Les mots de la BCE ne suffisent pas à convaincre les marchés

par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole

• La BCE a conservé un biais clairement baissier lors de sa réunion de septembre, malgré l’amélioration des chiffres économiques et la légère révision à la hausse des prévisions de croissance du staff pour 2013.

• Les signaux dovish ne manquent pas : réaffirmation du principe de guidage des anticipations (forward guidance), prévision d’inflation du staff inchangée pour 2014, balance des risques inchangée sur la croissance, accent mis sur les obstacles structurels à la reprise. Enfin, le Conseil des Gouverneurs a discuté de toutes les options possibles, y compris d’une baisse de taux.

• Le fait que la BCE ait évoqué plus explicitement les conditions de liquidité sur le marché monétaire nous conforte dans l’idée qu’elle ne resterait pas passive face à une forte remontée des taux. Dans ce cas, des actions – plutôt que des mots – seraient probablement nécessaires, et la BCE pourrait alors envisager une nouvelle opération de refinancement à très long terme (v-LTRO) qui ciblerait plus spécifiquement les prêts aux PME comme collatéral.

Avant sa réunion mensuelle, la BCE ne semblait guère en mesure de surprendre les marchés, dans un sens ou dans l’autre. Mario Draghi devait à la fois se montrer confiant (en se faisant l’écho des chiffres économiques récents) et suffisamment souple (pour assurer la crédibilité du guidage des anticipations et tenter de limiter la hausse des taux de marché). La principale incertitude concernait la synthèse de ces évolutions, positives et négatives, susceptible de faire évoluer à terme le réglage monétaire de la BCE. De notre point de vue, Mario Draghi s’est montré légèrement plus dovish qu’attendu, en insistant notamment sur les facteurs structurels qui freinent la reprise en zone euro: taux de chômage élevé, écart de production important et poursuite du processus de désendettement dans les secteurs public et privé.

Mario Draghi a affirmé que toutes les possibilités avaient été envisagées ce mois-ci, indiquant notamment qu’une baisse des taux n’était pas totalement exclue à l’avenir – un signal très explicite du biais baissier de la BCE. Il n’a toutefois pas donné de précision supplémentaire sur les modalités du guidage des anticipations. A moins que des facteurs externes ne viennent freiner la hausse des taux en cours, la BCE pourrait bien être contrainte d’étayer sa communication « musclée » par des actions concrètes.

Les prévisions du staff ne reflètent qu’une amélioration ponctuelle des données

Sur le plan des statistiques, les bonnes nouvelles l’ont largement emporté sur les mauvaises au cours des derniers mois et ceci pouvait difficilement ne pas avoir d’impact sur les nouvelles prévisions du staff des économistes de la BCE. La plupart des enquêtes ont reflété une nouvelle amélioration du climat des affaires en août (progression des indices PMI, IFO, INSEE et de plusieurs enquêtes nationales dans des pays périphériques). L’amélioration concerne même certains indicateurs retardés, comme le chômage, qui ont commencé à se stabiliser récemment, la principale exception à ce mouvement d’amélioration restant le crédit bancaire. Le staff a révisé sa prévision médiane de croissance pour 2013 en hausse, de -0,6% (prévision de juin) à -0,4%, essentiellement en raison du chiffre de croissance plus élevé qu’attendu au T2. La prévision pour 2014 a toutefois été légèrement abaissée (de 1,1% à 1,0%), une évolution inattendue qui indique que le staff n’a pas revu en hausse la séquence de taux de croissance trimestrielle jusqu’en 2014. De fait, Mario Draghi n’a pas voulu extrapoler la bonne performance du T2, qu’il attribue « en partie à des phénomènes temporaires liés aux conditions météorologiques » et a déclaré que la BCE continuait de tabler sur une « reprise graduelle ».

Les prévisions d’inflation du staff reflètent également cette prudence généralisée. Alors que la prévision médiane pour 2013 a été révisée marginalement à la hausse (de 1,4% à 1,5%, en lien notamment avec des prix des matières premières plus élevés), la prévision d’inflation pour 2014 est restée inchangée à 1,3% – un niveau très en deçà de la définition de la stabilité des prix par la BCE – ce qui reste, selon nous, la marque la plus claire du biais baissier de la BCE. Le fait que les prévisions d’inflation n’aient pas été révisées à la hausse malgré des signes plus marqués de reprise suggère notamment que l’hypothèse implicite d’écart de production (output gap) a été ajustée à la baisse par le staff.

