Afrique du Sud : des risques négatifs pèsent toujours sur la croissance

par Stéphanie Prat, économiste chez Natixis

Les récents chiffres de l’activité ont confirmé le ralentissement de la croissance sud-africaine, affectée en grande partie par la faiblesse de la demande extérieure en particulier émanant d’Europe. Le retour des tensions financières dans la zone euro a également affecté les variables domestiques se traduisant par une plus forte volatilité sur le marché actions et un mouvement de dépréciation de la devise. Dans un environnement globalement marqué par de larges incertitudes, des risques négatifs pèsent toujours sur la croissance. L’activité devrait en effet rester fortement contrainte et la croissance du PIB devrait s’établir en- deçà de 3% du PIB pour l’année 2012. Les marges de manœuvre des autorités pour faire face au ralentissement apparaissent toutefois limitées.

Sur le plan monétaire, la persistance de sources de tensions inflationnistes limite l’action de la SARB, d’autant plus si le mouvement de dépréciation de la devise devait s’amplifier. En outre, les contraintes qui pèsent sur les finances publiques du fait du ralentissement de l’activité pourraient être de nature à compromettre à court terme la réalisation des objectifs budgétaires et contraindre à plus long terme la poursuite du programme structurel de développement des infrastructures. 

La dégradation de l’environnement macroéconomique global pose aux autorités sud-africaines des défis majeurs d’orientation de politique économique dans un contexte domestique fortement contraint par des enjeux structurels.

1. Poursuite du ralentissement de l’activité

La récente publication des chiffres du PIB du T1 a confirmé la forte modération de la croissance sud-africaine qui devrait rester en-deçà de son potentiel pour le reste de l’année.

Les contraintes qui pèsent sur l’activité sont d’abord d’ordre externe : la dégradation de l’environnement global depuis le début de l’année (ralentissement de la croissance aux Etats- Unis mais également dans les émergents [Chine, Inde], récession en zone euro) a largement contribué au ralentissement de l’économie domestique essentiellement par le biais du canal commercial.

Bien que la part de l’Europe dans les exportations de produits manufacturés sud-africains ait diminué depuis la crise, passant de 36% en 2007 à un peu moins de 30% en 2011, la zone demeure toujours un partenaire commercial important. La contraction de l’activité pour l’année en cours se répercute négativement sur les exportations qui ont affiché une progression nulle en avril (GA) et sur l’activité manufacturière qui s’est contractée en mars (-2.9% en GA). En outre, bien que l’indice PMI pour le mois de mai reste au-dessus de 50, la tendance à la hausse enregistrée au début de l’année semble s’être renversée. En volume, les exportations ont reculé de 1,4% T/T (ra) et restent encore près de 15% inférieures au niveau enregistré avant-crise (T4-2007).

Du côté de l’offre, la contraction en avril pour le dixième mois consécutif de la production dans le secteur minier (-10,9% en GA) contrainte en partie par l’environnement externe pèse également fortement sur la croissance. Les perspectives à court terme pour le secteur pourraient s’assombrir davantage dans un contexte de baisse des prix internationaux de matières premières liée au ralentissement de l’économie mondiale.

Dans ce contexte, les perspectives de croissance pour l’année en cours demeurent fragiles avec des risques négatifs qui continuent de peser sur celles-ci. L’activité devrait en effet rester fortement contrainte et la croissance du PIB devrait s’établir en-deçà de 3% du PIB pour l’année 2012.

2. Impact des tensions financières externes sur la devise et conséquences macroéconomiques

Depuis le début du mois de mars et jusqu’à début juin, l’Afrique du Sud a enregistré, à l’instar des autres économies émergentes, des sorties de capitaux sous l’effet du retour des tensions financières en Europe poussant de nouveau les investisseurs internationaux à privilégier des actifs moins risqués.

Le retournement des flux d’investissements de portefeuille s’est traduit par une hausse de la volatilité sur le marché actions et une dépréciation de la devise. Le Rand a perdu près de 15% contre dollar entre début mars et début juin, atteignant un plus bas depuis trois ans le 1er juin à 8,60 USD/ZAR. Depuis le début du mois la devise a récupéré une faible partie de ses pertes et fluctue autour de 8,40 USD/ZAR.

Le récent mouvement de la devise, qui se situe à des niveaux plus dépréciés qu’en début d’année, constitue sans doute un facteur de soutien au secteur exportateur, particulièrement le secteur manufacturier qui pourrait bénéficier d’une amélioration de sa compétitivité. De la même manière, elle pourrait permettre aux entreprises dans le secteur minier d’amortir les pertes liées à la baisse des prix internationaux des matières premières en augmentant la valorisation des recettes d’exportations en monnaie nationale. Toutefois, elle est également susceptible d’induire à court-moyen terme des risques négatifs sur la balance commerciale et sur les perspectives d’inflation si elle s’avérait durable et de plus forte ampleur.

D’une part, la dépréciation de la devise conduirait à un renchérissement du prix des importations, notamment de pétrole, dont découlerait une aggravation du déficit commercial, d’autant plus si les prix internationaux de matières premières étaient de nouveau orientés à la hausse. D’autre part, elle ferait peser des risques négatifs sur les perspectives d’inflation en raison de la hausse des prix des biens importés et par le biais d’éventuels effets de second tour à travers la hausse des coûts salariaux notamment.

