La BCE joue à nouveau la montre

par Frederik Ducrozet, économiste au Crédit Agricole

• La BCE a déçu les observateurs qui s’attendaient à un assouplissement monétaire ce mois-ci, mais il nous semble que Mario Draghi – en mettant en avant le manque d’informations disponibles – a surtout cherché à remettre une telle décision à plus tard. Une baisse de taux reste selon nous d’actualité pour la réunion de mars.

• L’enquête SPF (Survey of Professional Forecasters), qui sera publiée le 13 février, et les nouvelles prévisions du staff de la BCE (dont l’horizon sera étendu à l’année 2016) pourraient justifier une légère baisse du principal taux de refinancement (-10 pdb). Une dégradation généralisée des perspectives économiques mondiales amènerait également la BCE à réévaluer ses perspectives d’inflation à moyen terme.

• L’absence de nouvelle annonce concernant la liquidité constitue une déception plus importante pour le marché. Mario Draghi a insisté sur la distinction à faire entre la volatilité croissante de l’Eonia (un problème qui peut être géré à l’aide de mesures ad hoc de gestion de la liquidité) et une possible contagion à l’ensemble de la courbe des taux interbancaires (à laquelle il conviendrait de répondre par un renforcement de la stratégie de guidage des anticipations). La BCE se tient prête à agir, sans exclure aucun instrument.

La BCE a laissé l’ensemble de ses taux directeurs inchangés et n’a pas modifié son analyse générale de l’activité économique et de la dynamique de l’inflation en zone euro. Mario Draghi est resté dovish, « réaffirmant avec force » la stratégie de guidage des anticipations, tout en s’engageant à prendre des « mesures décisives » si nécessaire. Le président de la BCE ne s’est toutefois pas montré plus dovish qu’en janvier, contrairement aux attentes du marché et n’a pas davantage fait allusion à de futures décisions sur les taux ou la liquidité. La principale explication avancée est que le Conseil des gouverneurs ne disposait pas de suffisamment d’informations pour prendre une décision à ce stade. Mario Draghi a ajouté que la situation était «complexe » et qu’il était nécessaire d’en savoir davantage, notamment sur la tendance à court terme de l’inflation. Comme nous l’anticipions, la surprise sur le chiffre de l’inflation de janvier n’a pas été suffisante pour provoquer une baisse des taux dès la réunion du 6 février. Les commentaires de Mario Draghi sur l’évolution du crédit (« la situation pourrait s’améliorer, rester en l’état ou se détériorer ») suggèrent également un certain inconfort vis-à-vis de la situation actuelle, malgré l’amélioration des indicateurs avancés.

Plusieurs raisons nous amènent néanmoins à penser qu’une légère baisse du taux de refinancement (-10 pdb) reste probable en mars, en dépit du ton légèrement moins dovish qu’attendu de la conférence de presse de février :

• La publication des chiffres définitifs d’inflation pour le mois de janvier et l’estimation « flash » pour février pourraient donner de nouveaux et inquiétants signes de faiblesse – voire de recul – de l’inflation sous-jacente selon certaines mesures. Nous tablons dans le meilleur des cas sur le maintien d’une inflation sous-jacente faible jusqu’en mars/avril, avec des risques asymétriques parmi lesquels une possible correction baissière du prix des matières premières liée à la situation dans les pays émergents et une appréciation (temporaire) de l’euro.

• Point important, la BCE va rester très attentive à l’évolution des anticipations d’inflation. Un éventuel décalage à la baisse des anticipations d’inflation à court et moyen terme dans l’enquête SPF (Survey of Professional Forecasters, qui sera publiée prochainement) pourrait suffire, selon nous, à justifier une baisse des taux lors de la réunion de mars. Le président de la BCE n’a pas commenté cette enquête ce mois-ci, bien qu’il ait dû en avoir un aperçu (le Conseil des gouverneurs reçoit habituellement une version préliminaire de cette enquête à l’avance et le président en commente souvent les principales tendances, lorsque cela lui semble utile). Ceci, à notre sens, est un argument de plus suggérant le simple report, et non l’annulation, d’une future baisse des taux.

