Europe : une rentrée en point d’interrogation

par Isabelle Job, économiste au Crédit Agricole

• Les déclarations de Mario Draghi le 26 juillet, indiquant que la BCE était prête à prendre toutes les mesures nécessaires pour sauvegarder l’intégrité de la zone euro, ont marqué le tournant de l’été en créant un électrochoc salutaire sur la confiance. Le rallye boursier estival s’est nourri de ces espoirs d’intervention.

• Les propos du patron de la BCE ont sans doute permis d’évacuer le scénario du pire d’un éclatement pur et simple de la zone euro. La BCE n’est néanmoins pas omnipotente et ne peut résoudre, à elle seule, la crise de la dette dont le traitement nécessite du temps, des efforts de rigueur et des réformes, de la solidarité financière et surtout de la croissance.

• Mais, à vouloir donner des gages d’ajustements trop rapides, les pays en cure s’enferment dans un équilibre fondamentalement instable d’asphyxie conjointe de la croissance et des finances publiques.

• Une inflexion de stratégie paraît aujourd’hui perceptible avec des officiels européens plus enclins à accorder des délais quitte à dépenser un peu plus. L’Espagne, le Portugal ou la Grèce vont sans doute avoir besoin d’un sursis et d’une aide bienveillante de la BCE pour s’extraire de récession, une condition nécessaire pour espérer viabiliser à terme leur trajectoire d’endettement.

Début juillet, les difficultés financières de l’Espagne et les signaux inquiétants de ralentissement de l’économie mondiale ont alimenté un sentiment de défiance à l’égard de la zone euro, au point de craindre une répétition du scénario catastrophe de l’été 2011. Le 26 juillet a marqué le tournant de l’été lorsque Mario Draghi1 a déclaré, devant un parterre d’investisseurs londoniens, que la BCE, dans les limites de son mandat, était prête à prendre toutes les mesures nécessaires pour sauvegarder l’intégrité de la zone euro.

Cette petite phrase a fait l’effet d’un électrochoc sur les marchés même si le patron de la BCE n’a pas délivré la promesse attendue lors de la réunion de politique monétaire du 2 août, en optant pour un statu quo sur toute la ligne. Tout en repoussant à la rentrée la prise de décision, la BCE a néanmoins esquissé les contours de son action avec une réactivation, selon des modalités à définir, de son programme de rachat d’actifs (SMP), mais conditionnelle à une demande d’assistance des pays en difficulté (Espagne en tête) et en complément de l’aide apportée par le fonds de sauvetage européen (FESF) qui pourrait notamment intervenir sur les marchés primaires. Par ailleurs, les voix discordantes des officiels européens, qui ont trop souvent instillé le doute sur la capacité de l’Union à se coordonner pour agir, se sont tues pendant l’été ce qui a sans doute permis à cet effet d’annonce de jouer à plein.

A partir de ce moment, et comme souvent sur le marché, un mouvement cumulatif de hausse s’est enclenché avec une succession d’investisseurs qui sur la base de ses espoirs, ont cherché à prendre part au rallye en cours, ce qui l’a nourri. Les indices boursiers européens ont progressé de près de 15% en l’espace d’un mois, tiré par les valeurs bancaires (+30%), les primes de risque sur les souverains fragiles se sont détendues (baisse d’environ 80 pdb pour l’Espagne et l’Italie) et l’euro a regagné du terrain face au dollar.

Mais ne nous y trompons pas, les propos rassurants de Mario Draghi ont surtout permis d’évacuer le scénario du pire d’un éclatement pur et simple de la zone euro. La BCE n’est pas omnipotente et ne peut résoudre, à elle seule, la crise de la dette dont le traitement nécessite du temps, des efforts de rigueur et des réformes, de la solidarité financière et surtout de la croissance. Or, à ce jour, les fondamentaux économiques restent éminemment fragiles avec une reprise qui tarde à se matérialiser, bridée par des effets de boucles entre récession et austérité budgétaire.

D’ailleurs, l’optimisme, qui a régné courant août sur les places financières, a laissé place, ces derniers jours, à de l’attentisme.

