Que peut (va ?) faire la BCE en 2014 ?

par Philippe Ithurbide, Directeur Recherche, Stratégie et Analyse chez Amundi

Comme la Banque d’Angleterre, la Banque du Japon ou la Fed, la BCE a accepté un très net gonflement de son bilan suite à la crise financière. Certes, elle n’a pas utilisé les mêmes instruments, notamment du fait de statuts différents lui interdisant certaines opérations du type Quantitative Easing (QE) japonais ou américain, mais la BCE a apporté la liquidité aux banques et aux marchés financiers. Le manque de flexibilité ou de réactivité a parfois été reproché à la BCE… sans doute à tort.

Au moment où la Fed entame le retrait – graduel – de son programme de QE, devenu moins nécessaire désormais compte tenu du retour de la croissance et des profits d’entreprises et de la fin du cycle de deleveraging privé (voir sur ce point notre édition de janvier, et plus précisément l’article sur les politiques monétaires), il convient de s’interroger sur la situation de la BCE.

De nouvelles actions sont sans doute nécessaires

Bonnes nouvelles: la croissance est de retour en zone euro, les pays sortent un à un de la récession, les exportations jouent de nouveau le rôle de moteur de croissance dans bon nombre de pays périphériques, le stress financier est au plus bas… Pourtant, la croissance économique reste faible, l’activité n’a toujours pas retrouvé l’investissement comme réel moteur de croissance (hormis en Allemagne), la consommation déçoit et la rigueur budgétaire s’impose. Difficile dans ces conditions d’espérer une accélération de la croissance économique. Au total, la zone euro va « mieux », et elle ira sans doute de « mieux en mieux », mais cela ne veut pas dire pour autant qu’elle va « bien ». Gouvernements et BCE doivent faire face à des préoccupations majeures :

• Comment faire reculer définitivement les risques de déflation? On a encore en mémoire la baisse des taux directeurs de novembre consécutive à la chute des indices de prix. Ces risques sont encore très présents, notamment dans les pays périphériques de la zone.

• Comment améliorer le marché de l’emploi ? Depuis la crise financière, la dégradation est visible partout, sauf dans des pays comme l’Allemagne où le taux de chômage a reflué, au prix cependant d’une hausse de la précarité de l’emploi.

• Comment éliminer définitivement les craintes associées aux systèmes bancaires de certains pays ? La situation des banques s’est très fortement améliorée, notamment suite aux LTRO de la BCE, et ensuite du fait de la reprise économique, mais cette réalité est moins visible dans certains pays périphériques, où la santé des banques n’est pas encore satisfaisante.

• Comment réactiver le marché du crédit bancaire ? Celui-ci reste globalement bloqué dans l’ensemble de la zone euro et plus particulièrement, évidemment, dans les pays périphériques. Sans crédit, les PME sont en danger. Les grandes entreprises peuvent recourir aux marchés des capitaux, mais elles dépendent lourdement des banques pour financer leurs programmes d’investissement ou simplement leur activité. Rappelons également que les PME assurent entre 75 % et 80 % des emplois dans les pays de la zone euro. C’est dire le rôle crucial des banques dans l’économie. On comprend à quel point le blocage du marché du crédit bancaire est un lourd handicap pour les économies de la zone euro. 
Lors du comité de politique monétaire de janvier 2014, M. Draghi a indiqué que deux configurations obligeraient la BCE à agir, une remontée trop rapide des taux monétaires et une baisse inattendue de l’inflation. Ces deux déclencheurs induiraient des réactions évidemment différentes. La BCE a bien évidemment conscience de cette situation et du rôle qu’elle peut jouer. Jens Weidmann, président de la Bundesbank, rappelait récemment que, “techniquement, nous (les banquiers centraux européens) n’avons pas atteint les limites de ce que nous pouvons faire. La question est de savoir ce qui fait vraiment sens”.

Quelles sont les pistes de solutions? Elles sont nombreuses: il y a quelques mois, en réunion privée, un membre du directoire de la BCE indiquait: “vous n’avez pas idée du nombre d’instruments dont dispose la BCE”. Nous en avons dénombré pas moins de douze.

12 solutions, certaines inévitables, certaines complémentaires, et d’autres parfois impossibles à mettre en œuvre :
que fera la BCE ?

1. Mieux expliquer ses actions, et publier des minutes, à l’instar d’autres grandes banques centrales comme la Fed. Contrairement aux années 80 et 90, au cours desquelles on estimait généralement qu'une politique monétaire, pour être efficace, devait être non anticipée, la stratégie des banques centrales est désormais basée sur la communication et la conviction. Il est fort probable que la BCE se « prête au jeu » des compte-rendus explicites et formels.

Probabilité : assez élevée.


Intérêt: faible. Ce n’est pas cela qui va améliorer les conditions du crédit et réduire les craintes de déflation.

