Donner ses chances à la reprise

par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas

Récemment, les nouvelles ont eu tendance à être positives pour les grandes zones développées. La zone euro est sortie de récession, enregistrant deux trimestres consécutifs de croissance positive. Certes, le rythme trimestriel était en retrait à +0,1% au troisième trimestre 2013 après +0,3% au deuxième, et la France a connu une rechute, mais les pays du Sud de l’Europe semblent avoir retrouvé le chemin de la croissance. L’Espagne, après une récession qui aura duré plus de deux ans, a vu son activité progresser pour la première fois depuis le premier trimestre 2011, alors qu’au Portugal, la croissance a été positive deux trimestres consécutifs. La récession grecque demeure profonde, mais au moins le rythme de contraction ralentit-il.

Aux Etats-Unis, l’activité a également progressé plus rapidement au troisième trimestre qu’au cours des six premiers mois de l’année, à respectivement +2,8% et +1,8% (taux trimestriel annualisé). En Europe, il s’agit également de noter les annonces de sortie des plans de financement d’urgence de l’Irlande (voir Focus) et de l’Espagne, alors que le redressement des finances publiques avance à un rythme soutenu. Les bons résultats en termes d’ajustement budgétaire vont ainsi permettre de relâcher quelque peu la pression, un mouvement d’ores et déjà initié et ayant contribué à soutenir le rebond de l’activité.

Dans ces conditions, le message des banques centrales pourrait apparaître étrange : si l’activité constatée et anticipée se redresse, pourquoi maintenir un biais accommodant ? Les discours récents des officiels de la Fed tendent à confirmer que la sortie de QE3 (la troisième vague d’assouplissement quantitatif qui permet à la Fed de continuer à détendre les conditions monétaires et financières malgré des taux courts ayant touché la limite du zéro) ne sera pas initiée avant le printemps prochain, alors que la BCE a récemment abaissé ses taux et que certains de ses membres évoquent l’utilisation d’outils non-orthodoxes.

Il n’y a pourtant rien de contradictoire : si les données d’activité sont effectivement moins mauvaises récemment, elles restent bien insuffisantes eu égard à l’ampleur du retard pris ces dernières années. Imaginons un marathonien dont la vitesse moyenne est de 15km/h. Au cours de la première demi-heure de course, il a parcouru 7,5 km, mais soudain, il doit ralentir (que le choc soit exogène comme un violent orage ou endogène comme une douleur musculaire). Après la première heure de course, il n’a ainsi pas parcouru 15 km mais seulement 11 km, soit un retard à rattraper de 4 km. S’il veut terminer son marathon en 2 h et 49 mn (son record personnel), il va devoir creuser l’écart et donc accélérer et maintenir une vitesse plus rapide (de 18 km/h). En économie, une période de recul de l’activité ou de moindre croissance conduit au creusement d’un output gap (le niveau de l’activité constaté est inférieur à son potentiel, et un output gap négatif apparaît) qui pour être réduit nécessite une croissance plus rapide que le rythme potentiel.

Les récentes performances économiques, aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis, restent bien loin de ce qui serait nécessaire à réduire l’output gap. Les mesures du niveau potentiel d’activité sont délicates, souvent basées sur des modélisations dont les hypothèses peuvent être discutables (comme l’utilisation d’une estimation de longue période de la courbe de Philips, qui lie l’évolution des salaires ou de l’inflation à celle du taux de chômage, pour déterminer le niveau naturel du taux de chômage, ce qui peut conduire à surestimer ce dernier). Ainsi, selon que l’on retient les méthodes actuellement utilisées par la Commission européenne ou l’OCDE, l’output gap varie entre -4,6 et -7,2 points de PIB pour l’Espagne à la fin 2013…

Quel que soit leur ampleur, les output gaps sont très largement négatifs dans la plupart des pays de l’OCDE, traduisant l’existence de capacités de production excédentaires, la sous-utilisation de la main d’œuvre disponible étant la plus visible. Les capacités excédentaires expliquent les pressions à la baisse sur les prix, que ce soit sur le marché des biens et services ou celui du travail : l’offre excède la demande, et pour retrouver un équilibre, le prix doit baisser. Cette baisse n’est ni linéaire ni généralisée. Certains prix sont rigides à la baisse (comme les salaires des personnes déjà employées), et l’ajustement ne se fait alors pas totalement par les prix mais aussi par les volumes, expliquant la coexistence d’un chômage élevé et de salaires horaire qui continuent de progresser (un processus qui, mal lu, peut conduire à estimer que le taux naturel de chômage a augmenté). De plus, s’il est possible de modifier quasiment en temps réel le prix d’un voyage vendu sur internet, il en va autrement lorsqu’il s’agit d’un Airbus A380 ou de tarifs bancaires.

Les politiques menées par les banques centrales répondent à ces développements. La stratégie poursuivie par la BCE a consisté à remettre l’accent sur son objectif d’inflation, en soulignant sa volonté de le défendre «par le bas» aussi bien que «par le haut»: l’institution n’est pas plus confortable avec une inflation trop élevée qu’avec une inflation trop faible, et la baisse de taux récemment décidée illustre sa volonté de combattre la seconde avec la même force que la première. Les différences de mandat de la BCE et de la Fed expliquent également pourquoi leurs stratégies diffèrent, alors que leur objectif actuel est commun: combattre le risque déflationniste. Ainsi, la Fed a adopté un objectif (chiffré pour les taux, plus qualitatif pour QE3) de réduction du chômage tout en assouplissant (légèrement et pour un temps) son objectif d’inflation.

En résumé, tant que l’activité ne progressera pas à un taux substantiellement supérieur à son potentiel, les pressions à la baisse sur les prix continueront d’être puissantes, conduisant BCE et Fed à des politiques agressivement accommodantes. L’expérience japonaise a montré qu’une fois qu’une économie a été happée par la déflation, il est extrêmement difficile de l’en extirper. Fortes de cette expérience, la BCE et la Fed continueront de mettre tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter à l’Europe et aux Etats-Unis de succomber.

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