Une croissance européenne en suspension

Les chiffres de croissance qui se sont égrenés ces dernières semaines attestent d’une conjoncture morose entre avril et juin et les données d’enquêtes plus prospectives ne donnent pas de signaux clairs d’amélioration.

Conformément à nos propres projections, le PIB de la zone euro a reculé de 0,2% en séquence trimestrielle, avec un écart persistant entre les pays du Centre, qui ont fait du quasi sur-place (Allemagne : +0,3%, France : 0,0%) et ceux du Sud, qui s’enfoncent en récession (Espagne : -0,4%, Italie : -0,7% et Portugal : -1,2%).

Les données d’enquêtes ne prêtent guère à l’optimisme avec des indicateurs de confiance qui au mieux se stabilisent à de bas niveaux laissant augurer un nouveau recul de l’activité au troisième trimestre. Cet environnement récessif complique la tâche des gouvernements des pays en cure, lesquels ont les plus grandes difficultés à se conformer aux cibles budgétaires inscrites dans les Programmes de stabilité et de croissance (PSC) ou négociées avec la Troïka. En dépit d’importants efforts de consolidation, le manque à gagner en termes de recettes fiscales et le renchérissement du coût des dettes rendent pratiquement inaccessibles les objectifs ambitieux de réduction des déficits, sauf à durcir les mesures d’austérité au risque de plonger les économies dans une spirale dépressive.

La persistance d’un tel cercle vicieux ne manquerait pas de raviver les craintes sur la viabilité de trajectoires d’endettement public, sources de tensions sur les marchés que la BCE pourrait avoir du mal à endiguer sauf à imaginer des interventions massives, à ce stade peu probables.

Tout en cherchant à maintenir la pression sur les pays endettés de la zone, les officiels européens semblent progressivement infléchir leur position laissant la porte entrouverte à un possible lissage des ajustements budgétaires dans le temps afin de les rendre plus supportables (et donc réalisables) pour les pays ayant fait preuve de bonne volonté. Cette inflexion perceptible de stratégie devrait devenir une réalité plus tangible dans les semaines et mois à venir avec de plausibles renégociations, au cas par cas, des programmes d’ajustement négociés avec la Troïka.

L’Espagne, la Grèce, le Portugal : les grands rendez-vous de rentrée

Le mois de septembre s’annonce riche en rendez-vous cruciaux pour la zone euro. L’Espagne reste au cœur des préoccupations. Le processus de restructuration du secteur bancaire se fait à marche forcée en échange d’une aide financière apportée par l’Europe (pouvant aller jusqu’à EUR 100 mds pour des besoins estimés, à ce stade, autour de EUR 60 mds). Circonscrire la crise bancaire est essentiel afin d’éviter un ajustement trop brutal des bilans fait de cessions forcées d’actifs et de resserrement violent de l’offre de prêts aux effets très dommageables sur la croissance.

Mais cantonner le risque bancaire ne va sans doute pas suffire à apaiser toutes les craintes sur l’Espagne, un pays en panne de croissance et aux équilibres budgétaires fragiles. La stratégie actuelle d’assainissement rapide des comptes publics pour réduire déficit et dette et de baisse des salaires pour regagner en compétitivité, sans compter les effets déprimants de la purge immobilière, a plongé l’économie espagnole dans une récession profonde qui inhibe en retour les efforts d’ajustement selon un schéma auto- entretenu de spirale délétère. Le risque souverain, qui était jusqu’à présent très lié au risque de « socialisation » des pertes bancaires suite à l’éclatement de la bulle immobilière et de crédit,2 pâtit davantage aujourd’hui de la faiblesse des fondamentaux économiques. Partant d’une situation saine et enviable avant crise, les finances publiques espagnoles ont connu une détérioration rapide et de grande ampleur. Le ratio de dette a augmenté de 8 points de PIB en moyenne par an depuis 2005 pour atteindre 68,5% du PIB fin 2011, et le déficit à 8,9% du PIB l’année dernière continue d’alimenter le stock.

