Etats-Unis : consommation soutenue malgré la pression fiscale

par Mike Carey et Philippe Vilas Boas, économistes au Crédit Agricole

• Malgré la baisse des revenus suite au relèvement des impôts sur salaires et autres taxes en début d’année, les dépenses de consommation ont continué d’augmenter au premier trimestre de 2,6% en rythme annualisé, contre 1,7% (a/a) au second semestre 2012.

• L’accroissement de la valeur du patrimoine des ménages a représenté plus de 3 000 Mds USD au premier trimestre. Ce seul effet de richesse a permis de soutenir les dépenses de consommation qui ont augmenté d’environ 90MdsUSD, compensant partiellement le coup de frein budgétaire lié à la hausse d’impôts et aux coupes de dépenses décidées par Washington.

• L’endettement des ménages a reculé au regard des principaux indicateurs, revenant à son niveau le plus faible depuis la dernière décennie.

• Sous l’effet conjugué de la hausse des revenus salariés liée à la baisse du chômage et d’une légère augmentation des encours de crédit, les dépenses de consommation devraient être plus soutenues au second semestre.

Le rebond des dépenses de consommation en début d’année était quelque peu surprenant, compte tenu de la croissance atone des salaires. Moteur de l’économie américaine, les dépenses de consommation représentent plus de 70% du PIB. Malgré les craintes suscitées par l’érosion des revenus, suite aux hausses d’impôts en début d’année, les dépenses réelles de consommation au premier trimestre ont augmenté de 2,6% en rythme annualisé, contre 1,7% (a/a) au second semestre 2012.

L’augmentation des salaires nominaux était à peine de 2,2% en juin par rapport à l’année précédente. La hausse des revenus des ménages représentait 3,3% (a/a) en mai dernier, alors qu’après impôts, elle s’établissait à seulement 1,2%. La croissance molle des salaires n’a rien de surprenant, eu égard au niveau élevé du chômage. La sous-utilisation des ressources sur le marché du travail est telle que la hausse des salaires reste maîtrisée. De plus, soucieuses de doper leur rentabilité, les entreprises restent vigilantes sur leurs coûts.

La variation de la valorisation du patrimoine des ménages constitue en soi un levier supplémentaire sur les dépenses de consommation. On observe un redressement de la valeur nette du patrimoine des ménages (valeur des actifs déduction faite des passifs) exprimé en pourcentage du revenu disponible. La valorisation de patrimoine net des ménages semble avoir retrouvé son niveau moyen des dix dernières années, sous l’effet de la hausse des marchés actions et des prix de l’immobilier, mais aussi de la contraction du passif des ménages.

Des études consacrées à l’impact de l’effet de richesse sur les dépenses de consommation montrent qu’une variation moyenne de la richesse de 1USD se traduit, dans le temps, par une variation de 3 à 7 cents des dépenses de consommation. Lorsque la richesse augmente, par exemple, les ménages sont plus enclins à dépenser leur revenu actuel, l’accroissement de la richesse permettant d’amortir d’éventuelles interruptions de revenus. L’impact varie selon la nature des actifs détenus, immobiliers ou financiers. Il existe une littérature abondante sur ce sujet. Selon une étude récente de Carroll, Otsuka & Slacalek, la propension marginale à consommer, induite par une variation de 1 USD du patrimoine immobilier, est d’environ 2 cents, et l’effet final d’environ 9 cents, soit bien plus que l’effet lié au patrimoine financier qui représente environ 6 cents par dollar. En général, les effets de richesse considérés comme durables (patrimoine immobilier) ont un impact supérieur sur les dépenses, tant sur leur intensité, que sur leur durée dans le temps.

Comme le montre le premier graphique, le repli du patrimoine net cumulé des ménages, lors de la grande récession, s’est à présent inversé. Au premier trimestre, le patrimoine net des ménages a grimpé de plus de 3000 Mds USD à 70 300 Mds USD, selon les comptes nationaux publiés par la Réserve fédérale américaine. La progression enregistrée au premier trimestre est imputable à hauteur de 36% à l’appréciation du portefeuille d’actions détenu par les ména- ges et à hauteur de 27% à la hausse des prix de l’immobilier. La valeur des biens immobiliers a augmenté de 6 à 12% au cours de l’année écoulée, selon l’enquête utilisée.

