BCE : mieux vaut guérir que prévenir ?

par Marie-Pierre Ripert, économiste chez Natixis

Finalement la BCE a choisi le statu quo en maintenant ses taux directeurs inchangés mais surtout en n’annonçant aucune nouvelle mesure lors de la réunion du Conseil des Gouverneurs du 6 février. Elle souhaite se donner le temps de voir comment les choses vont évoluer avant d’agir mais réitère qu’elle est prête à le faire si nécessaire, voire qu’elle le souhaite (Mario Draghi a exprimé à plusieurs reprises la volonté d’agir).

Elle avait pourtant une fenêtre ouverte : mettant en avant le mois dernier que l’augmentation du risque de déflation et les tensions sur les marchés monétaires constituaient les deux facteurs susceptibles de la faire bouger, les évolutions récentes militaient pour une action rapide de la BCE : en janvier, non seulement l’inflation de la zone euro avait à nouveau baissé à 0,7% mais les marchés monétaires avaient montré des tensions. Par ailleurs, même si les anticipations d’inflation restent ancrées, elles ont cependant tendance à baisser.

La BCE n’a donc pas voulu céder à la pression des marchés et agir dans la précipitation. Sa perception des risques n’a pas évolué, ceux portant sur la croissance étant toujours orientés à la baisse alors que ceux sur l’inflation restent équilibrés. Nous partageons le point de vue de la BCE sur le premier point mais nous sommes plus prudents concernant les risques sur l’inflation ou plutôt sur la déflation. Il nous semble en effet qu’aujourd’hui ce risque n’est pas symétrique, la probabilité de rester avec une faible inflation encore longtemps est plus forte que celle de repasser au-dessus de 2% de façon durable… Comme nous le mettions en avant en novembre dernier, mieux vaut prévenir que guérir dans le cas de la déflation. C’est dans cette optique que la politique monétaire a été menée par B. Bernanke aux Etats-Unis ces dernières années. Faut-il attendre un décrochage des anticipations d’inflation pour mettre en place une politique monétaire plus agressive ?

Pourquoi cet attentisme de la part de la BCE ?

L’amélioration de la conjoncture dans les pays de la zone euro a, peut-être, été un facteur favorisant le statu quo ce mois- ci, même si la BCE reste très prudente dans ses commentaires concernant les perspectives économiques. De plus, les tensions sur les marchés monétaires s’étaient quelque peu atténuées depuis quelques jours mais l’eonia reste toutefois supérieur au niveau d’octobre dernier. Enfin, elle souhaite probablement garder des marges de manœuvre en cas de dégradation mais cette dernière pourrait en fait résulter de l’inaction.

Comme nous l’avons souligné à diverses reprises, la BCE a différents outils à sa disposition pour rendre sa politique plus accommodante (cf. Edito du 24-01-14 "La BCE face aux tensions sur les marchés monétaires"). On peut distinguer ceux visant à alléger les tensions sur les marchés monétaires et ceux visant à lutter contre la déflation mais il faut garder en tête que fluidifier les marchés monétaires et maintenir les taux courts le plus bas possible sont aussi des moyens de lutter contre la déflation via un assouplissement des conditions monétaires et en corollaire des conditions de crédit. Or si la BCE n’exclut pas d’utiliser les grands moyens pour lutter contre la déflation comme des achats de titres privés par exemple, elle ne semble guère disposée à les mettre en place. Outre les difficultés techniques (choix des prêts, non-discrimination par pays,…), la BCE devrait faire face aux remarques sur le risque pris à son bilan et sur son intervention sur les bilans bancaires alors que l’AQR (Asset Quality Review) est en marche. Une solution serait de n’acheter que de nouveaux prêts pour favoriser le financement de l’économie ou de mettre en place une facilité de liquidité visant à être utilisée par les banques pour financer uniquement de nouveaux prêts. Alors que la légère amélioration des conditions d’octroi de crédit en zone euro, en particulier en Espagne, est un signe positif pour la BCE, l’évolution effective des crédits à l’économie ne s’améliore guère. Les crédits aux entreprises étaient encore en baisse de -14,2% sur un an en Espagne et -6,1% en Italie en décembre 2013. Un point important des dernières enquêtes auprès des banques est l’amélioration de la demande de prêts par les agents privés (notamment les entreprises) suggérant un potentiel besoin insatisfait de crédit.

Au total, le comportement de la BCE le mois prochain dépendra grandement des évolutions macroéconomiques d’ici là, de la situation sur les marchés monétaires et des anticipations d’inflation. Si les tensions monétaires persistent, les mesures visant à libérer de la liquidité dans le système seront probablement mises en place (moindre stérilisation du SMP, baisse du taux des réserves obligatoires à 0,5%). Avec une inflation qui va rester proche de 0,7/0,8% en février, la BCE pourrait finalement se décider à baisser le refi mais il ne faut probablement pas s’attendre à des mesures plus exceptionnelles à très court terme.

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