2. Adopter une stratégie plus explicite de forward guidance. La Banque d’Angleterre et la Fed ont adopté cet « instrument de politique monétaire, » ainsi qualifié par Janet Yellen (voir sur ce point Philippe Ithurbide : « Qui êtes- vous, Madame Yellen?», Amundi Discussion Paper #1, janvier2014). La difficulté est sans doute que dans le cas de la BCE, il serait bien difficile de choisir un seul indicateur, et ce pour au moins trois raisons :

• Le crédit bancaire, la croissance et l’emploi peuvent difficilement être dissociés ;

• Dans le cas de la zone euro, comment choisir un indicateur différent de celui qui apparaît comme la mission unique de la BCE, inscrit dans ses statuts, en d’autres termes l’inflation ?

La BCE peut-elle vraiment afficher qu’elle recherche une plus forte inflation… un objectif qui ne serait pas en ligne avec la « culture de la BCE ». Ne surestimons pas cet argument. La BCE a récemment montré de façon très explicite que le fléchissement des indices de prix ne lui convenait pas, tant il est le reflet de risques de déflation.

Probabilité : relativement faible.


Intérêt: faible. Ce n’est pas cela qui va améliorer les conditions du crédit et 
réduire les craintes de déflation.


3. Lancer un nouveau programme de LTRO… les deux premiers LTRO avaient eu un grand succès, tant ils avaient convaincu les investisseurs qu’il était inutile d’attendre des crises de liquidité bancaire. Les prêts de la BCE aux banques étaient subitement passés de 30 jours à plus de 900 jours. On peut imaginer que la BCE lance un LTRO de long terme (5 à 7 ans) pour rassurer totalement sur les banques des pays périphériques. Elle pourrait, pour une plus grande efficacité, garantir de la liquidité à des taux attractifs (en comparaison des taux de refinancement sur le marché) pour les banques de la périphérie et pénalisants pour les banques en bonne santé, qui peuvent se refinancer à des taux plus intéressants sur les marchés financiers. On sait que l’attribution de liquidité aux banques via des LTRO se traduit, lorsque les banques sont en difficulté, par des achats d’obligations et non par des prêts bancaires aux entreprises. Autrement dit, jusqu’ici, les LTRO ont été des instruments d’amélioration de solvabilité, et non des outils de développement du crédit bancaire.


Probabilité : relativement élevée.

Intérêt: faible. Crucial pour la liquidité des banques, mais la liquidité ne 
garantit pas la revitalisation du marché du crédit bancaire.

4. Baisser de nouveau le taux des réserves obligatoires. Cela permettrait de dégager des liquidités supplémentaires pour les banques, mais cela ne garantit nullement que cela permettrait une offre de crédit plus ample. La BCE avait déjà fait un tel geste en 2011, et cela s’était davantage traduit à ce moment-là par des achats d’obligations, les banques étant alors au centre de la crise financière, les marchés doutant de leur liquidité – solvabilité.

Probabilité : modérée.


Intérêt: faible. Intéressant pour la liquidité des banques, mais la liquidité ne garantit pas la revitalisation du marché du crédit bancaire.

5. Mettre en place l’équivalent du Funding for Lending de la Banque d’Angleterre pour soutenir le crédit aux PME. Revitaliser le crédit bancaire aux PME est sans conteste l’action la plus indispensable actuellement. Les LTRO et les baisses de taux de réserves obligatoires n’ont pas jusqu’ici donné des résultats probants sur ce sujet. Fournir de la liquidité avec conditionnalité (accorder des prêts bancaires) permettrait sans conteste de relancer le crédit. Cela vaudrait essentiellement, voire exclusivement, pour les banques en bonne santé, celles qui sont susceptibles d’accorder des crédits.

Probabilité : élevée.

Intérêt: très élevé. Il existe des exemples récents qui montrent l’efficacité d’une telle mesure.

6. Procéder à des achats d’actifs publics, à l’image du QE de la Fed. Nombreux sont ceux qui attendent – désespérément – un QE de cette forme, mais leurs espoirs sont déçus, tout simplement parce que cela est impossible au regard des statuts de la BCE.

Probabilité : nulle.
Intérêt: très élevé en période de crise, moins important en ce moment. Les statuts de la BCE interdisent une telle action.

7. Procéder à des achats d’actifs privés. La BCE pourrait mettre en place, si besoin est, un programme d’achats de titres privés, un TARP à l’européenne.

Probabilité : relativement élevée.

Intérêt: cela permettrait de faciliter la fin du deleveraging bancaire et de redonner des marges de manœuvre aux banques en termes de crédit en réduisant leur niveau de risque global).

8. Poursuivre le programme SMP, sans stérilisation. Cela nous semble bien peu probable, compte tenu des résistances au sein même de la BCE, mais surtout des conditions de marché qui ne nécessitent pas ce genre d’actions. La volatilité est faible, le stress financier au plus bas, la croissance plus solide et les spreads de crédit entre les souverains européens et l’Allemagne n’ont cessé de se replier.

