La BCE contrainte de baisser les taux ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Depuis l’introduction de sa « forward guidance1 » en juillet dernier, la Banque Centrale Européenne a adopté une attitude de wait and see, qui a été favorisée par l’atténuation des tensions sur les marchés et les améliorations conjoncturelles. Il nous semble toutefois que cette période de statu quo pourrait arriver rapidement à son terme. Dans un premier temps, elle pourrait être tentée de continuer à utiliser la communication pour détendre les conditions monétaires mais il nous semble qu’elle devra, peut-être beaucoup plus vite qu’anticipé par les marchés, agir. Faut-il s’attendre par exemple à une baisse de taux d’ici la fin de l’année ? Cela nous semble de plus en plus probable, en raison de la nécessité de préserver sa crédibilité sur son objectif d’inflation.

Or l’appréciation de l’euro depuis quelques semaines, conséquence du shutdown américain et en corollaire de la probable grande prudence de la Fed2, augmente le risque désinflationniste. Depuis le mois de septembre, l’euro s’est apprécié de 5% par rapport au dollar et de 2,5% en termes effectifs. Contrairement à d’autres banques centrales, la BCE n’a pas d’objectif de change. Ceci ne signifie évidemment pas qu’elle est indifférente à l’évolution de l’euro, cette dernière ayant d’importants effets sur la croissance et l’inflation. L’amélioration des termes de l’échange pèse sur la compétitivité des entreprises européennes et réduit le prix des importations.

L’impact de la hausse récente de l’euro peut sembler marginal mais ne l’est pas dans une situation où l’économie est en phase de stabilisation et l’inflation sur une tendance baissière. Jusqu’à présent, les risques sur l’inflation étaient considérés comme équilibrés par la BCE : risques à la hausse liés au prix des matières premières et aux éventuelles augmentations de taxes ; risques baissiers liés à la faiblesse de la croissance. La prise en compte de la récente appréciation du taux de change dans son analyse pourrait conduire la BCE à introduire un biais baissier sur l’inflation. La conséquence pourrait être une réduction de taux.

Dans ce contexte, l’inflation de la zone euro qui sera publiée le 31 octobre revêt une importance particulière. La hausse de la TVA italienne de 1pt en octobre pourrait avoir un léger effet haussier sur l’inflation de la zone euro mais malgré cet effet, le taux d’inflation ne devrait guère dépasser le niveau de septembre (1,1%), sensiblement sous l’objectif de la BCE (proche de 2%). Certes, c’est l’inflation anticipée à moyen terme qui est importante et non l’inflation courante mais il ne faudrait pas que la faiblesse actuelle de l’inflation ne pèse sur les anticipations des agents. Par ailleurs, les déterminants de l’évolution des prix continuent de suggérer la poursuite de la désinflation : la zone euro est toujours en situation de surcapacités impliquant une tendance baissière sur les coûts salariaux unitaires. En l’absence d’un choc exogène sur les prix (pétrole, taux de change, taxes), il est difficile d’imaginer un retour de l’inflation vers 2% dans les deux années qui viennent. Si la baisse de l’inflation est une bonne nouvelle pour les ménages européens, leur permettant de regagner du pouvoir d’achat dans un contexte où le marché du travail continue de se dégrader, elle a toutefois plusieurs inconvénients, en particulier un effet haussier sur les taux d’intérêt réels conduisant à une dégradation des conditions monétaires et un impact baissier sur le PIB nominal rendant plus difficile le désendettement.

Autre facteur important, l’affaiblissement des différents indicateurs de confiance dans la zone euro en octobre. S’ils ne sont pas surprenants dans la mesure où l’activité ne devrait guère progresser au T4-2013 (nous attendons une augmentation de 0,1% T/T du PIB), ils constituent cependant une mauvaise nouvelle en jetant un doute sur la solidité de la reprise. Nous pensons que ces indicateurs vont vraisemblablement continuer d’osciller à un niveau proche de la limite entre contraction et expansion de l’activité pendant encore plusieurs mois. Cette légère dégradation pourrait également être un facteur supplémentaire poussant la BCE à agir.

Enfin, la baisse de la liquidité excédentaire a également un effet haussier sur les taux courts. De plus, avec le lancement de l’AQR (Asset Quality Review), les tensions sur les banques pourraient réapparaître.

Si cette dernière baisse de taux repo permettrait une détente des conditions monétaires, elle ne serait toutefois pas suffisante pour résoudre les problèmes de fragmentation des marchés de la zone euro et il faudra vraisemblablement que la BCE trouve d’autres outils pour agir : VLTRO ? Financement des agents privés via des achats d‘ABS ? Extension des achats de covered bonds ?

NOTES

  1. Cf. Edito Eco Hebdo du 12/07/2013 « BCE vs Fed : quelle “forward guidance” ? ».
  2. Cf. Edito Eco Hebdo du 11/10/2013 « Yellen, la Fed et le shutdown ».».

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