France : la hausse du taux de chômage va-t-elle se poursuivre ?

par Axelle Lacan et Robin Mourier, économistes au Crédit Agricole

• La dégradation du marché du travail s’est poursuivie au 1er trimestre 2013 : le taux de chômage au sens du BIT est estimé par l’Insee à 10,4 % de la population active en France métropolitaine. 12 000 postes ont été détruits en net, après 33 000 en fin d’année 2012. Les destructions d’emploi ont donc ralenti. Est-ce le signe d’une stabilisation prochaine du chômage ?

• Ce n’est pas ce qui est inscrit dans notre scénario. L’atonie de l’activité et le redressement du cycle de productivité pèseront sur l’emploi ces prochains mois. La stabilisation du taux de chômage est attendue au 1er semestre 2014. Le recul n’interviendrait qu’en seconde partie de l’année.

• Néanmoins, des questions demeurent autour de notre scénario, notamment en référence à l’analyse de la relation d’Okun.

Où en est-on ?

La dégradation du marché du travail, qui sévit à nouveau en France depuis le second semestre 2011, a été marquée en 2012 :

  • Près de 70 000 emplois ont été détruits (en net) dans l’ensemble des secteurs (hors agriculture, emploi public des secteurs non marchands et activités extraterritoriales).
  • La population active a par ailleurs fortement augmenté, d’environ 200 000 personnes. Cette progression est la conséquence des effets des réformes antérieures des retraites (et notamment du report de l’âge légal de départ de 60 ans et quatre mois à 60 ans et neuf mois).

Le nombre de chômeurs a ainsi poursuivi sa progression (de l’ordre de 270 000 personnes), portant le taux de chômage en France métropolitaine à 10,1 % de la population active au quatrième trimestre 2012, contre 9,4 % un an auparavant.

Au 1er trimestre 2013, le taux de chômage au sens du BIT est estimé par l’Insee à 10,4 % en France métropolitaine. Il ressort en hausse de 0,3 point par rapport au trimestre précédent. Sur la France entière (hors Mayotte), il est estimé à 10,8%(après 10,5% au 4e trimestre).

  • 12 000 postes ont été détruits en net dans l’ensemble des secteurs (hors agriculture, emploi public des secteurs non marchands et activités extraterritoriales). Les destructions de postes ont donc ralenti (elles atteignaient 33 000 personnes pour le même périmètre au trimestre précédent).
  • La hausse de la population active a été freinée par deux facteurs. D’une part, depuis 2011, les premières générations du baby-boom ont dépassé l’âge de départ à la retraite à taux plein, même avec une durée d’assurance incomplète (65 ans et quatre mois). Les générations qui arrivent dans la tranche des 15-64 ans sont moins nombreuses que celles qui quittent cette tranche. D’autre part, le décret du 2 juillet 2012, permet, depuis sa mise en application en novembre 2012, le départ à la retraite à 60 ans pour les carrières longues.

Fermeture partielle ou totale du cycle de productivité en sortie de crise ?

La tonalité toujours morose du climat des affaires (l’indicateur synthétique Insee est toujours bien en-deçà de sa moyenne de long terme, à 84 contre 100 en mai) et l’incertitude qui persiste sur la dynamique des demandes tant domestique qu’étrangère devraient inciter les entreprises à reconstituer leurs gains de productivité plutôt que d’embaucher. D’autant que le cycle de productivité est toujours détérioré.

En 2008 et début 2009, l’augmentation du taux de chômage a été inférieure à celle induite par la chute observée de l’activité. Cette résistance tient aux différentes mesures de soutien à l’économie mises en place par le gouvernement et à des phénomènes de rétention de main-d’œuvre. Un léger redressement de la productivité, alors très dégradée, a été constaté de mi-2009 à début 2011. Ce mouvement a été mis à mal par la rechute de l’activité. Ainsi le retard de productivité lié à la crise de 2008 n’a toujours pas été rattrapé.

Ainsi, le cycle de productivité est aujourd’hui encore dégradé. La question de sa fermeture tota0le% ou partielle, et celle sous-jacente de la tendance de la productivité post-crise, sont essentielles pour déterminer l’évolution à attendre sur le marché du travail ces prochains mois.

Nous tablons dans notre scénario sur une fermeture partielle du cycle, avec un rebond modeste de la productivité à venir. La situation financière des entreprises françaises reste dégradée. Le rétablissement des marges suppose une réduction des coûts de production, et donc une poursuite de l’ajustement des effectifs. Nous prévoyons ainsi un recul de l’emploi jusqu’au début de l’année 2014. Le taux de chômage atteindrait un pic à 10,9% de la population active en France métropolitaine au 2e trimestre 2014, avant de connaître un repli très progressif. Au total, il atteindrait 10,8% en moyenne annuelle en 2014.

Ce diagnostic est en ligne avec l’étude d’un corrélogramme permettant de préciser le délai de transmission entre PIB et taux de chômage. D’après nos estimations, un décalage de deux trimestres existe entre variation de l’activité et répercussion sur le marché du travail. C’est bien ce que nous inscrivons: nous tablons sur une faible croissance en fin d’année 2013, avec un impact sur le taux de chômage qui interviendrait en milieu d’année 2014.

Les questions autour de notre scénario

1. L’analyse de la relation d’Okun pointe vers une période plus longue de hausse du taux de chômage.

La loi d’Okun permet de décrire la relation entre la croissance du PIB et celle du taux de chômage. Elle est exprimée sous la forme suivante :

ΔUt= α *ΔPIBt + β

avec ΔUt : la variation du taux de chômage et ΔPIBt : le taux de croissance du PIB.

Le paramètre α est appelé « coefficient d’Okun ». Ce dernier est négatif, de sorte qu’une accélération de la croissance de l’activité correspond à un repli du taux de chômage.

A l’inverse, une baisse ou un ralentissement de l’activité se traduit par une hausse du taux de chômage. Le ratio « -β/α » donne le taux de croissance du PIB compatible avec un taux de chômage stable. En d’autres termes, il s’agit d’un « seuil critique », soit le rythme de progression de l’activité nécessaire pour maintenir un niveau donné de taux de chômage.

D’après nos estimations, le taux de croissance annuel du PIB nécessaire pour stabiliser le taux de chômage serait de 1,57% en moyenne (cf. graphique 4). C’est donc plus que notre prévision de croissance (à 0,9 % en moyenne annuelle en 2014). Néanmoins, il convient de noter que les coefficients d’Okun évoluent dans le temps, avec une baisse depuis plusieurs années du seuil de croissance au-dessus duquel l’économie française crée des emplois.

2. A l’inverse, la politique de l’emploi (contrats de génération, emplois d’avenir) pourrait atténuer plus fortement que prévu les destructions de postes. 20 000 emplois d’avenir ont déjà été signés (bilan réalisé en mai) et le gouvernement a confirmé son objectif des 100 000 postes créés en 2013. De même, le gouvernement compte déployer 100 000 contrats de génération en 2013. Il est très difficile d’estimer l’impact réel qu’aura le dispositif sur l’emploi, compte tenu des effets de substitution à l’oeuvre.

3. De même, la mise en œuvre de la réforme dite de « flexi-sécurité » pourrait limiter les réticences des chefs d’entreprise à embaucher, puisqu’ils sauront qu’ils pourront, en cas de baisse de l’activité, plus facilement s’ajuster. Le Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi aura également un effet favorable sur leur profitabilité.

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