France : phase de ralentissement durable

par Olivier Eluère et Werner Perdrizet, économistes au Crédit Agricole

A l’instar de l’évolution passée de l’activité, les perspectives n’apparaissent guère réjouissantes et la croissance française devrait rester durablement au ralenti. La France a enregistré trois trimestres consécutifs de croissance nulle et la fin d’année s’annonce laborieuse. En 2012, la croissance devrait au mieux atteindre 0,2% en moyenne annuelle et resterait faible l’année suivante, les facteurs de soutien se faisant rares…

L’atonie de l’économie française a été confirmée au deuxième trimestre 2012, avec un troisième trimestre consécutif de stabilité du PIB (+0% t/t). Une fois encore, ce résultat s’explique par le manque de dynamisme de la demande intérieure et une contribution négative du commerce extérieur. La consommation privée n’a pas créé de surprise, puisqu’elle était attendue en baisse, les ménages ayant réduit leurs achats en biens manufacturés, mais aussi en services. À l’inverse, l’investissement des entreprises s’est nettement redressé ; mais a bénéficié de facteurs temporaires, en particulier un rattrapage dans le secteur des travaux publics ralenti au premier trimestre par des conditions climatiques difficiles. L’apport négatif du commerce s’est, quant à lui, aggravé (-0,4 ppt de contribution au deuxième, contre -0,2 ppt au premier trimestre), sous l’effet d’une forte accélération des importations et d’un freinage des exportations (aggravation de la situation conjoncturelle en zone euro et repli des ventes hors de l’Union européenne).

Au cours des prochains trimestres, ces mêmes facteurs devraient contraindre l’économie française à évoluer dans une phase de ralentissement durable, avec des rythmes de croissance trimestriels très faibles. Sous l’effet d’une activité dégradée et d’une situation financière difficile, les entreprises devraient continuer à faire preuve d’attentisme et limiter leurs dépenses d’investissement. Elles sont confrontées à des marges très faibles (le taux de marge est à 28,1 au deuxième trimestre 2012, il faut remonter à 1985 pour trouver un niveau équivalent) qui ne devraient pas s’améliorer substantiellement en 2013. Leurs profits devraient, par ailleurs, pâtir de la hausse de la pression fiscale consécutive aux nouvelles mesures destinées à redresser les comptes publics.

Néanmoins, ces mesures de l’ordre de 10 milliards € concerneraient davantage les grandes entreprises, ce qui limiterait l’impact sur l’investissement. Ce dernier progresserait très faiblement en 2013 (+0,4%), après un léger recul en 2012 (-0,5%), soutenu par des besoins de renouvellement et de modernisation. Ce profil assez plat masque un net ajustement au troisième trimestre (-1,9% t/t anticipé). L’enquête Insee sur l’investissement des industriels et l’enquête mensuelle dans les services pointent vers une forte baisse de l’investissement sur ce trimestre. Par ailleurs, les entreprises mettraient fin en 2013 au net déstockage effectué en 2012, ce qui soutiendrait quelque peu la croissance (+0,2 ppt de contribution, après -0,5 ppt). Les entreprises disposeraient de stocks très inférieurs à leur niveau d’avant la crise de 2008-2009.

Tout comme les entreprises, les ménages devraient limiter leurs dépenses dans un contexte de détérioration du marché du travail et de remontée du chômage. La consommation accélèrerait faiblement en 2013, soutenue par la légère progression du pouvoir d’achat après un recul en 2012 (+0,1%, après -0,3%), mais resterait très molle (+0,5, après +0,1% en 2012). La légère accélération de la masse salariale liée à l’arrêt du recul de l’emploi soutiendrait les revenus d’activité des ménages. En effet, si l’emploi privé continuait à reculer en 2013 (-0,3%, après -0,2%), l’emploi public progresserait nettement (+1,1%, après +0,2% en 2012) sous l’effet des mesures de soutien public à l’emploi, en particulier la création des emplois d’avenir (100 000 prévus en 2013). Au final, l’emploi total progresserait très modestement en 2013 (+0,1 %), après un léger recul en 2012 (-0,1%).

Le revenu disponible des ménages accélèrerait (de +1,7% en 2012 à +1,8% en 2013), mais faiblement, contraint notamment par la hausse de la pression fiscale. Celle-ci toucherait plus lourdement les revenus financiers et les ménages aisés, via notamment un probable alignement de la fiscalité du capital sur celle du travail. Selon nous, cette nette augmentation de la fiscalité sur l’épargne pourrait en partie inciter les ménages, notamment les plus aisés, à arbitrer en faveur de la consommation. Le pouvoir d’achat des ménages bénéficierait, par ailleurs, d’un léger freinage de l’inflation (2% en 2012 à 1,7%).

Enfin, la croissance ne pourrait pas non plus compter sur le commerce extérieur, dont la contribution serait nulle en 2013 (contre +0,3 ppt en 2012), compte tenu de débouchés européens très peu dynamiques.

Notre scénario 2013 reste assorti d’une forte incertitude et d’un risque baissier, en fonction de l’évolution de la crise européenne et des arbitrages budgétaires décidés en septembre.

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