L’économie américaine à l’heure du tapering

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

L’économie américaine montre de nombreux signes d’embellie depuis quelques mois. Les indicateurs de confiance sont bien orientés, la croissance est finalement ressortie en hausse de 3,6% (en rythme annualisé) au T3, le marché du travail continue de s’améliorer avec d’importantes créations d’emplois (203K en novembre) et une baisse significative du taux de chômage depuis le début de l’année (il a diminué de 0,9pt à 7,0%).

La résilience de l’économie américaine au choc fiscal, le « fiscal cliff », qui a consisté en une baisse des dépenses et une hausse des taxes, s’explique principalement par la politique de la Fed, qui a permis de maintenir un policy-mix très accommodant en dépit du resserrement fiscal. Grâce à ses achats de titres du Trésor et de MBS (pour 85Md$ par mois depuis fin 2012), la Fed a provoqué une baisse des taux d’intérêt longs et une réappréciation des actifs plus risqués (actions et immobilier), qui ont favorisé la reprise du marché immobilier et les effets richesse. Si le redémarrage de la croissance est en grande partie le fruit de l’expansionnisme de la politique monétaire, il faut toutefois noter que l’économie américaine a connu des améliorations structurelles qui permettent d’être plus optimistes sur la croissance à moyen terme.

• La réduction du déficit public de 7% en 2012 à 4,1% en 2013 est une première étape dans le long processus d’assainissement des finances publiques américaines.

• L’assainissement du bilan des ménages depuis la crise financière. Le taux d’endettement des ménages a sensiblement baissé (de 130% mi-2007 à 104% en 2013). De façon liée, le marché immobilier s’est purgé. L’excès d’offre s’est résorbé avec la faiblesse des mises en chantier pendant plusieurs années, les stocks sont revenus à des niveaux jugés comme normaux. Avec cet ajustement, après leur baisse cumulée de 35% de mi-2006 à début 2012, les prix immobiliers sont repartis à la hausse et progressent désormais sur un rythme annuel de 12%. Cet assainissement du bilan des ménages américains, et en corollaire du marché immobilier, qui a duré six ans, était un prérequis à une reprise durable de l’économie américaine.

• La révolution énergétique avec l’exploitation du gaz de schiste a modifié le mix énergétique et a provoqué une forte baisse du prix du gaz naturel. Cette dernière a permis une amélioration de la compétitivité des entreprises américaines. Après leur forte baisse (de 25% entre 2000 et 2006), les parts de marché à l’exportation sont à nouveau orientées à la hausse et les entreprises américaines regagnent un peu de terrain sur les parts de marché domestiques, la demande intérieure étant de moins en moins servie par les importations.

Ces perspectives favorables ne doivent toutefois pas faire oublier les risques qui pèsent encore sur l’économie américaine.

• Le risque fiscal n’a pas complètement disparu : la division du Congrès entre républicains et démocrates a conduit à des situations de blocage cet automne. Si la situation semble s’être améliorée avec un début de compromis sur la question des dépenses, la prudence reste de mise. Les sujets qui fâchent vont revenir sur la table en début d’année prochaine. De plus, les problèmes de moyen terme n’ont pas encore été réglés, notamment la hausse des dépenses liée au vieillissement des baby- boomers qui va peser sur les finances publiques à partir de 2016

• Le besoin de financement extérieur des Etats-Unis a sensiblement diminué ces dernières années, le déficit courant s’est nettement amélioré passant de 6% du PIB mi-2006 à 2,5% en 2013. Les Etats-Unis restent cependant encore dépendants du financement du reste du monde. Jusqu’à présent, les Etats-Unis ont bénéficié du rôle prépondérant du dollar et n’ont donc pas eu de difficultés à se financer mais la donne pourrait changer à moyen terme avec la montée en puissance du yuan.

• A court terme, le grand défi va consister à commencer à sortir des politiques non conventionnelles (QE3) sans provoquer une remontée trop brutale des taux qui pourrait compromettre la reprise. La Fed va devoir agir de façon très progressive pour piloter les anticipations et éviter un krach obligataire. La forward guidance devrait être renforcée dans les mois qui viennent de façon à déconnecter la réduction des achats du QE3 et les anticipations de remontée des taux courts.

L’économie américaine peut aujourd’hui supporter une remontée modérée des taux longs. Il nous semble souhaitable que la Fed commence son tapering de façon à éviter une montée des déséquilibres sur certains marchés. Si nous tablions sur un début de tapering en janvier 2014 les derniers chiffres de l’emploi suggèrent que la Fed pourrait agir dès le prochain FOMC le 18 décembre.

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