par Isabelle Job, économiste au Crédit Agricole
• Deux grands thèmes vont rythmer l’actualité de cet été. D’abord, la crise en zone euro peut certes s’offrir un répit estival (avec la progressive mise en œuvre des décisions prises lors du sommet européen de fin juin), mais n’est pas résolue pour autant, avec des interrogations rémanentes sur la capacité des officiels européens à s’entendre pour aller vers plus d’intégration et ainsi parachever l’union.
• Les marchés vont rester attentifs en zone euro aux liens d’interdépendance entre les risques souverains, bancaires et économiques avec des enchaînements qui peuvent devenir davantage vertueux ou au contraire dégénérer en une spirale délétère nécessitant des réponses politiques musclées.
• Ensuite, un nouveau risque semble poindre avec une reprise américaine qui titube dans un contexte où les marges de manœuvre politiques, pour soutenir l’édifice de croissance, semblent progressivement s’épuiser, avec en particulier une impasse budgétaire à résoudre.
• Ce risque de retour en récession aux États-Unis sera jaugé à l’aune des enquêtes et des indicateurs conjoncturels qui vont s’égrener tout au long de l’été. Une accumulation de signaux négatifs ne manquerait pas non plus de ranimer les craintes sur la soutenabilité des finances publiques américaines en pleine période préélectorale.
• La perception que vont se faire les marchés de ces fragilités est susceptible de faire basculer notre scénario de reprise en pente douce, fait d’un équilibre subtil entre ajustement et croissance, en une alternative moins favorable et donc plus instable.
• Heureusement, les Banques centrales restent en alerte et se disent prêtes à agir pour soutenir l’activité et afin d’éviter qu’un éventuel mouvement de panique et de défiance mette en danger l’intégrité du système financier.
Depuis le déclenchement de la crise d’origine subprime en août 2007, les étés ont souvent été le théâtre de spasmes financiers. Tout se passe comme si à l’heure du bilan, les marchés réalisaient combien la crise et ses ramifications ont rendu obsolètes les palpeurs cycliques traditionnels et que les cicatrices laissées sont profondes, avec un régime de croissance globale encore en pleine mutation. De surcroît, puisque dans cette crise de surendettement, il s’agit de purger des stocks, le facteur temps apparaît essentiel, mais bien trop éloigné de l’horizon temporel des marchés ; d’où des frictions sporadiques souvent amplifiées en période estivale, compte tenu des faibles volumes d’échange.
Il est à espérer que l’été 2012 déroge à la règle et se montre plus clément que les années précédentes. Il est vrai que le dernier sommet européen des 28 et 29 juin et ses quelques avancées décisives sur le front de la crise des dettes souveraines ouvre la voie à une période de relative accalmie. Mais la confiance, un des principaux carburants des marchés, conserve beaucoup de son mystère avec des mouvements de bascule dont les déclencheurs restent souvent énigmatiques et imprévisibles. On peut toutefois tenter de décrypter les quelques temps forts de l’été susceptibles d’agir sur l’humeur des intervenants de marchés avec deux grand thèmes en filigrane : l’évolution de la crise en zone euro (encore et toujours) et l’ampleur du ralentissement qui se dessine depuis quelques mois aux États-Unis.
Les déficits à la loupe
La résolution de la crise en zone euro reposant en partie sur le succès des programmes d’ajustement en cours, les marchés vont continuer à suivre au mois le mois l’évolution des déficits budgétaires des pays de la zone euro, afin de mesurer les progrès accomplis ou les éventuels dérapages dans l’exécution des budgets.
À l’heure actuelle, comme nous l’indiquions la semaine passée (cf. ECO Focus finances publiques Tome II), la Grèce, le Portugal et l’Espagne sont en retard par rapport à leurs objectifs de réduction de déficits publics, tandis que la France ou l’Italie n’ont pas sécurisé, au cours des premiers mois de l’année, une avance suffisante pour garantir le respect des engagements officiels (à respectivement 4,5% et 2% de déficit en 2012).
L’Irlande, en revanche, serait parfaitement dans les cordes et même susceptible de dépasser son objectif annuel. Les statistiques de budget mensuel, qui vont s’égrener tout au long de l’été, seront donc scrutées à la loupe et pourraient créer des remous sur les marchés, ou à l’inverse les rassurer, si les écarts aux cibles se creusent davantage ou, au contraire, se résorbent. Selon nous, l’Italie et surtout le Portugal sont de ce point de vue les pays les plus à risque avec des cibles budgétaires trop ambitieuses et donc difficilement accessibles, étant donné le contexte récessif actuel.