Nous observons, plus généralement, que Mario Draghi a semblé prendre du recul par rapport aux prévisions du staff – peut-être davantage qu’à l’accoutumée, et pour de bonnes raisons. Le Président de la BCE a relevé que l’amélioration (modeste) des prévisions du staff pour 2013 n’était que le reflet d’une ("modeste) reprise attendue au second semestre 2013, une prévision de longue date de la BCE. Une analyse corroborée par la décision du Conseil des gouverneurs de maintenir une balance des risques inchangée : à la baisse pour l’activité et globalement équilibrée pour la stabilité des prix à moyen terme. Enfin, l’accent a été mis (plus que d’habitude) sur les risques baissiers et les obstacles structurels à la reprise, y compris : une faible dynamique des agrégats monétaires et de crédit, un taux de chômage élevé, un niveau élevé de ressources inemployées et une poursuite du désendettement, dans le secteur public comme dans le secteur privé. Cette communication reste l’outil le plus naturel à disposition de la BCE pour faire clairement comprendre qu’elle conserve un biais baissier. Et pourtant, il se pourrait qu’elle se retrouve dans une situation où elle n’aura d’autre choix que de passer de la parole aux actes.

Guidage des anticipations confirmé, sans autre précision pour l’instant

La BCE a réitéré son engagement à maintenir les taux directeurs à leurs niveaux actuels ou à des niveaux inférieurs pour une période de temps prolongée. Ne pas répéter cette forward guidance fraîchement adoptée en juillet aurait fait peser un risque de crédibilité évident sur la BCE, bien que Mario Draghi ait affirmé le mois dernier qu’il ne le répéterait pas nécessairement chaque mois, à condition que le marché «comprenne bien le message ». La conférence de presse du 5 septembre ne devrait pas changer la donne.

Mario Draghi a notamment déclaré que la stratégie de guidage des anticipations recouvrait plusieurs dimensions et qu’il était destiné à expliquer la fonction de réaction de la banque centrale (plus particulièrement le pilier monétaire, selon nous), mais pas à la modifier, faisant en cela écho à des commentaires similaires du chef économiste de la BCE, Peter Praet, dans un discours remarqué prononcé le mois dernier. Le guidage des anticipations est également destiné à empêcher toute surréaction à la reprise en cours, selon Mario Draghi. Le président de la BCE n’a toutefois pas réussi à convaincre le marché que le guidage des anticipations changeait réellement la conduite de la politique monétaire, ce qui est une des principales faiblesses de cette approche – comme l’a montré l’économiste Michael Woodford dans le cas général. La version actuelle de forward guidance de la BCE n’a guère plus d’influence qu’un biais baissier classique, et comporte donc des risques et des limites.

Nous continuons de penser que la BCE devra tôt ou tard fournir des précisions supplémentaires au marché. Comme nous l’avons déjà écrit à plusieurs occasions, notre préférence irait à de nouveaux outils de gestion de la liquidité, au moins dans un premier temps, notamment une nouvelle opération de refinancement à très long terme (v-LTRO), à taux fixe, et qui pourrait cibler spécifiquement les prêts aux PME comme collatéral. Si les montants alloués resteraient probablement limités, sans commune mesure avec les LTRO à 3 ans, une telle mesure permettrait d’envoyer un message clair au marché, compatible avec des taux directeurs bas pour une période de temps prolongée. Toutes choses égales par ailleurs, une autre v-LTRO pourrait également contribuer à maintenir un excès de liquidité plus élevé pendant plus longtemps. À ce titre, il est intéressant de noter que la BCE a fait explicitement référence aux conditions du marché monétaire dans la première partie de son communiqué. Mario Draghi a une nouvelle fois évoqué la relation entre excès de liquidité et taux Eonia, affirmant que la fragmentation et d’autres aspects structurels ajoutaient à l’incertitude et qu’il fallait accorder moins d’importance aux remboursements agrégés de LTRO qu’au détail des flux, ainsi que la BCE l’a elle-même récemment expliqué dans son bulletin mensuel1.

A terme, la BCE pourrait être obligée de donner davantage d’information sur sa fonction de réaction et ses composantes. Il serait notamment utile de connaître l’estimation retenue par le Conseil des gouverneurs pour l’output gap et pour toute autre mesure des capacités inemployées dans l’économie. Le risque est de mettre la cohésion du Conseil des gouverneurs à rude épreuve dans la mesure où les avis divergent sur ces questions. C’est également le cas, dans un autre registre, en ce qui concerne la publication des minutes des réunions de la BCE, et Mario Draghi s’est montré beaucoup plus prudent sur ce sujet.

Conséquence de ce manque de clarté et d’absence de nouveau geste, selon nos stratégistes, le marché considère que le discours dovish n’a guère de substance. En d’autres termes, le discours de Mario Draghi ne laisse pas entendre que la fonction de réaction de la BCE a changé, mais – tout au plus – que la BCE serait plus lente à remonter les taux en cas de reprise (si une telle reprise se produit) qu’elle ne l’a été en 2011 en réponse à la montée des indices PMI. Cela ne suffit apparemment pas à calmer les marchés, qui ne peuvent s’en remettre qu’aux données économiques pour forger leurs propres anticipations.

NOTES

  1. Voir l’encadré 4 du bulletin mensuel de juillet (lien ci- dessous) : http://www.ecb.europa.eu/pub/pdf/mobu/mb201307en.pdf

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