Irlande : les bonnes nouvelles s’accumulent malgré un endettement très élevé

par Tristan Perrier, Stratégie et Recherche économique chez Amundi

L’Irlande est sortie officiellement, dimanche 15 décembre, du plan d’aide de 85 Mds € (majoritairement apportés par ses partenaires européens et le FMI) déployé pour elle en novembre 2010. Cette décision fait suite à la récupération progressive par le pays, depuis mi-2012, de son accès aux marchés internationaux de capitaux. Avec l’accord de ses bailleurs de fonds, l'Irlande a aussi choisi de ne pas requérir de ligne de crédit de précaution du MES*, devenant ainsi le premier des pays ayant bénéficié d’un plan d’aide durant la crise** à s’affranchir de la tutelle internationale. Ce renoncement à une aide supplémentaire a suscité de nombreux doutes chez les observateurs, mais avait une importance politique considérable, tant pour le pays que pour ses partenaires.

L’Europe peut ainsi, en effet, afficher au moins un début de success story concernant
la façon dont elle a assisté l’un de ses membres. S’il est vrai que la crise financière irlandaise (essentiellement bancaire) a été d’une nature très différente de celles subies, par exemple, par la Grèce ou le Portugal, le cas irlandais peut néanmoins être présenté comme exemplaire au moins à deux titres.

Tout d’abord, la population irlandaise a accepté, sans troubles sociaux majeurs, d’importants sacrifices avant même, puis en contrepartie de l’aide internationale. D’autre part, l’économie irlandaise, par sa flexibilité, répond déjà à certains des standards vers lesquels la Commission Européenne, le FMI, la BCE, ou encore l’Allemagne, souhaiteraient voir d’autres pays européens évoluer.

Des signes tangibles d’amélioration économique

A la sortie du plan d’aide se sont ajoutées, jeudi 19 décembre, d’heureuses surprises macroéconomiques. D’une part, la croissance du PIB au 3ème trimestre a été de +1,5% (soit nettement plus que les +0,6% attendus). D’autre part, le chiffre du 2ème trimestre a été révisé en forte hausse à +1%, au lieu de +0,4% annoncé préalablement), portant la croissance sur 12 mois à +1,7% et le rebond total, depuis le plus bas de fin 2009, à 4%. Après avoir subi un décrochage maximum de son PIB (-12% entre fin 2007 et fin 2009) supérieur à celui qu’ont connu le Portugal, l’Espagne et l’Italie, l’Irlande a donc su rebondir beaucoup plus fortement. Si le rattrapage du niveau pré-crise est encore loin, rappelons que le pays reste tout de même, en termes de PIB par habitant (environ 35 0000 €), plus riche que l’Allemagne (environ 33 000 €) ou la France (environ 31 000 €) et à peu près autant que les Pays-Bas. De plus, plusieurs éléments incitent à penser que l’embellie conjoncturelle devrait durer en 2014.

Tout d’abord, la croissance devient plus équilibrée : alors que le redressement devait beaucoup, au cours des dernières années, aux exportations (en hausse de 15% depuis leur point bas du 3ème trimestre 2009), les deux derniers trimestres ont vu un rebond de la demande interne, qu’il s’agisse de la consommation (+1,5% en cumulé), des importations (+3,2%) ou, de façon encore plus marquée, de l’investissement (+12,3% en cumulé).

De plus, rappelons que si l’expansion des exportations irlandaises dépendra largement
de la situation dans l’ensemble de la zone
euro, le pays est également fortement exposé à la conjoncture du Royaume-Uni et des Etats-
Unis, deux zones où la croissance est
aujourd’hui plus forte qu’en Europe continentale. Ensuite, l’amélioration de la position budgétaire (le déficit structurel est passé de -8,3% du PIB en 2010 à -5,1% en 2013) permet au gouvernement d’envisager un surplus primaire dès 2014 (pour la première fois depuis 2007), et de ralentir le rythme de l’ajustement : après 2,1% points de pourcentage (pp) de PIB en 2013, le resserrement ne devrait être que de 1,8pp en 2014 (dont près des deux tiers sous formes de nouvelles réductions de dépenses publiques, le solde étant constitué de revenus supplémentaires). Rappelons à ce sujet que les concessions obtenues par l’Irlande en 2013 auprès de ses partenaires de la zone euro (restructuration de la dette contractée par le pays auprès de sa propre banque centrale pour sauver son système bancaire, étalement des remboursements des prêts européens) ont permis de soulager largement les comptes publics.