Sans oublier la croissance
D’ailleurs, le thème de la croissance va être très présent dans les esprits, les marchés étant désormais convaincus (à raison mais non sans une dose de schizophrénie, puisqu’ils demandent en même temps que la cure d’austérité soit dûment respectée) que sans elle il sera impossible de viabiliser les trajectoires d’endettement. Les chiffres d’activité du deuxième trimestre à paraître en zone euro mi-août vont ainsi retenir l’attention. Il s’agit cependant d’une histoire ancienne, les enquêtes de confiance et les données dures d’activité, lesquelles paraissent sur une base mensuelle, ayant déjà permis de se faire une idée de l’évolution de la croissance au cours des trois derniers mois. C’est donc l’effet surprise dans un sens ou dans l’autre qui serait susceptible de faire bouger les marchés.
Selon nos propres projections, le PIB de la zone euro devrait reculer de 0,2% en séquence trimestrielle, avec un écart persistant entre les pays du Centre, qui devraient faire du quasi sur-place (Allemagne ; +0,1%, France ; -0,1%) et ceux du Sud, qui s’enfoncent en récession (Italie et Espagne ; -0,7% et Portugal ; -0,9%). Mais l’avenir comptant plus que le passé, les investisseurs vont surtout traquer les moindres signaux d’amélioration ou de dégradation conjoncturelle fournis par les données d’enquêtes, notamment les PMI (parutions le 24 Juillet et la semaine du 20 août), qui ont une vision plus prospective. Ces enquêtes ayant péché par excès de pessimisme dans un environnement de crise très anxiogène, on peut espérer un rebond une fois le stress évacué même si dans tous les cas la reprise économique s’annonce laborieuse, bridée par l’austérité budgétaire.
Par ailleurs, alors que la zone euro est restée jusqu’à présent au centre des préoccupations, le curseur pourrait bien se déplacer dans les prochaines semaines vers les États-Unis. Les données récentes pointent en direction d’un affaiblissement de l’activité. Une accélération de cette tendance ne manquerait pas de ranimer les craintes d’un retour en récession avec des marchés qui pourraient en outre s’inquiéter de l’impasse budgétaire dans laquelle se trouve le pays avec la nécessité de remettre rapidement les finances publiques sur une trajectoire soutenable (plus de 8% de déficit en 2011 et une dette supérieure à 100% du PIB). Rajoutez-y une dose d’incertitude politique avec les élections présidentielles de l’automne et vous avez un cocktail susceptible d’ébranler la confiance des investisseurs.
Des Banques centrales en veille… active
Le flot de données conjoncturelles va donner du grain à moudre aux Banques centrales, avec une Fed qui pourrait rapidement rentrer en action si l’inflexion cyclique se confirme. Les discours s’adoucissent déjà et la décision de rajouter du stimulus pourrait être prise dès la rentrée, avec une nouvelle politique d’assouplissement quantitatif (QE3) centrée sur des achats de titres privés, notamment ceux adossés à des actifs immobiliers (RMBS). De son côté, la BCE devrait être particulièrement attentive aux résultats des enquêtes menées auprès des banques commerciales (Bank Lending Survey à paraître le 25 juillet) lesquelles devraient servir de base de travail pour sa réunion du 2 août. Toute inflexion de tendance en matière de distribution de crédit pourrait l’amener à assouplir son discours, préparant ainsi le terrain à de nouvelles mesures sur la liquidité bancaire (LTRO) en sus d’une nouvelle baisse de taux.
On suivra également le calendrier de mise en œuvre du nouveau rôle assigné à la BCE en tant que superviseur bancaire à l’échelle européenne. Le traitement de la crise bancaire espagnole reste le sujet du moment, sachant qu’on est dans l’attente des détails de ce plan sauvetage qui devrait donner lieu au déblocage fin juillet de la première tranche d’aide de 30 Mds €. Mais c’est surtout le degré d’implication éventuelle des créanciers seniors qui risque d’agiter la communauté financière. Le revirement récent de la BCE qui entrouvre la porte à un partage plus équitable du fardeau des restructurations bancaires entre contribuables et créanciers privés est de nature à entamer la confiance des investisseurs, avec en corollaire un assèchement des financements privés, en direction d’un secteur déjà mis à mal par cinq années de crise.
La Grèce devrait revenir sur le devant de la scène courant août avec le compte rendu de la mission de la Troïka sur l’état d’avancement du programme d’ajustement. Des dérapages seront immanquablement constatés, nécessitant de nouveaux efforts pour remettre le programme sur les rails. Des risques de rupture existent avec, d’un côté, des interrogations sur la capacité d’acceptation du corps social grec, dans un environnement économique dépressif et, de l’autre, sur le degré de bienveillance des créanciers officiels avec une perfusion financière qui ne peut s’opérer sans conditions (sachant que la Grèce doit faire face à une tombée d’échéance obligataire de plus de 3 Mds € le 20 août).
L’été ne s’annonce finalement pas de tout repos avec des zones de fragilités et des risques en embuscade qui sont susceptibles à tout instant de faire basculer notre scénario de reprise en pente douce, fait d’un équilibre subtil entre ajustement et croissance, en une alternative moins favorable et donc plus instable qui nécessiterait dans l’urgence des réponses politiques musclées.