• Les prévisions du staff seront mises à jour le mois prochain. Point important, ces prévisions couvriront désormais une année de plus et permettront donc de connaître les projections de croissance et d’inflation jusqu’en 2016. C’est une évolution que nous attendions depuis assez longtemps et qui devrait notamment permettre à la BCE de se montrer plus explicite quant à l’horizon de temps couvert par sa stratégie de guidage des anticipations. En pratique, nous attendons une légère baisse des projections d’inflation du staff pour 2014 et 2015, ce qui constituera une justification supplémentaire d’une légère baisse des taux. La projection médiane de l’inflation pour 2016 pourrait s’établir autour de 1,75%, un niveau plus proche de la cible. Cela illustrerait de façon élégante et équilibrée le scénario central de la BCE selon lequel une « période prolongée d’inflation basse » serait suivie d’un « mouvement de remontée graduelle vers des niveaux d’inflation proches de 2%, mais inférieurs à ce niveau ». Mario Draghi a une nouvelle fois défendu ce scénario et rejeté avec force l’hypothèse d’une évolution de l’Europe vers un scénario de déflation « à la japonaise ».

• Dernier point, toute dégradation des perspectives mondiales de croissance, liée notamment aux pressions subies par les pays émergents, fournirait une raison de plus à la BCE de réévaluer sa balance des risques, non seulement sur l’activité (sur laquelle les risques sont déjà orientés à la baisse), mais également sur la stabilité des prix. Lors de sa réunion de février, la BCE a en effet considéré que la balance des risques sur la stabilité des prix était restée « globalement équilibrée », avec des risques limités à la hausse comme à la baisse, mais ce diagnostic semble susceptible d’évoluer en cas de nouveau choc – même limité – sur le scénario central de la banque centrale.

• A l’inverse, Mario Draghi a, comme nous l’anticipions, minimisé l’importance de l’évolution récente des agrégats monétaires et de crédit. Il a davantage insisté sur certains détails de composantes de la masse monétaire (M3) que sur le chiffre global, tout en ajoutant que des facteurs exceptionnels (tels que la « photo » des bilans bancaires prise fin 2013 au titre de l’Asset Quality Review ou l’accélération du désendettement des banques, visible en particulier sur l’évolution des créances nettes des IMF) avaient occulté l’amélioration graduelle de l’évolution (initialement très défavorable) du crédit. Ces signes encourageants ont été confortés par l’amélioration des composantes avancées de l’enquête trimestrielle de la BCE sur les conditions de crédit (Bank Lending Survey), une amélioration observée à la fois sur l’offre de crédit et sur la demande. Dans les mois qui viennent, une surprise négative sur les données monétaires et de crédit ne suffirait donc pas, à elle seule, à déclencher un assouplissement monétaire.

Au final, nous maintenons notre prévision d’une légère baisse du taux de refinancement en mars (-10 pdb), tout en reconnaissant qu’un report supplémentaire est possible. Point important, l’idée d’un passage du taux de dépôt en territoire négatif ne semble pas avoir suscité davantage d’adhésion ce mois-ci et nous continuons de penser que la BCE cherchera à éviter ce scénario. L’enquête SPF de la semaine prochaine (et les éventuels commentaires des membres de la BCE à ce sujet) sera déterminante sur la manière dont les marchés anticiperont de possibles assouplissements monétaires supplémentaires. Sur le front de la liquidité, enfin, l’absence d’allusion à un nouvel outil pourrait susciter une certaine déception, mais de nouvelles mesures d’ajustement restent probables dans les mois qui viennent (afin de faire augmenter l’excès de liquidité) avant une réponse, potentiellement plus ambitieuse, plus tard dans l’année, telle qu’une opération de refinancement ciblée (LTRO) visant à améliorer la transmission de la politique monétaire.

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