L’économie américaine peut-elle vivre sans la Fed ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

L’économie américaine a connu en 2013 un choc fiscal de grande ampleur avec le fameux « fiscal cliff ». Si la réduction du déficit public de 2,6pts de PIB (de 6,7% en 2012 à 4,1% en 2013) est également due à des facteurs exceptionnels (paiement de dividendes des agences Freddie Mac et Fannie Mae) et cycliques, la baisse des dépenses publiques et la hausse des impôts liées à la falaise budgétaire en expliquent près de la moitié. Malgré cette politique budgétaire restrictive, la croissance américaine a progressé de 1,9% en moyenne en 2013. Après un faible premier semestre (1,8% en rythme annualisé), la croissance a atteint 3,7% (en rythme annualisé) en deuxième partie d’année.

Cette bonne résilience de l’économie américaine s’explique principalement par l’expansionnisme de la politique monétaire sur la même période, qui a permis une baisse des taux d’intérêt soutenant la reprise du marché immobilier et parallèlement une revalorisation des actifs plus risqués (30% sur le S&P500 et 12% sur les prix immobiliers) à la source d’effets richesse. Ainsi, les ménages n’ont que peu ajusté à la baisse leur consommation.

On peut donc se demander si la croissance américaine va résister à l’ajustement de la politique monétaire. En effet, poursuivant sur sa lancée de décembre, la Fed a annoncé le 29 janvier une nouvelle réduction de 10Md$ de ses achats de titres à 65Md$ par mois. Sauf mauvaise surprise macroéconomique ou financière, elle devrait continuer sur le même rythme à chaque FOMC. En octobre, le tapering devrait être achevé, le bilan de la Fed aura encore grossi d’environ 500Md$ en 2014 ! En dynamique, les flux injectés diminuent mais la liquidité va encore continuer de progresser cette année. La politique monétaire américaine va donc rester expansionniste, surtout avec le réinvestissement des tombées des titres au bilan qui implique une taille de bilan inchangée à la fin du tapering et l’engagement du maintien des taux courts à leur bas niveau. Toutefois, il ne faudrait pas négliger les effets négatifs de la remontée des taux longs – nous attendons un taux 10 ans à 3,5% fin 2014 – sur l’investissement résidentiel qui devrait largement ralentir passant d’un rythme de 12% en 2013 à environ 4% en 2014.

Nous voyons plusieurs facteurs et évolutions qui devraient permettre à l’économie américaine de revenir sur un rythme de croissance proche voir légèrement au-dessus de son potentiel (notre prévision 2,6%). D’une part, la politique budgétaire va être quasiment neutre pour la croissance. D’autre part, la fin du désendettement des ménages américains (Voir Flash 2014-90 "Etats-Unis : la fin du désendettement des ménages, un facteur propice à la croissance américaine") – l’ajustement de leur bilan étant bien avancé – suggère que celui-ci ne sera plus un obstacle à la croissance. Dans un environnement d’inflation relativement faible (1,7%) et de poursuite de l’amélioration du marché de l’emploi, le consommateur américain devrait faire son retour. Par ailleurs, la révolution énergétique, loin d’être anecdotique, commence à avoir des effets sur d’autres secteurs de l’économie et favorise la réduction du déficit courant américain (2,3% en 2013 vs un pic à 5,8% en 2006). Enfin, nous anticipons le retour du business cycle : après le ralentissement de l’investissement en équipement en 2013, il nous semble que les conditions sont réunies pour envisager une accélération en 2014/2015. La situation des entreprises non financières est bonne : si le taux de profit (en % du PIB) a eu tendance à stagner suggérant l’arrêt de la déformation du partage de la valeur ajoutée en faveur des entreprises en 2013, il reste à un haut niveau. Par ailleurs, leur taux d’autofinancement est très élevé (111%) même s’il faut nuancer la hausse du T3-2013 liée en partie à la modération de l’investissement. Enfin, après une longue période de faiblesse, le taux d’utilisation des capacités de production revient vers son niveau de long terme suggérant des tensions prochaines sur les capacités de production nécessitant davantage d’investissement. Dans un environnement où la demande anticipée est bien orientée, il nous semble que les entreprises vont donc être incitées à augmenter leurs investissements.

Qu’est ce qui pourrait faire dérailler la croissance américaine ?

Une remontée plus forte qu’anticipée des taux longs pourrait freiner davantage la reprise du marché immobilier limitant la capacité des ménages à souscrire des crédits, pourrait également peser sur les actifs risqués.

L’absence de redémarrage de l’investissement des entreprises liée à l’inquiétude sur la reprise de la croissance mondiale qui pourrait venir soit des pays émergents (accentuation de la crise actuelle), de la Chine (faiblesse de la croissance et dans l’éventualité d’une annonce de modification de l’objectif de croissance à 7%,…), ou de la zone euro (crainte sur l’endettement public de certains pays).

Un autre risque à court terme pourrait provenir d’une forte appréciation du dollar avec les tensions sur de nombreuses monnaies émergentes, l’amélioration des termes de l’échange entrainant une perte de compétitivité de l’économie américaine mais cet effet pourrait être atténué par une éventuelle baisse des taux longs.

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