Etats-Unis : Optimistes, mais raisonnablement

par Alexandra Estiot, économiste chez BNP Paribas

Alors que la semaine précédente avait vu la publication de données décevantes, notamment le rapport emploi, l’impression est bien plus positive cette semaine. Les ventes de détail ont enregistré une accélération notable en décembre. Hors automobiles, carburants, matériaux de construction et services alimentaires, leur rythme de progression annualisé sur trois mois s’est inscrit à +5,3% en décembre, après une moyenne de +4,7% au cours des quatre mois précédents. En avril 2013, ce taux était tombé à +3,1%, sous le poids qu’exerçait la hausse de 2 points de pourcentage du taux de cotisation salariale sur le revenu disponible des ménages.

Une fois prise en compte l’inflation, l’accélération des ventes de détail est encore plus marquée, avec des taux réels de progression passés de 1,2% en avril à 3,7% en décembre. Ces données sont compatibles avec une croissance trimestrielle annualisée de 3,7% des dépenses réelles de consommation de ménages au dernier trimestre 2013. Une telle performance serait inédite depuis la fin de 2010, et marquerait une très nette accélération après une progression moyenne de +1,9% sur les trois premiers trimestres de l’année. Si ce dynamisme venait à être confirmé, la consommation apporterait 2,6 points à la croissance trimestrielle annualisée du PIB au T4 2013. Dans la mesure où les dépenses d’investissement ont également été dynamiques, la demande intérieure finale aura fortement accéléré au T4 2013. Nous prévoyons une progression d’environ 3,5% (taux trimestriel annualisé). Par ailleurs, le déficit commercial américain s’est, une fois de plus, aux alentours de 3,5% du PIB. Le commerce extérieur pourrait donc avoir contribué positivement à la croissance d’environ 0,3 point de pourcentage. Si une partie seulement de la forte contribution des stocks à la croissance au T3 (1,5 pp) vient à être retracée au T4 (0,7 pp), la croissance du PIB aurait été de plus de 3%. En moyenne annuelle sur 2013, la croissance pourrait avoir atteint 2%.

La fin d’année aura donc été plus dynamique que ne le laissait envisager les évolutions constatées durant l’été. Reste à savoir dans quelle mesure les bonnes tendances du moment peuvent être extrapolées. Un certain nombre de bonnes nouvelles sont à prendre en compte. La principale réside dans l’orientation des finances publiques. Alors que ces dernières années, la réduction des déficits, a lourdement pesé sur la croissance, ce frein sera moins puissant en 2014. Les Etats et collectivités locales ont mis fin, dans leur grande majorité, à l’assainissement « structurel » de leurs finances, laissant l’amélioration de la conjoncture conduire à une hausse des recettes et à une baisse des dépenses, alors qu’au niveau fédéral, il n’est prévu cette année aucune hausse de prélèvements. La progression des dépenses reste contrainte par le « sequester », qui a établi des limites pour chaque exercice budgétaire, mais le Congrès a voté une hausse des dépenses discrétionnaires, la première en trois ans. De plus, l’accord budgétaire, voté cette semaine par le Congrès, permet un financement de l’Etat jusqu’à la fin du mois de septembre. La bonne nouvelle est qu’il n’y aura pas de shutdown en 2014. Si les finances publiques vont moins peser sur la croissance, tous les problèmes ne sont pas réglés pour autant. Ainsi, le Congrès doit de nouveau s’accorder sur le relèvement du plafond de la dette. Son actuelle suspension court jusqu’à la mi-février. Par ailleurs, l’expiration de l’indemnisation du chômage de longue durée (soit au- delà de 6 mois) pèsera très directement sur le revenu des ménages.

Un autre soutien à l’économie américaine viendra des échanges extérieurs. Alors que les Etats-Unis sont devenus le premier pays producteur de pétrole, ce qui allège sans l’annuler la facture énergétique, l’incroyable amélioration de la compétitivité externe des entreprises américaines leur permettra de profiter pleinement de perspectives de croissance mondiale à la hausse. Le moteur extérieur pourrait ainsi permettre de lancer un cercle vertueux, soutenant investissement et créations d’emplois. En janvier, les enquêtes menées par les Fed de New-York et Philadelphie indiquent un regain d’optimisme dans le secteur manufacturier. Notre Indice NEM, qui synthétise ces données afin de construire un indicateur unique directement comparable à celui de l’ISM, est passé de 51,4 en décembre à 53 en janvier. Les composantes « délai de livraison » et « niveau des stocks » se sont repliées, annonçant la nécessité de produire davantage dans les mois à venir.

Le secteur manufacturier américain semble bénéficier de perspectives encourageantes. Mais sa faible part dans la valeur ajoutée et l’emploi relativise l’ampleur de la reprise qu’il est possible d’en attendre. Le début d’année est donc empreint d’optimisme. Mais nous avons plusieurs fois commencé l’année avec un sentiment comparable, pour ensuite devoir réviser à la baisse nos prévisions. Car si une dynamique positive semble s’amorcer, le retard de croissance accumulé ces dernières années est tel qu’il continuera de contraindre la croissance des prix pendant longtemps. Certes, ceci permettra à la Fed de rester accommodante. Mais l’impossibilité pour les entreprises de répercuter sur les prix de vente une (éventuelle) hausse des coûts les contraindra à une grande prudence dans leurs décisions d’investissement et d’embauche. Il est ainsi difficile d’attendre une accélération marquée des revenus d’activité, ce qui limitera les dépenses des ménages, et donc la croissance.

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