par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis
Finalement la BCE l’a fait ! Elle a abaissé le taux refi de 25pb pour le porter à 0,25% mais a laissé le taux de dépôt inchangé à 0%. Comme nous le mettions en avant il y a quinze jours1, plusieurs facteurs – appréciation de l’euro, baisse de l’inflation, fragilité de la croissance, situation des banques et effets induits sur le crédit – militaient pour une action rapide de la BCE, plus rapide que ce qu’anticipaient les marchés. Si la baisse de l’inflation en octobre a évidemment influencé la BCE et a convaincu les marchés la semaine dernière qu’une baisse de taux était imminente, il nous semble cependant que c’est la conjonction de l’ensemble des facteurs précités qui a incité la BCE à agir dès novembre.
Cette baisse de taux est également perçue comme un moyen de renforcer la forward guidance de la BCE, qui reste aux yeux de nombreux observateurs au rang de gadget. D’ailleurs, la BCE conserve la même formulation que celle utilisée depuis juillet dernier, en indiquant que « les taux d’intérêt directeurs vont rester à leurs niveaux actuels ou à des niveaux de taux plus bas sur une période prolongée », ne fermant pas la porte à une éventuelle baisse du taux de dépôt en territoire négatif ou même une baisse du refi à 0%. Enfin, la BCE annonce également qu’elle continuera à allouer la liquidité de façon illimitée au moins jusque juillet 2015 vs mi-2014 précédemment.
Toutes ces décisions visent à rendre les conditions monétaires de la zone euro plus accommodantes dans un contexte où elles avaient eu tendance à se dégrader avec l’appréciation de l’euro, la baisse de l’inflation (et donc la hausse des taux d’intérêt réels) et les remboursements de VLTRO. La taille de son bilan est en effet passée de 3100Md€ mi-2012 à 2300Md€ début novembre 2013. Ces mesures devraient permettre de tirer à la baisse l’euro, avec un impact positif sur les exportations mais aussi limiter l’effet désinflationniste. L’objectif est également de détendre quelque peu les conditions de financement des banques avec l’espoir d’un impact sur les conditions de crédit aux agents privés notamment des pays périphériques. Sur ce dernier point, il nous semble que l’impact devrait rester modéré.
Ces mesures sont donc positives mais elles ne seront malheureusement pas suffisantes. Après cette baisse, certains diront que la BCE est démunie, ce n’est pas notre opinion. La BCE ne devrait pas échapper à l’obligation de nouvelles actions dans les mois qui viennent. Nous voyons plusieurs options, plus ou moins probables.
• Modifier sa forward guidance pour la rendre plus efficace car elle reste très floue2. Cela nous semble une option très probable, en communiquant plus clairement sur sa fonction de réaction.
• Baisser le taux de réserves obligatoires de 1% à 0,5% libérant ainsi 50Md€ de liquidités pour les banques (rappelons que ce taux avait été abaissé de 2% à 1% début 2012). C’est une option possible.
• Porter le taux de dépôt en territoire négatif. Malgré la porte laissée ouverte par la BCE dans sa formulation de la forward guidance, cette option nous paraît toujours très peu probable dans la mesure où l’analyse coûts-bénéfices ne montre pas de résultat clair3. De même pour une baisse du refi à 0%.
• Mettre en place une nouvelle opération de prêt à long terme aux banques dans un contexte où la maturité résiduelle des VLTRO va devenir courte (moins d’un an à partir de février) et où les tensions pourraient réapparaître avec la revue des bilans bancaires4. Les remboursements de VLTRO (proches de 360Md€) ne signifient pas que les banques n’ont plus besoin de l’aide de la BCE. En effet, les banques espagnoles et italiennes ont encore chacune plus de 200Md€ de prêts à la Banque Centrale et peu de dépôts (dépôts et comptes courants). Même si la décision d’allouer la liquidité de façon illimitée jusqu’à juillet 2015 permettra aux banques de roller leurs prêts, il nous semble que la mise en place d’un LTRO à plus long terme soulagera davantage les banques. Ceci milite pour un nouvel VLTRO au printemps prochain (qui pourrait toutefois avoir des modalités différentes des deux précédents).
• Acheter des obligations sécurisées (Covered bonds) avec le même objectif de faciliter le financement des banques.
• Faciliter le financement des entreprises privées en achetant par exemple des ABS.
• Acheter des titres souverains pour tenter de réduire davantage les primes de risque et se substituer aux banques dans le financement de certains états périphériques. Cette option nous paraît très peu probable, il faudrait en effet un choc considérable pour que la BCE s’engage dans le financement des états. Elle pourrait toutefois être appelée à le faire via les OMT (Outright Monetary transactions) en cas de demande d’aide d’un pays au MES.
La BCE n’a pas dit son dernier mot.
NOTES
- Cf. Edito du 24/10/13 « La BCE contrainte de baisser les taux ? »
- Cf. Edito du 12/07/2013 « BCE vs Fed : quelle “forward guidance” ? »
- Cf. Edito du 20/07/2012 « Quelles conséquences d’un taux de dépôt à 0% ? »
- Cf. SR n°2013-164 « L’Union bancaire en deux pages »