale. Elle n’est donc pas à l’origine de davantage de création monétaire.
En revanche, via la hausse de la demande pour des titres plus longs, elle permet de maintenir les taux d’intérêt à un bas niveau. La vente parallèle de titres courts ne provoque guère d’effet inverse car la partie courte de la courbe est maintenue à un faible niveau par l’engagement de la Fed de garder le taux des Fed funds à son niveau actuel au moins jusque fin 2014. Au-delà de la faiblesse des taux longs souverains, la Fed cherche à diminuer les taux d’emprunt pour l’ensemble de l’économie de façon à soutenir une reprise toujours fragile.
Par ailleurs, la Fed essaie également de stimuler les achats d’autres actifs par les investisseurs privés en les « évinçant » du marché des titres du Trésor de long terme. La Fed justifie cette nouvelle mesure par la dégradation des perspectives de croissance, reflétée par la révision en baisse des projections du FOMC : la tendance centrale1 retient une fourchette de 1,9%/2,4% pour la croissance du PIB fin 2012 (par rapport à fin 2011) contre une fourchette de 2,4%/2,9% en avril dernier. Pour fin 2013, la fourchette retenue est 2,2%/2,8% contre 2,7%/3,1% en avril dernier. Si les nouvelles projections pour 2012 nous semblent désormais raisonnables (notre propre prévision est de 2,2% fin 2012), celles pour 2013 nous paraissent en revanche encore bien trop optimistes (notre anticipation est de 1,4% au T4 2013). Leur révision dans les trimestres qui viennent pourrait ainsi conduire la Fed à engager un QE3 en fin d’année 2012.
Du côté de la BCE, B. Coeuré a déclaré dans le FT qu’une baisse de taux serait probablement discutée lors de la prochaine réunion, ce qui peut sembler évident étant donné le contexte économique et financier mais qui apparaît comme une préparation du marché (s’il en était besoin) à un nouvel assouplissement monétaire de la BCE. La question de l’ampleur de cette baisse reste ouverte : une réduction de 50pb aurait le mérite d’avoir plus d’impact sur les agents économiques (financement des banques et de l’économie) mais pourrait être interprétée par le marché comme révélant de très fortes inquiétudes de la BCE sur la situation actuelle. Or celle-ci a eu plutôt tendance à rester calme et se montrer sereine face aux turbulences sur les marchés. Par ailleurs, la BCE préfère probablement garder encore un peu de marges de manœuvre. Une baisse de 25pb nous semble donc être le scénario le plus probable. Concernant les autres outils à sa disposition sur le volet de la politique non conventionnelle, elle pourrait à nouveau annoncer l’allongement des opérations d’allocation illimitée de la liquidité. Malgré les deux opérations de l’hiver dernier, certaines banques périphériques ont des difficultés à trouver des liquidités, avec un marché interbancaire toujours grippé. Par ailleurs, elle pourrait également annoncer un nouvel élargissement du collatéral accepté aux opérations de refinancement. L’utilisation du Securities Markets Programme (SMP2) reste toujours possible. Pour autant, il nous semble qu’il ne serait réactivé qu’en cas de très fort stress sur les marchés, en raison des fortes réticences allemandes.
On peut légitimement se poser la question de l’efficacité de ces actions : il est évidemment difficile d’évaluer précisément leurs effets sur la croissance car les canaux de transmission sont multiples (taux, actions, confiance, taux de change).
Aux Etats-Unis, les actions de la Fed ont permis de faire baisser les taux à l’économie (hypothécaire,…) et ont soutenu les marchés plus risqués (actions, …). Dans la zone euro, les actions de la BCE ont permis d’éviter une crise de liquidité et un credit crunch marqué. De toute façon, dans un contexte d’affaiblissement de la croissance aux Etats-Unis, de récession et de risques financiers dans la zone euro, et de durcissement des politiques budgétaires (2013 pour les US), les banques centrales n’ont guère le choix que d’agir.
NOTES
- La « Central tendency » ne prend pas en compte les trois projections les plus basses et les trois plus élevées.
- Programme d’achats de titres souverains par la BCE