Zone euro : et demain, quelle dynamique ?

par Philippe Waechter, Directeur de la recherche économique de Natixis AM

De nombreuses questions persistent sur la dynamique de la zone euro, notamment sur le rôle tenu par l'Allemagne. Au-delà de sa puissance économique connue de longue date, la trajectoire de l'Allemagne au sein de l'Europe semble adopter un profil atypique comparativement aux autres pays de la zone. Pour bien en comprendre les fondements et les enjeux, il faut revenir sur la façon dont s'est façonnée cette zone monétaire.

Retour sur les prémisses de la zone euro

En regardant la situation européenne, on observe une dynamique de demande robuste dans de nombreux pays et très contrainte en Allemagne. Le point de départ est double :

  • L'ajustement mis en œuvre par le gouvernement Schroëder sur le marché du travail avec les lois Hartz s’est traduit par une recrudescence du travail à temps partiel et des pressions assez fortes pour en réduire le coût. La demande interne s’est effondrée car le revenu disponible des ménages ne progressait alors que très lentement : + 0,7 % l’an.
  • L'adhésion à la zone euro a permis à un grand nombre de pays d'accéder à des financements meilleurs marchés. En effet, avec la mise en place de la monnaie unique, les primes de risque se sont réduites rapidement. La baisse des taux nominaux s'est opérée alors que le taux d'inflation restait plutôt élevé, tirant ainsi les taux d'intérêt réels en territoire négatif. Cela a favorisé la demande interne avec une dynamique de coûts du travail plus flexible qu'en Allemagne.

Cette situation s'est traduite par un changement majeur des relations commerciales bilatérales.

  • Les pays bénéficiant d'une demande interne plus robuste que celle de l'Allemagne ont vu leur solde commercial bilatéral se dégrader.
  • Le différentiel de coûts permet à l'Allemagne de dégager des marges importantes et donc de bénéficier d'une situation confortable de rente.

Ceci a été d'autant plus favorable à l'économie allemande qu'elle s'est déployée dans de nombreux pays d'Europe centrale où elle a pu exporter son modèle industriel. Cette configuration a modifié les rapports entre les pays de la zone euro.

L’émergence de fortes divergences

Au moment de la crise de 2008, l'ajustement de l'économie allemande s’est fait principalement sur les exportations et très peu sur le marché intérieur.

Contrairement à ce qui a été observé dans les autres pays industrialisés, la consommation n'a quasiment pas baissé lors de la récession. Cela est également le fruit de l’accord sur le travail à temps partiel entre l'État allemand et le patronat qui s'est soldé par une prise en charge par l'État et par le recul des inquiétudes et incertitudes des salariés.

  • En d'autres termes, l’Allemagne a été affectée par ses relations avec le reste du monde sans que sa dynamique interne n'ait été touchée significativement.
  • Dans un premier temps, ses exportations ont chuté de façon spectaculaire à l'automne 2008, mais sa reprise s'est appuyée sur le regain de dynamisme du commerce mondial tiré par la reprise des émergents.

Pour les autres pays de la zone euro, l'ajustement s'est fait via la demande interne et s’est accompagné d’une chute profonde de la consommation et de l'investissement.

  • La structure de leur économie était telle que lorsque le commerce mondial a repris sa marche en avant, ces pays n'en ont pas réellement bénéficié car leur marché intérieur, élément clé de leur processus de croissance, était alors en phase de profond ajustement.
  • Ce phénomène fut d’autant plus marqué pour les pays dont la croissance avait été tirée par des excès immobiliers. Il leur fallait, tout à la fois, arriver à gérer le net recul de leur demande interne liée au choc d'incertitude consécutif à la faillite de Lehman Brother et s'adapter à une configuration nouvelle qui n’était plus soutenue par le dynamisme passé de l'immobilier.

Quels ajustements dans une Europe “polarisée” ?

Une des caractéristiques de la crise a été de faire apparaître des dynamiques divergentes au sein de la zone euro.

Jusqu'en 2007, les profils cycliques étaient convergents. Chacun de ces pays était certes différent mais évoluait selon une dynamique commune. Les déséquilibres, tels que les coûts salariaux mais aussi ceux de compte courant, n'étaient pas perçus comme préoccupants à moyen terme puisque reflétant la mise en œuvre d'une zone monétaire avec des arbitrages nécessaires de court terme.

La crise a modifié ce schéma. Les positions ont eu tendance à se polariser car les attentes n'étaient pas du même ordre :

  • Depuis le début, l’Allemagne est en attente de signaux du commerce mondial pour améliorer sa dynamique de croissance. Néanmoins, les échanges de l'Allemagne avec la zone euro représentent plus de 40 % de ses exportations et celles avec l'union européenne plus de 60 %. Il existe donc une certaine dépendance de la conjoncture allemande à la situation européenne.
  • Pour la plupart des autres pays de la zone, les ajustements doivent être opérés via la gestion de la demande domestique. Cela s’accompagne généralement d’une hausse significative du chômage. Le commerce extérieur reste, un facteur de stabilisation de la conjoncture et non une source d'impulsion comme pour l'Allemagne. Ce phénomène est accentué pour les pays dont l’endettement privé était fort, et qui sont contraints par une politique budgétaire restrictive. Chaque acteur de l’économie adopte un comportement restrictif pour stabiliser sa dette, ce qui accentue le risque de récession. L’Allemagne n’a pas du tout cette problématique.

Vers une dynamique plus fédérale ?

Ces divergences entre pays de la zone euro posent un vrai problème de régulation :

  • D’abord parce que le rapport de force est différent : les dépendances ne sont plus les mêmes que par le passé et l'Allemagne conserve un avantage comparatif important sur ce point.
  • Ensuite, mettre en œuvre des politiques d'austérité revient à accentuer ces divergences puisque de telles politiques affecteront nécessairement la demande interne qui constitue le socle de la dynamique de l'économie de la plupart des pays de la zone.

Cette situation souligne une absence de processus structurant au sein de la zone euro et qui aurait pour objectif de rééquilibrer les situations entre les pays afin d’éviter que les déséquilibres actuellement observés ne se creusent davantage.

Le passage à une dynamique plus fédérale permettrait de franchir la dernière étape vers plus d’équilibre et une meilleure articulation au sein de la zone.