L’Espagne doit faire face à de lourdes tombées d’échéances obligataires au cours des prochains mois (notamment en octobre) sachant que les taux de marché restent à des niveaux élevés et volatils (3,5% à 2 ans et 6,3% 10 ans). En cas de regain tensions et pour bénéficier du pare-feu BCE, le gouvernement espagnol pourrait se résoudre à faire appel à l’aide de l’UE, l’obligeant alors à se soumettre à un programme d’ajustement, un revers pour le gouvernement Rajoy qui a toujours déclaré vouloir sauvegarder la pleine souveraineté de l’Espagne.

Le Portugal arrive en embuscade. Salué à plusieurs reprises par la Troïka pour les efforts accomplis, le pays se heurte désormais à de sérieuses difficultés pour se conformer à ses objectifs budgétaires, avec l’émergence d’une trappe à austérité lorsque rigueur et récession s’auto-entretiennent. Un retour sur les marchés l’année prochaine, une hypothèse inscrite dans le bouclage financier programmé pour 2013, paraît à ce stade improbable. L’Europe devra donc rapidement se prononcer, à la fois, sur le calendrier d’ajustement et sur la nécessité d’une nouvelle rallonge financière.

Enfin, la Grèce qui a également demandé un sursis attend début octobre le verdict de la Troïka sur l’état d’avancement de son programme d’ajustement. Des risques de rupture existent avec d’un côté des interrogations sur la capacité d’acceptation du corps social grec dans un environnement économique dépressif et de l’autre sur le degré de bienveillance des créanciers officiels avec une perfusion financière qui ne peut s’opérer sans conditions, le tout conditionnant le maintien ou non de la Grèce au sein de la zone euro.

L’urgence dans tous les cas est de remettre en ordre de marche les économies européennes en panne de croissance. Sinon, il sera impossible de viabiliser les trajectoires d’endettement avec des économies enfermées dans un équilibre fondamentalement instable d’asphyxie conjointe de la croissance et des finances publiques.

L’Europe est donc attendue de pied ferme sur les trois dossiers chauds de la rentrée mais c’est surtout la BCE qui, en suscitant de fortes attentes, s’est mise dans l’obligation de délivrer.

BCE : des paroles aux actes

Pour stabiliser les anticipations, les attentes nourries par la BCE doivent trouver une concrétisation. On sait combien la question de la réactivation du programme de rachat de dette reste sensible avec de vifs débats au sein même du conseil des gouverneurs.

Il y a d’un côté, les tenants d’une thérapie d’urgence pour aider à restaurer le canal de transmission de la politique monétaire et assouplir les conditions de financement des pays en cure. Il s’agit aussi de barrer la route à la contagion en dissuadant les marchés de parier contre la faillite des Etats face à un « prêteur en dernier ressort » aux poches profondes.

Le camp adverse s’oppose à toute forme de monétisation des déficits publics (aussi indirecte soit-elle) alertant sur les risques associés à une telle mise sous perfusion des Etats et des marchés, avec pour leitmotiv, le triptyque inflation, perte d’indépendance, aléa moral. Le 6septembre, la BCE a rendez-vous avec les marchés. Le risque est que la réponse ne soit pas à la hauteur des espérances. A moins que la BCE ne cherche à temporiser en attendant la décision de la cour constitutionnelle allemande qui doit se prononcer le 12 septembre sur la conformité du Mécanisme européen de stabilisation (MES), le fonds de sauvetage qui doit succéder au FESF. La sanction des marchés sera à la hauteur de sa déception.

Le parcours de rentrée est donc semé d’embûches avec des marchés qui pourraient se montrer à nouveau fébriles dans l’attente de ces échéances cruciales.

NOTES

  1.  "Within our mandate, the ECB is ready to do whatever it takes to preserve the euro. And believe me, it will be enough."
  2. Une menace aujourd’hui moins présente compte tenu de la décision de l’Europe de fournir une aide aux banques espagnoles sans transiter, à terme, par le budget de l’Etat (moyennant la mise en place d’un superviseur bancaire unique à l’échelle européenne).

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