Probabilité: faible a priori, car beaucoup de désaccords au sein de la BCE, mais probabilité qui grandit si l’on se fie aux débats internes à la BCE.

Intérêt : un moyen de poursuivre les injections de liquidité.

9. Procéder à la mise en place du programme OMT. Le programme d’achats de titres du gouvernement pour des montants illimités mais avec conditionnalité avait été proposé par Mario Draghi à la mi-2012. Les marchés avaient retenu – à juste titre – le caractère illimité de ces opérations, et évoquer ce programme avait suffi à calmer les craintes de crise de liquidité sur certains souverains, Espagne en tête. Seule une crise serait de nature à remettre ce programme – dont le contenu précis reste encore à définir – sur le devant de la scène.

Probabilité : nulle, sauf en cas de retour de crise de la dette.

Intérêt : utile en cas de crise, pour atténuer le stress sur les pays périphériques.

10. Une nouvelle baisse des taux directeurs. Le taux directeur de la BCE se situe à 0,25 % depuis le 7 novembre 2013, date de la dernière baisse des taux. Ce geste avait été motivé par la forte chute des indices d’inflation, signe que les craintes de déflation restaient au centre des préoccupations du directoire de la BCE. La baisse des taux montrait également que le « clan » de ceux qui considèrent que la désinflation actuelle est davantage un reflet des risques déflationnistes a pris la main sur ceux qui considèrent que la désinflation est un atout, notamment en termes de compétitivité. Il nous paraît clair que si ces risques de déflation refont surface, la BCE n’hésitera pas à porter son taux directeur à 0,10 % par exemple.

Probabilité: relativement élevée si les risques de déflation refont surface, et nulle dans le cas contraire.

Intérêt: faible, car la probabilité d’une propagation d’une baisse des taux courts vers les taux longs est faible dans le contexte actuel élevé, et il s’agirait de la dernière cartouche de la BCE en matière de taux directeurs.

11. Instaurer un taux de dépôt négatif. Cette mesure est souvent évoquée. L’idée est de décourager les banques de déposer leurs liquidités à la BCE, en espérant qu’une fois retirés, les dépôts serviraient à accroître l’offre de crédit. Non seulement, cela n’est pas garanti (voir plus haut), mais en outre, cela inciterait les remboursements de LTRO des banques qui en ont encore l’usage, c’est-à-dire les banques des pays périphériques, celles-là mêmes qui sont encore fragiles. Autrement dit, une telle mesure pourrait être rapidement perçue comme étant contre-productive.

Probabilité : faible.

Intérêt : très incertain pour les raisons évoquées ci-dessus.

12. Accélérer la mise en place de l’Union Bancaire Européenne.

Évidemment, la BCE ne peut pas à elle seule accélérer le processus actuel, mais elle est une partie prenante essentielle dans le processus. L’Union bancaire permettrait de « mettre l‘abri » des banques des craintes de liquidité – solvabilité et des inquiétudes relatives à des éventuelles recapitalisations. Pour mémoire, l’UBE comprend trois éléments :

• Un Mécanisme de Supervision Unique (SSM: Single Supervisory Mechanism). Il s’agit de la BCE, et ce dispositif sera opérationnel à la fin de 2014. Une fois ce dispositif effectif, il sera possible de recapitaliser les banques via le Mécanisme de Stabilité Européen.

• Un mode de résolution des problèmes bancaires (BRR : Bank Resolution Regime). La première étape est d’harmoniser les régimes et, dans un second temps, d’adopter (sur proposition de la Commission européenne) un mécanisme de résolution unique avec mise en commun des ressources des pays européens (SRM : Single Resolution Mechanism)

• Un système fédéral de garantie des dépôts bancaires (DGS: Deposit Guarantee Scheme). Le rapport Liikanen prévoit la séparation des activités de banques de détail et des activités de banques d’investissement. 
L’Union bancaire européenne (SSM + BRR + DGS) serait sans aucun doute une étape majeure dans le retour de la confiance envers les banques et le triptyque liquidité – solvabilité – recapitalisation. Un retour de la confiance permettrait sans doute aux banques de prendre davantage de « risques » sur les crédits octroyés. 
Probabilité : élevée… mais elle ne verra cependant pas le jour en 2014. 
Intérêt: crucial car il s’agirait d’une nouvelle institution fédérale, et elle faciliterait la crédibilité des analyses sur les banques, ainsi que les solutions adoptées (rapidité d’exécution, plans de correction pour les banques…).

Conclusion


Au total, si l’on considère que la revitalisation du crédit bancaire est une nécessité absolue, on peut miser sur de nouvelles actions de la BCE, se traduisant par une combinaison de baisse de taux, de LTRO long terme et de Funding for Lending.