par Sophie Fiszman, Directeur général adjoint d’OFI AM en charge du développement durable
Le scandale de la viande de cheval dans les produits Findus révèle les failles d’un système agroalimentaire mondialisé devenu complexe et dominé par des logiques financières.
Le « horsegate » est arrivé de Grande-Bretagne, où les lasagnes au cheval ont fait un effet bœuf… Et c’est bien normal car les anglais ne mangent pas de cheval, qu’ils considèrent trop noble pour finir dans leur assiette. Le circuit commercial de la viande a de quoi donner le tournis. Vendu en France, confectionné au Luxembourg, abattu en Roumanie, négocié à Chypre puis aux Pays-Bas…
Destiné aux étals des supermarchés, le lot de viande incriminé a fait l’objet d’un circuit aux multiples intermédiaires. Les motivations sont avant tout économiques. Le prix de la viande de cheval ne représente qu'un tiers de celui de la viande bovine : la tentation est donc grande, pour des gens peu scrupuleux, de pratiquer cette contrefaçon.
Des enquêtes ont été ouvertes en Roumanie et en France où la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) a été saisie. À elle de déterminer à quel stade de la filière le cheval s'est transformé en bœuf, et s'il s'agit d'une fraude manifeste ou d'une série de négligences. « Si nous sommes fautifs, nous perdons notre crédibilité pour un bon moment », a réagi dimanche le chef de l'État roumain, Traian Basescu. Pierre Chevalier, Président de la Fédération nationale Bovine (FnB) est traumatisé compte tenu des efforts que nous avons consentis en France pour la traçabilité de la viande bovine garantie par le logo VBF.
La première question qui nous vient à l’esprit est : ne peut-on pas produire du bœuf en France ? Longtemps exportatrice de viande bovine, la France a perdu de sa superbe au profit d’autres pays producteurs de l’Union européenne très compétitifs, comme la Pologne ou la Roumanie, mais surtout le Brésil, premier exportateur mondial de bœuf devant les États-Unis. Lundi, Benoît Hamon a convoqué toute la filière, des producteurs à la grande distribution en passant par les industriels, afin de faire le point sur la traçabilité, qui fait l'objet de contrôles renforcés depuis lundi, et de s'assurer du retrait de tous les plats suspects. Le ministre recevra aussi des associations de consommateurs en plein émoi.
De l'abattoir au rayon des surgelés, ce scandale révèle la fragilité de traçabilité des produits. Pour Stéphane Le Foll, ce scandale illustre la complexité des relations entre les différents acteurs de la chaîne alimentaire, rendant particulièrement complexe la traçabilité de la viande. Le problème c’est qu’en matière de produits transformés, on ne sait rien. Car il existe un véritable hiatus entre les exigences pour les produits bruts, nées du scandale de la vache folle, qui avait débouché sur l'obligation d'étiqueter le bœuf, et ce qui se fait aujourd'hui pour les produits transformés.
En résumé, le consommateur sait d'où vient le filet de poulet qu'il achète chez son boucher ou au rayon boucherie de son supermarché mais pas d'où vient le poulet de son sandwich. La traçabilité n'existe pas. Quand un produit est travaillé ou transformé en France, on peut apposer la mention « made in France », et ce même si la viande vient de Roumanie. Il suffit qu'elle ait été cuite en France pour bénéficier de cette appellation. La deuxième question que l’on peut se poser est l’existence de contrôle ? Les agents de la DGCCRF ont prélevé, à l'occasion de leurs « descentes », 34 500 échantillons alimentaires en 2012, donnant lieu à 250 000 analyses effectuées dans 7 laboratoires spécialisés. Dans le lot, les limiers en blouse blanche ont mené 16 000 analyses bactériologiques et 7 500 analyses sur la « loyauté des produits » pour débusquer d'éventuelles tromperies. Une fois sur trois, ces vérifications révèlent des tromperies sur l'origine des marchandises. Au même titre que les déchets industriels, les trafics agroalimentaires représentent de nouveaux débouchés pour les gangs criminels organisés, notamment depuis l'Italie, mais aussi des pays de l'Est.
Quelle est la solution ? Presque toutes les principales enseignes de distribution françaises ont procédé à des retraits. Il s'agit de lasagnes, cannellonis ou spaghettis bolognaise, moussaka, hachis parmentier, vendus dans les magasins Auchan, Casino, Carrefour, Système U, Cora, Monoprix, Picard. La pression des consommateurs est-elle aussi en cause ? Qui a poussé les fournisseurs à trouver un ingrédient encore moins cher que les copeaux de viande raclés de la colonne des vaches ?
Devra-t-on demain afficher la traçabilité de tous les éléments d’un plat cuisiné ? On parle de le faire pour l’ingrédient principal… Pas toujours facile dans un plat cuisiné qui en contient 14… L’étiquetage des aliments contient déjà la liste des ingrédients, leur quantité, la date de fabrication et de consommation, l’identité du fabricant, le numéro du lot de fabrication, le mode d’emploi, les calories… Et ce en plusieurs langues… Il faudra bientôt aller faire ses courses avec des lunettes… et une chaise ! Ce scandale doit nous aider à s’interroger sur un modèle agricole mondial qui conduit à la répétition de ces crises. Il devient urgent de retrouver la maîtrise de notre alimentation par des circuits plus courts entre le producteur et le consommateur, plutôt que de continuer à utiliser les importations à outrance. Ce modèle, ultra générateur d’émissions de Co2 est destructeur pour notre environnement. Comme le disait un tweet de l’émission mots croisés, nous allons jeter des tonnes de plats cuisinés alors que des gens n’ont rien à manger. N’est-ce pas cela qui est le plus choquant en fin de compte ?