France-Allemagne, convergence de vues ?

par Caroline Newhouse, économiste chez BNP Paribas

Le « pacte de responsabilité » proposé par le président de la République française a tout lieu de satisfaire Berlin (pour une analyse plus détaillée voir notre semaine dans la zone euro de la semaine dernière: « France, le grand tournant ?»). François Hollande a, en effet, fait une place d’honneur à l’approfondissement de la relation franco-allemande, déclinant trois axes de coopération renforcée.

Premièrement, il a évoqué l’harmonisation des règles fiscales, notamment pour les entreprises. De fait, l’assiette comme le taux de l’impôt sur les sociétés (IS) divergent de part et d’autre du Rhin. Si le taux de l’IS n’est pas très différent (34% en France contre 30% en Allemagne), c’est le poids des charges sociales qui fait surtout la différence (cf. infra) et permet à l’Allemagne d’afficher un taux total de prélèvements directs et indirects sur les bénéfices bruts des entreprises inférieur de près de 15 points à celui de la France (49,4% contre 64,7%, selon les calculs de la Banque Mondiale). Une réduction des distorsions de concurrence grâce à un rapprochement des assiettes devrait être bénéfique à l’échelle européenne. Dans ce contexte, la proposition du président de la République de supprimer les cotisations patronales sur la famille à l’horizon 2017, va dans le sens d’une harmonisation fiscale entre les deux pays. Cette suppression permettrait de réduire en France le coût du travail à hauteur de 5% environ, et le taux de marge des sociétés non financières (SNF) serait directement rehaussé d’environ trois points. Il remonterait ainsi de 28% à 31%. Il retrouverait son niveau de 2008 ainsi que son niveau moyen depuis 1986, par ailleurs assez stable. Cela reste toutefois relativement bas par rapport aux niveaux observés ailleurs dans la zone euro (moyenne proche de 40%).

Deuxièmement, François Hollande a annoncé une coordination de la transition énergétique entre les deux pays. C’est un enjeu majeur pour l’Europe et un point de différence sensible entre les deux pays. L’Allemagne a pris de l’avance dans le domaine des énergies renouvelables, comme l’a souligné le Président de la République. La part d’électricité renouvelable en Allemagne est passée de 6% à 22% en dix ans contre 15% en France actuellement. Angela Merkel a, par ailleurs, annoncé sa décision de renoncer d’ici 2022 au nucléaire (au total 15% de la production électrique allemande), alors que la France reste un leader mondial dans ce secteur (75% de son électricité vient de l’atome). Enfin, la part des énergies fossiles (charbon et gaz) émettrices de CO2 dans la production électrique totale représente 62% en Allemagne contre 10% en France. En outre la facture électrique des ménages allemands a doublé au cours des dix dernières années (la loi sur les énergies renouvelables votée en 2000 garantit pendant 20 ans le tarif de vente des producteurs d’énergie verte auprès des ménages grâce à un système de subventions1). Ainsi, la création d’une « grande entreprise franco- allemande » permettrait à la fois de fédérer la recherche et le développement et de mettre en place des synergies industrielles autour de l’objectif de réduction des effets de serre. Enfin, François Hollande a annoncé son intention d’ « œuvrer à un couple franco-allemand qui puisse agir pour l’Europe de la défense ». Les divergences d’approches en matière de structure, de capacités et d’opérations persistent entre les deux partenaires, la France n’hésitant pas à intervenir militairement lorsque des enjeux humanitaires ou stratégiques le justifient à ses yeux, tandis que l’Allemagne reste historiquement hostile à l’envoi de troupes sur le terrain. Mais plusieurs pistes sont déjà à l’étude, en particulier concernant des projets industriels communs dans le domaine de la défense et de l’armement.

Au-delà des propositions du Président visant à renforcer la solidité du couple franco-allemand, François Hollande s’est vraisemblablement inspiré de la philosophie de l’agenda 2010 pour présenter le pacte de responsabilité. Tout d’abord, comme Gerhardt Schröder, il a fait appel à un diagnostic de « spécialistes » (cf. le rapport Gallois). Le constat de départ est le même. La «cote d’alerte » a été atteinte dans l’hexagone. Les parts de marché de la France ont baissé de près de 40% depuis une décennie et l’industrie française est en perte de vitesse. En outre, l’industrie française a pâti vis-à-vis de l’Allemagne de l’évolution du coût du travail, et en particulier des cotisations sociales payées par les employeurs. Dans les années 2000, un diagnostic quasi identique est dressé Outre- Rhin. L’Allemagne était alors « l’homme malade de l’Europe ».

Le pays traversait une période de stagnation économique (hausse du PIB de moins de 0,3% en moyenne entre 2002 et 2005, contre 1,4% dans la zone euro). L’absence de croissance contribuait à la fois à l’augmentation du chômage qui a dépassé la barre symbolique des 4 millions au printemps 2002 et à l’accroissement des déficits publics (le ratio de déficit rapporté au PIB dépassait 4% en 2003). Par ailleurs, la hausse des cotisations sociales nécessaire à la poursuite du financement du système de protection social renchérissait le facteur travail finissant ainsi de boucler le cercle vicieux. Fort de ce constat, Gerhard Schröder s’est engagé dans un train de réformes structurelles radicales, estimant que la crise justifiait de prendre des mesures courageuses dépassant l’horizon de son seul mandat électoral. Il visait ainsi à la fois à consolider les finances publiques et renforcer la compétitivité du pays. Enfin, la mise en œuvre de l’agenda 2010, guidée par un principe résumé dans l’expression « exiger et aider », a provoqué une véritable révolution copernicienne sur le marché du travail allemand en introduisant un nouvel équilibre entre d’une part la sauvegarde du système de protection sociale (assurance chômage, maladie et retraite) et d’autre part la responsabilité individuelle des demandeurs d’emploi. En sera-t-il de même pour le pacte de responsabilité ?

NOTES

  1. Bruxelles a ouvert, en décembre dernier, une enquête approfondie sur le dispositif central de la loi allemande sur les énergies renouvelables, soupçonné de fausser la concurrence. L’enjeu est de taille pour Berlin : la Commission pourrait réclamer aux entreprises allemandes le remboursement intégral des aides reçues depuis dix ans.

Retrouvez les études économiques de BNP Paribas