Si la reprise se poursuit à son rythme actuel, le ratio dette publique / PIB devrait refluer à partir de 2014 après avoir atteint son pic en 2013 (124%).
Du côté du marché de l’emploi, l’amélioration est également tangible : après être passé de 5%, fin 2007, à un plus haut de 15,1% début 2012 (en données Eurostat), le taux de chômage a baissé de façon régulière au cours des deux dernières années pour tomber à 12,6% en octobre 2013. Le taux de participation tend, lui aussi, à remonter.

Il est vrai, toutefois, qu’une partie de cette amélioration tient à une forte émigration (le solde migratoire a été de -0.8% de la population en 2012,soit le plus fort taux de l’Union européenne, et le chiffre de 2013 sera probablement du même ordre).
Même l’immobilier, facteur central de la crise, donne quelques signes de stabilisation : après une chute de plus de 50% depuis le 3ème trimestre 2007, les prix des logements ont rebondi de 2,3% au 2ème trimestre 2013, un mouvement toutefois encore trop timide (et trop concentré géographiquement à Dublin) pour pouvoir conclure à une embellie durable. Néanmoins, pour l’heure, l’effet de confiance négatif lié à la valeur du patrimoine immobilier, préjudiciable à la consommation des ménages, paraît stabilisé.

L’endettement public et privé reste très élevé

Les principaux défis à relever sont liés au stock résiduel de dettes privées et publiques et à l’état du secteur bancaire. Représentant près de 110% du PIB, la dette des ménages est la plus élevée de la zone euro après celle des Pays-Bas et de Chypre.
Si la proportion élevée de prêts immobiliers à taux variables a amélioré sa soutenabilité (les remboursements représentent un peu plus de 6% du revenu disponible, contre plus de 10% en 2008), les prêts hypothécaires non performants représentent tout de même près de 20% du total.

Alors qu’elles pourraient avoir à consolider leurs bilans dans le contexte de l’Asset Quality Review mené par la BCE courant 2014, les banques continueront probablement d’avoir du mal, au cours des prochains trimestres, à ouvrir davantage les vannes du crédit aux entreprises locales. Or, si les grands groupes internationaux, très présents au sein de l’économie du pays, ont accès à d’autres financements que ceux octroyés par le système bancaire local, c’est nettement moins le cas des entreprises de taille plus modestes. Au total, le financement bancaire local des entreprises non financières représente tout de même plus de 50% du PIB (soit environ un quart de la dette totale des entreprises).

Conclusion : des progrès indéniables, mais déjà intégrés par les marchés

Malgré ce problème bancaire désormais contenu, mais pas encore résolu, 2013 restera sans doute comme un tournant important dans la reconstruction de l’économie irlandaise post-crise. Il est évidemment peu probable que le pays revienne rapidement à un rythme de croissance et à un taux de chômage similaires à ceux du début des années 2000. Néanmoins, dans l’ensemble, la combinaison d’une économie flexible, de mesures énergiques de restructuration et d’une aide efficace des partenaires européens a, dès à présent, permis un rétablissement plus rapide que ce qui aurait pu être anticipé il y a encore quelques trimestres.

Ces progres semblent, toutefois, déjà intégrés par les marchés, les rendements obligataires irlandais étant désormais très bas. Depuis la mise en place du plan de sauvetage, le spread avec l'Allemagne n'a cessé de baisser et est même passé nettement
sous celui de l'Espagne et de l'Italie : environ 160 pb de spread 10 ans pour l’Irlande contre
220 pb pour l’Espagne et de l’Italie. Les marchés obligataires nous semblent trop optimistes
en ce qui concerne l'Irlande, nos modèles indiquant une valeur d'équilibre de l'écart de taux 10 ans avec l'Allemagne aux alentours de 300 pb. En effet, si l'amélioration conjoncturelle irlandaise est indéniable, la dette publique est et restera pendant de nombreuses années très importante par rapport à la taille de l'économie.