par Valentijn van Nieuwenhuijzen, Directeur de la Stratégie chez ING Investment Management
La crise de l’euro se poursuit et avec les nouvelles élections en Grèce et l’intensification des problèmes du secteur bancaire espagnol, la situation est à nouveau proche du point d’ébullition. Alors que les tensions redoublent, l’attention des médias se focalise plus que jamais sur les scénarios pessimistes (éclatement de la zone). D’autre part, l’histoire montre que l’Europe a été forgée dans les crises et l’évocation d’une «feuille de route» pour le futur de l’Europe suggère que les décideurs politiques préparent un nouveau pas en avant afin d’éviter l’issue la plus défavorable possible.
Les justifications économiques d’une telle évolution sont évidentes pour la plupart, mais nous avons dépassé depuis longtemps le stade durant lequel la rationalité procure des indications fiables sur l’évolution future de la crise de l’euro. La suprématie de la politique européenne sur les raisonnements économiques constitue ainsi un obstacle majeur à surmonter, mais il est toujours possible de sauver l’euro si nous le voulons vraiment. Si la nouvelle feuille de route inclut les six étapes suivantes, elle a de bonnes chances de contribuer à un avenir européen plus serein.
Premièrement, il faut un meilleur diagnostic des causes de la crise. La principale cause est le développement de déséquilibres insoutenables des balances courantes des États membres de la zone euro. Ces déséquilibres n’ont pas seulement infecté les finances publiques, mais également les bilans du secteur privé (bancaire) de la périphérie de l’Europe. Il convient donc de remédier à cette infection des secteurs publics et privés et de créer un mécanisme empêchant les déséquilibres des balances courantes de se développer à un tel point.
Deuxièmement, il faut accepter d’assumer les coûts des erreurs du passé. L’euro a toujours été un projet politique et les hommes politiques tant du Nord que du Sud doivent accepter leur responsabilité dans l’élaboration de ce projet. Ceci implique l’acceptation des coûts financiers et politiques pour réparer le gâchis actuel. Ce n’est que lorsque ceci sera fait et que l’endettement excessif de la périphérie aura été réduit encore davantage par des amortissements d’emprunts du secteur public qu’il sera possible de créer de nouvelles bases de départ crédibles pour que l’ensemble de la région commence à fonctionner et à croître à nouveau.
Troisièmement, la solution la moins douloureuse aux problèmes actuels doit passer par une plus grande intégration politique et économique. Ceci implique que l’union monétaire devra être élargie pour inclure une « union bancaire» comprenant un code de conduite bancaire européen harmonisé, un mécanisme de résolution et un système paneuropéen de garantie des dépôts. Parallèlement, une véritable union politique devrait voir le jour afin de permettre une réelle intégration budgétaire (une sorte de ministère européen des Finances) avec une fiscalité, une représentation et, finalement, une émission de dettes (« euro-obligations ») centralisées au niveau européen.
Quatrièmement, il faudrait un meilleur pare-feu. Les risques de contagion via les marchés financiers et la confiance des ménages et des entreprises demeurent très élevés. Il n’est possible de remédier à ceci que via une capacité crédible de procurer des liquidités à court terme au système et le bilan de la BCE est actuellement le seul qui puisse faire ceci. Cette fonction pourrait probablement être assurée plus facilement par le MES (Mécanisme Européen de Stabilité) si ce dernier reçoit une licence bancaire. Les risques inflationnistes à long terme associés à une telle décision sont clairement moins pressants et probablement plus faciles à combattre grâce aux outils existants de la BCE que la menace existentielle à laquelle la zone euro est actuellement confrontée. On peut se demander combien de temps la zone euro pourra s’abstenir d’administrer des antibiotiques pour combattre l’infection qui risque de tuer son « bébé » (euro) par crainte des effets à long terme sur sa santé (inflation) que ce médicament est susceptible de provoquer.
Cinquièmement, une stratégie de croissance est nécessaire à court terme. Une austérité sans concession et généralisée a eu des effets contraires au but recherché au cours des deux dernières années. Elle devrait dès lors faire place à une stratégie d’investissement coordonnée – une sorte de Plan Marshall bis – qui devra être financée par ceux qui le peuvent. Il ne faut pas perdre de vue qu’en dépit de toutes les discussions sur la nécessité d’imposer l’austérité sans délai, le Nord de l’Europe se finance actuellement à des taux d’intérêt réels négatifs. Ceci ne peut certainement pas les empêcher d’investir dans des perspectives de croissance plus solides pour l’ensemble de la région.
Sixièmement, les réformes structurelles en cours doivent être poursuivies. Des incitants doivent dès lors être mis en place afin d’assurer la pérennité des réformes structurelles (marché du travail et marché des biens et services) dans tous les États membres de la zone euro. Parallèlement, les plans de pension et de soins de santé doivent être ajustés si leur financement ne peut être garanti. Pour réaliser ces objectifs, des efforts devront être consentis en matière de réformes pendant au moins une décennie, avec des incitants alternant la carotte et le bâton. On peut ainsi penser à la combinaison de la perspective de participer à un programme d’euro-obligations lorsque certains objectifs sont atteints (carotte) et de pénalités financières et/ou politiques si ces objectifs ne sont pas réalisés (bâton).
Il est évident que ces six étapes sont plus faciles à énumérer qu’à réaliser. Il subsiste de nombreux obstacles politiques, moraux et intellectuels, mais il est également difficile de penser qu’à un certain point, il n’apparaîtra pas clairement à toutes les parties impliquées qu’il faut absolument trouver une solution au problème et œuvrer en faveur d’un projet européen durable. Suggérer que nous pouvons, du jour au lendemain, retourner à la situation antérieure à la zone euro ou nous transporter dans une réalité sans l’euro serait un bon sujet pour un livre de science-fiction, mais ne tient pas compte des énormes coûts de transition d’un tel passage. Tout examen sérieux de ces coûts suggère qu’une plus grande intégration politique et économique et la survie de l’euro restent des issues plus probables que l’éclatement de la zone euro. Espérons que les responsables politiques prendront également conscience qu’adopter les six mesures mentionnées ci-dessus tôt plutôt que tard accroît la probabilité d’une survie de l’euro. La mission n’est pas encore impossible, mais il ne reste plus beaucoup de temps et il convient plus que jamais d’entrer en action sans délai !