La Banque fédérale de San Francisco estime que « l’accroissement de la valeur du patrimoine enregistré sur le seul premier trimestre de cette année va entraîner une hausse des dépenses de consommation d’environ 90 Mds USD »1, soit l’équivalent de l’augmentation des impôts sur salaires introduite en début d’année 2013. On peut donc en conclure que l’effet de richesse a contribué au maintien des dépenses de consommation et, a probablement compensé le coup de frein budgétaire décidé par Washington.

Malgré une situation d’ensemble plutôt satisfaisante, quelques réserves s’imposent. Une fois corrigée de l’inflation et de la croissance démographique, la valeur nette du patrimoine réel des ménages ne s’est redressée que de 63% environ, par rapport à son niveau d’avant crise 2007. De plus, les ménages n’ont pas tous connu la même expérience, loin s’en faut. Les plus jeunes (dont le chef de famille a moins de quarante ans) ont été particulièrement touchés par la chute du marché immobilier résidentiel. Dans cette catégorie, la perte enregistrée en termes de valeur nette du bien immobilier a été supérieure à celle des ménages plus âgés et le pourcentage de propriétaires de leur logement a également connu une chute plus sévère2. Une situation qui pourrait faire peser des contraintes financières durables sur les jeunes ménages (à moindre capacité d’emprunt) et pénaliser la consommation de cette partie de la population.

L’endettement des ménages fait état d’un repli à son niveau le plus bas, jamais enregistré depuis dix ans. Les ménages peuvent contracter un emprunt ou puiser dans leur épargne pour financer des projets de consommation avec une contrainte de revenu moindre. Cependant, l’utilisation plus importante des cartes de crédit n’explique pas, selon nous, la hausse des dépenses de consommation en début d’année. D’après le rapport trimestriel du Conseil de la Réserve fédérale de New York sur la dette des ménages et le crédit (FRBNY Quarterly Report on Household Debt and Credit), le solde de la dette des ménages hors logement est resté quasiment inchangé au premier trimestre. La hausse des crédits automobiles (+11 Mds USD) et des prêts aux étudiants (+20 Mds USD) a été compensée par la baisse des soldes des cartes de crédit (-19 Mds USD) et autres prêts à la consommation (-10 Mds USD).

Le taux d’épargne des ménages est en baisse hormis un rebond de fin d’année. Le taux d’épargne au deuxième trimestre se situe à un peu plus de 3% du revenu disponible contre 3,8% un an auparavant. Or, dans les comptes nationaux, l’épargne n’est autre que la différence entre le revenu courant et la consommation courante. Cette mesure de l’épargne ne coïncide pas exactement avec la signification que lui donnent la plupart des gens, à savoir ce qu’on met de côté par précaution ou en vue d’un gros achat ultérieur ou encore d’un investissement. À cet égard, le patrimoine net des ménages constitue probablement une mesure plus pertinente.

Synthèse

L’accélération des dépenses de consommation au premier trimestre était quelque peu surprenante dans un contexte de ralentissement des revenus, voire de baisse des revenus après impôt.

Cependant, la forte hausse de la valeur nette du patrimoine des ménages (due à l’appréciation des marchés actions et de l’immobilier) a probablement compensé les impacts des mesures d’austérité budgétaire.

L’endettement des ménages semble avoir reflué au point que la charge de la dette apparaisse à présent relativement supportable pour les consommateurs.

La réduction du chômage contribuera progressivement à revaloriser les salaires. Une hausse des revenus et un léger accroissement du recours au crédit, devraient conduire à une consommation toujours plus dynamique au second semestre.

NOTES

  1. The Economic Recovery: Past, Present, and Future. John C. Williams, Président et Directeur général, Banque fédérale de réserve de San Francisco. 28 juin 2013.
  2. Why Did Young Households Lose so Much Wealth During the Crash? The Role of Homeownership. Emmons et Noeth op. cit.

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