3. Marges de manœuvre des autorités en matière de politique économique

Pour faire face à un environnement largement dominé par des incertitudes globales et une relative volatilité qui contraint fortement l’activité domestique, les marges de manœuvre des autorités à la fois sur le plan monétaire et budgétaire apparaissent à court terme limitées

#1. Politique monétaire

L’inflation pour le mois de mai a opéré un net ralentissement (+5,7% en GA contre +6,1% en GA en avril, soit le plus bas niveau depuis septembre 2011) en partie lié à la diminution significative de la composante alimentaire (+6,7% en GA en mai contre +9% en GA en avril et un pic de 11.6% en GA en décembre dernier) qui pèse pour 16% du panier. L’inflation semble avoir opéré une inflexion pour venir de nouveau se situer à l’intérieur de la cible de 3%-6% fixée par les autorités.

Toutefois, des sources de pressions à la hausse persistent. D’une part, la progression des prix administrés notamment reste en moyenne largement supérieure à la borne haute de la cible (+11,4% en GA en mai), soutenue notamment par l’augmentation des prix de l’électricité (+17% en GA en mai) et des coûts de l’éducation (+9% en GA). D’autre part, les mouvements de la devise, si celle-ci devait s’affaiblir davantage, viendraient alimenter les tensions par le biais de la hausse des prix des produits importés.

La South Africa Reserve Bank a maintenu depuis septembre 2010 un cadre de politique monétaire accommodant en fixant le principal taux directeur à un plus bas niveau depuis trente ans. Cependant, les autorités monétaires font d’autant plus face dans ce contexte à un arbitrage ténu entre le contrôle des risques inflationnistes et la nécessité d’un ancrage crédible des anticipations dans un environnement global largement dominé par de fortes incertitudes au plan économique et financier qui pèse négativement sur la croissance.

La SARB devrait maintenir des conditions monétaires assouplies d’ici la fin de l’année, avec une probabilité non nulle d’une baisse du principal taux directeur si les perspectives d’activité venaient à se dégrader davantage. Elle devra veiller dans ces conditions aux conséquences induites sur les anticipations d’’inflation si la devise devait être sensible à la baisse des taux. Ces anticipations de hausse à court terme de l’inflation pourraient par ailleurs induire – comme par le passé – de nouvelles hausses de salaires (dont les négociations sont essentiellement basées sur l’inflation passée) et alimenter par des effets de second tour les pressions inflationnistes.

#2. Politique budgétaire

Le gouvernement prévoit une réduction du déficit budgétaire de 4,6% du PIB pour l’exercice 2012/13 à 3% du PIB sur l’exercice 2014/15 en ligne avec une orientation budgétaire contracyclique qui rend cohérent l’objectif de stabilisation du ratio d’endettement et assure la soutenabilité à long terme des finances publiques.

Alors que l’économie sud-africaine se trouve confrontée à d’importants enjeux structurels, au premier rang desquels, des faiblesses sur le marché de l’emploi qui portent le taux de chômage à plus de 25% de la population active, les autorités ont récemment réaffirmé leur volonté d’atteindre une croissance de long terme plus élevée par la réaffectation des dépenses de l’Etat vers des investissements en capital qui s’inscrivent dans un vaste programme de développement des infrastructures en particulier dans le domaine de l’énergie et des transports.

Le secteur des transports bénéficient d’un programme visant à augmenter la capacité d’accueil des ports, à améliorer la capacité de fret (avec un objectif de la doubler d’ici 2020), ainsi que les réseaux routiers et ferroviaires pour un montant de près de 300 milliards de rands (environ 36 milliards de dollar US) sur les trois prochaines années. De la même manière, pour faire face au manque de capacités de production électrique qui pénalise l’activité du secteur manufacturier, le gouvernement a mis en place un programme de construction et remise en fonction de centrales thermiques et nucléaires pour un montant de plus de 500 milliards de rands (environ 63 milliards de dollar US) d’ici 2016.

Toutefois, des risques négatifs pourraient peser sur les finances publiques à court- moyen terme et par suite sur la réalisation des programmes d’extension des infrastructures engagées. D’une part, le ralentissement de la croissance et la dégradation des perspectives pourraient peser davantage qu’anticipé sur les recettes budgétaires planifiées par les autorités pour le budget 2012/13 et, si ce n’est remettre en cause, pour le moins reporter les objectifs de consolidation budgétaire entamée dès l’exercice 2010/11. D’autre part, la prévision dans le budget d’une augmentation des salaires dans la fonction publique de 5% cette année avec un objectif de hausse moyenne de 1% sur les exercices 2011/12 – 2014/15 (comparé à la hausse de 9,4% en moyenne sur les exercices 2007/08 – 2010/11) ne semble pas avoir été respectée. Malgré la volonté des autorités de diminuer les dépenses récurrentes liées notamment à la rémunération des salariés, celles-ci coûteront 8.1 milliards de rands supplémentaires par rapport à celles initialement programmées dans le budget. Ces contraintes pourraient à plus long terme être de nature à altérer la capacité des autorités à poursuivre les efforts nécessaires à la mise en place de programmes structurels destinés à hausser le potentiel de croissance de l’économie.

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