Chaud-froid d’été

par Jean-Luc Proutat, économiste chez BNP Paribas

Attentisme, volatilité, faibles volumes de transactions : sur les marchés, les mois d’été n’ont pas toujours bonne réputation. A Paris comme sur la plupart des places financières, ils sont le plus souvent associés à une baisse du prix des actions1. Mais pas cette fois. Entre début juillet et fin août, l’indice CAC 40 a gagné près de 7%, le Dax près de 10%2.

Sur le compartiment de la dette, privée comme publique, le regain d’appétit pour le risque s’est traduit par une compression des « spreads ». Bien qu’en rebond ces derniers jours, celui de la France est tombé à 69 points de base en moyenne au mois d’août3 son plus bas niveau depuis un an. L’Italie et l’Espagne ont elles-mêmes vu leur prime de financement reculer. Les taux d’intérêt de leurs emprunts à deux ans ont quitté la zone critique de 5% à 6% pour se rapprocher de celle, plus acceptable, de 2,75% à 3,25%.

La conjoncture souffle le froid…

D’où vient l’embellie ? Pas du terrain économique, où la situation dépeinte par les indices de conjoncture est celle d’une récession qui s’installe en Europe et d’un ralentissement qui se prolonge aux Etats-Unis. L’industrie allemande, notamment, n’a pas connu un bon été : chute de l’indice des directeurs d’achats en juillet, partiellement rattrapée en août mais positionnant toujours l’activité en zone de contraction ; recul des anticipations des chefs d’entreprise, généralement associé à celui des commandes.

La France a enregistré, à peu de chose près, les mêmes évolutions, la chute des immatriculations automobiles en plus, si bien que les deux principales économies de la zone euro auront peu de chance d’échapper au trou d’air. Au troisième trimestre, leur PIB devrait se contracter légèrement, un passage en territoire négatif déjà opéré par près de la moitié des pays de la zone euro. L’Italie et l’Espagne, notamment, sont en récession depuis près de douze mois. Et si leurs indices de conjoncture ont cessé de plonger, ils sont loin d’indiquer la croissance.

L’économie américaine se contente, pour l’heure, de ralentir. Encore proche de 3% au sortir de 20114, sa croissance est tombée à 1,5% en rythme annualisé au deuxième trimestre 2012. C’est mieux qu’en Europe, mais pas assez pour faire baisser le chômage. A près de treize millions d’Américains ou 8,3% de la population active en juillet, celui-ci reste élevé, surtout si l’on considère que l’activité a récupéré son point haut d’avant la crise (le PIB en volume dépasse de 2,8% son niveau moyen de 2007). Point faible du bilan de la présidence Obama, la situation du marché du travail servira d’arbitre dans la course aux élections présidentielles du 6 novembre. Or il y a peu de chance qu’elle évolue d’ici là. Sans être catastrophique, la conjoncture est restée maussade à l’approche de l’automne : après avoir décroché en juin, les différents indices de climat des affaires dans le secteur manufacturier (ISM, Philly Fed, Empire manufacturing index…) ne se sont pas véritablement redressés en juillet et août. La tendance économique au troisième trimestre s’inscrit donc sur celle, plutôt atone, des mois précédents. A en juger par l’évolution des commandes, c’est l’investissement des entreprises qui marque le pas, non pas que celles-ci manquent de moyens (leurs marges opérationnelles restent historiquement élevées), mais de perspectives.

… la BCE le chaud

Si les investisseurs se montrent finalement moins frileux, ce n’est pas tant en raison de la conjoncture que parce qu’ils anticipent un tournant dans la gestion de la crise européenne. D’abord hésitante, l’embellie des marchés a salué le projet d’union bancaire mis sur pieds le 29 juin par les chefs d’Etat et de gouvernement. Elle s’est poursuivie après que le président de la BCE, Mario Draghi, ait indiqué que l’institution qu’il dirige fera « tout ce qu’il faut » pour préserver l’euro, propos immédiatement interprétés comme un signal d’achat de dette des Etats en difficulté.

Les attentes sont fortes, mais les détails manquent, la réunion du Conseil des gouverneurs du 6 septembre devant être l’occasion d’éclaircir certains points. On ne sait pas, notamment, si les montants ou la période d’achats seront communiqués à l’avance, comme à l’occasion des quantitative easing lancés par la Fed. Il nous parait toutefois probable que la BCE fournira un calendrier, ne serait-ce que pour souligner le caractère temporaire des opérations qu’elle engage. On ne sait pas non plus si la BCE fixera d’objectif formel en matière de spreads ou de taux d’intérêt, notre point de vue étant que celle-ci cherchera plutôt à se ménager des marges de manœuvre. S’engager sur un objectif de taux pose notamment un problème de hasard moral, les Etats sûrs de leur coût de financement étant moins incités à réduire leur déficit.

D’ailleurs, et à la différence de ceux pratiqués dans le cadre du Programme pour les marchés de titres, les achats de la BCE auront un caractère conditionnels : ils n’interviendront qu’à la demande des Etats et après que ces derniers aient signé un mémorandum d’accord les engageant notamment au respect des objectifs de réduction de leurs déséquilibres macroéconomiques. Ils s’opéreront sur le marché secondaire, en complément des interventions du FESF ou du MES qui, eux, se positionneraient à l’achat dès l’émission. Pour rester autant que faire se peut dans le cadre de son mandat, la BCE n’interviendra que sur des maturités assez courtes, sans doute limitées à trois ans, soit la durée maximale des prêts qu’elle a consenti jusqu’ici.

NOTES

  1. Dans six cas sur dix, l’indice CAC 40 baisse au mois d’août, ce qui est l’inverse de la statistique normale.
  2. +6,8% du 30 juin au 28 aôut 2012.
  3. Ecart de rendement à 10 ans OAT – Bund..
  4. La croissance américaine s’est établie à 2,8% en rythme semetriel annualisé sur la prériode de six mois allant d’octbre 2011 à mars 2012

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