Etats-Unis : piocher dans la boîte à outils

par Philippe Vilas Boas, économiste au Crédit Agricole

• Taille et composition du bilan de la Réserve fédérale américaine suscitent interrogations et inquiétudes à mesure que se poursuit le « quantitative easing », même si pour l’heure, son arrêt n’est pas une priorité. Différentes stratégies de réduction de la liquidité sont envisagées, mais toutes se heurtent au risque de détérioration de la croissance. La réduction du bilan de la Fed nécessitera du temps et les modalités devront être ajustées au plus fin. En attendant, le comité de politique monétaire affûte ses outils et prépare l’étape suivante.

• Dans les minutes du FOMC de juillet, la Réserve fédérale suggérait l’utilisation des « reverse repos1 » comme outil de drainage de la liquidité du système bancaire. Dans les essais déjà effectués, elle envisage la possibilité de rediriger les réserves bancaires stockées auprès de la Banque centrale vers le marché monétaire. En intervenant sur la liquidité mise à disposition, la Fed se dote d’un nouvel outil permettant de mieux contrôler les taux à très court terme, et d’en réduire la volatilité.

Anticiper la gestion du bilan

– Risques de « gigantisme »

La taille du bilan de la Banque centrale américaine n’a cessé d’augmenter depuis la crise en 2008, sous l’effet des différentes politiques monétaires visant à accroître la liquidité du système bancaire et financier (facilités de caisse, QE1, QE2, QE3). Au total, le bilan de la Fed avoisine aujourd’hui les 3 700 Mds USD, le plaçant ainsi au-dessus de celui de la Banque centrale européenne, et loin devant celui de la Banque d’Angleterre. Même si au regard du PIB, le bilan de la Fed (19% du PIB) reste inférieur à celui de la BCE (32% du PIB), son évolution fait craindre l’émergence de tensions inflationnistes ou de bulles financières, et souligne le risque d’une dépendance monétaire toujours plus importante.

Le contenu du bilan de la Fed peut schématiquement se décomposer de la façon suivante : l’actif est majoritairement constitué de bons du Trésor (deux tiers des actifs) et de titres de créances hypothécaires (un tiers des actifs). Le passif est massivement représenté par les réserves des établissements de crédit (2329 Mds USD), et les billets mis en circulation (1 161 Mds USD).

La mise en place d’une politique de normalisation monétaire devrait donc agir sur ces différentes composantes. Plusieurs pistes sont susceptibles d’être exploitées par la Fed.

– Modification de l’actif

La première des hypothèses consistant à effectuer des ventes fermes de bons du Trésor et de MBS paraît alléchante, mais celles-ci se traduiraient rapidement par une baisse du prix de ces actifs, avec pour corollaire, une augmentation des taux d’intérêts de long terme qui pénaliserait l’investissement et la croissance.

La détention jusqu’à maturité des titres serait également envisageable, mais le processus de réduction du bilan serait dans ce cas relativement long ; la majorité des actifs ayant une durée de vie supérieure à cinq ans.

– Modification du passif

La mise en place de réserves prudentielles obligatoires (10% des dépôts) instaurées par le régulateur bancaire, ainsi que la rémunération des réserves excédentaires (quel que soit l’excédent), ont conduit à drainer une grande partie de la liquidité du système bancaire vers les comptes de réserves de la Fed. La réduction de la taille du passif consistera donc à diminuer les réserves détenues par les banques commerciales auprès de la Banque centrale.

Elaborer les outils adaptés

– « Reverse repos »

Les minutes du « Federal Open Market Committee » de juillet évoquent la possibilité d’utiliser les « reverse repos » comme moyen d’inciter les banques commerciales à davantage diriger leur excès de liquidité vers le marché monétaire, plutôt que de les déposer sur leur compte Banque centrale.

Ce produit financier n’est pas récent et ses caractéristiques largement exploitées par tous les acteurs financiers. Dans le cas concret de la Réserve fédérale, il s’agit d’une opération par laquelle celle-ci peut emprunter des liquidités à un nombre restreint d’intervenants présélectionnés, pour une durée très courte, en échange d’une rémunération à taux fixe, et d’une mise en pension de titres servant de garantie. Les particularités de ces opérations résident dans l’utilisation d’un taux fixe, dans la diversité des investisseurs éligibles, et dans la taille des nominaux engagés. Les récents essais effectués en septembre ont permis de calibrer en grandeur nature différents passages d’ordres pour un total de 143 Mds USD, effectués à taux fixe de 0,01%. Les contreparties choisies étant des banques commerciales, des établissements de crédit, des agences de refinancement, telles que Fannie Mae et Freddie Mac, et des fonds du marché monétaire.

– Transformer la structure du bilan

En utilisant les « reverse repos » à grande échelle, la Fed espère déplacer le montant des réserves des banques commerciales vers la ligne de « reverse repos » inscrite au passif. Si la taille globale du bilan n’est pas modifiée, c’est la ventilation des composantes du passif qui s’en trouve affectée. Le but clairement affiché étant de posséder un outil capable de transformer les dépôts de liquidité excédentaires des banques commerciales, en actifs disponibles sur le marché monétaire.

– Mieux contrôler les taux à court terme

Dans l’éventualité d’un futur allégement monétaire, la Fed aura besoin d’un outil de contrôle du taux effectif des Fed funds, qui, dans la pratique, reste assez largement en dessous du taux directeur cible décidé par le comité de politique monétaire.

En intervenant sur le marché monétaire via des opérations « d’open market », et notamment grâce à l’utilisation de « reverse repos », la réserve fédérale serait à même d’influencer les volumes et les prix sur le marché monétaire, ce qui lui permettrait d’agir plus efficacement sur les taux à très court terme.

– Corriger l’asymétrie des participants au marché monétaire

Différents intervenants comme des banques commerciales, des « money market funds », ou des établissements de crédit semi-publics, participent activement à la circulation des liquidités sur le marché monétaire, et par conséquent à la réalisation du taux Fed Funds effectif.

Mais, on distingue d’un côté, des institutions dépositaires (banques commerciales) dont les réserves sont rémunérées à hauteur de 25 pdb par la Fed, et de l’autre, des établissements de crédit non dépositaires (donc non rémunérés). Dans ces conditions, les banques commerciales sont peu disposées à prêter leur liquidité à un taux inférieur à celui offert par la rémunération des réserves auprès de la Banque centrale, tandis que les établissements non dépositaires sont prêts à investir à des taux inférieurs à 25 pdb.

L’utilisation des « reverse repos » devrait permettre d’atténuer cette dualité du marché monétaire en instaurant un taux plancher. Les participants qui souhaitent investir en actifs très peu risqués, mais qui ne sont pas autorisés à placer des liquidités auprès de la Fed, recevront un meilleur taux en souscrivant aux opérations de « reverse repos », comparativement à ce qu’ils trouveraient sur le marché monétaire. L’offre d’un nouvel investissement sans risque, ouvert à tous les participants, contribue à ce qu’aucun participant ne puisse offrir un taux inférieur à celui proposé. Ceci faisant converger le taux au jour le jour vers un taux plancher, tout en diminuant la volatilité des taux court terme.

NOTES

  1. La pension livrée (ou repo qui est la contraction de "Sale and Repurchase Agreement") consiste en un prêt en numéraire garanti par des titres. Le prêteur de fonds réalise une prise en pension des titres (ou repo), tandis que l’emprunteur des fonds effectue une mise en pension (ou reverse repos).

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