La Fed dans un corner ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Les marchés ont significativement réagi au FOMC de la Fed le 19 juin avec une remontée brutale des taux d’intérêt, le taux 10 ans US gagnant 20pb, et une baisse des marchés action (-3,8% sur le SP500). De son côté, le dollar s’est raffermi.

Cette réaction des marchés peut paraître étonnante à plusieurs titres : tout d’abord, l’annonce de diminution des achats au cours du second semestre était attendue par une grande partie des économistes et reflète une amélioration des perspectives économiques par la Fed ; de plus, l’incertitude a diminué avec un certain nombre de réponses sur le timing et la stratégie de sortie ; enfin, la stratégie en question est plutôt favorable dans la mesure où elle privilégie une sortie en douceur.

Ainsi, la tonalité du communiqué était certes un plus hawkish que lors du dernier FOMC mais les propos de Ben Bernanke ont plutôt visé à rassurer sur la sortie des politiques ultra expansionnistes.

Ben Bernanke a levé plusieurs incertitudes concernant la politique monétaire future et a présenté via la session de questions / réponses la carte des exit strategies :

1ère étape : diminution du rythme des achats de titres qui devrait commencer, a priori, au second semestre (septembre paraît le plus probable). En revanche pas de précision sur le rythme de réduction et sur le type d’actifs (MBS/ titres du trésor), une baisse de 30Md$ semble raisonnable ; poursuite des réinvestissements des tombées (titres arrivant à échéance) jusque mi-2014.

2ème étape : arrêt total des achats mi-2014 lorsque le taux de chômage sera proche de 7%. C’est la première fois qu’un chiffre précis est donné pour déterminer la date de la fin du QE.

3ème étape : période durant laquelle il n’y a plus d’achats. B. Bernanke a précisé, et c’est évidemment un point important pour appréhender l’évolution des taux, que la Fed ne vendrait pas ses titres

4ème étape : remontée des Fed funds lorsque le taux de chômage sera proche de 6,5% ce qui correspond à un début de hausse des taux en 2015 d’après les projections du FOMC (et d’après les nôtres aussi).

Si ce plan est assez clair, il semble pourtant que les marchés aient mal interprété le message, voyant la diminution des achats comme un resserrement de la politique monétaire. Quelle est la traduction de ce plan ?

  1. Le bilan de la Fed va continuer d’augmenter jusque mi-2014 et atteindrait 4260Md$ à cette date (vs 3500Md$ actuellement) dans l’hypothèse d’une diminution des achats de 30Md$ par mois à partir de septembre. La politique monétaire va donc continuer à être de plus en plus accommodante jusque mi-2014, la diminution des achats de titres ne constituant en rien un resserrement de la politique monétaire mais un ralentissement dans le rythme d’accommodation.
  2. A partir de mi-2014, il n’y aura pas de vente des titres détenus fermement au bilan mais la taille de ce dernier diminuerait au fur et à mesure que les titres arrivent à échéance si la Fed décide d’arrêter les réinvestissements (ce qui n’a pas été encore précisé).
  3. Pas de hausse de taux courts d’ici le premier semestre 2015. Le marché anticipe un début de remontée en deuxième partie d’année 2014 ce qui nous semble clairement prématuré.

Au total, ces perspectives nous paraissent plutôt rassurantes pour les marchés.

Qu’est-ce qui pourrait faire dévier la Fed de cette trajectoire ? A court terme, un net ralentissement des créations d’emploi avec une stagnation du taux de chômage, associé à une baisse de l’inflation, pousseraient la Fed à attendre le mois de décembre pour diminuer les achats, voire même début 2014. Ce scénario est loin d’être improbable, le resserrement fiscal n’ayant pour le moment eu que peu d’impact sur la croissance grâce notamment à la bonne tenue des marchés, la faiblesse des taux mortgage soutenant le marché immobilier (notamment les prix) et la hausse des marchés action ayant permis une hausse de la richesse actions des ménages de 13% depuis l’automne dernier. Un retournement significatif de ces marchés ne manquerait pas d’affaiblir la croissance. On voit bien aujourd’hui toute la difficulté pour la Fed à sortir de ses politiques non conventionnelles.

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